Publiée au Journal Officiel le 1er mars, la Loi Lemoine réformant l’assurance emprunteur, en vue d’un « accès plus juste, plus simple et plus transparent », représente diverses avancées en faveur des consommateurs.
L’objectif est de leur permettre de mieux faire jouer la concurrence en pouvant résilier à tout moment, et de lever certaines barrières en matière de santé. Cependant toute réforme n’est pas sans impact sur l’équilibre d’un marché : de nombreux spécialistes ont émis la crainte que ces mesures engendrent une hausse des tarifs. Qu’en sera-t-il concrètement ? Décryptage à l’aide de quatre experts invités sur le plateau d’Assurance TV.
Les trois points majeurs de la réforme
La possibilité de résilier et changer d’assurance emprunteur à tout moment et sans frais est consacrée. Les assureurs auront obligation d’informer leurs assurés chaque année de ce droit. Ils devront également leur communiquer clairement le coût de leur assurance emprunteur sur huit ans. Ces éléments entreront en vigueur au 1er juin pour les nouveaux prêts et au 1er septembre pour l’ensemble du portefeuille.
Le questionnaire médical à remplir à la souscription sera supprimé dès le 1er juin, en cas de prêt immobilier inférieur à 200 000 euros et arrivant à échéance avant les 60 ans de l’emprunteur.
Le délai du droit à l’oubli passera de 10 à 5 ans pour les personnes ayant souffert de maladies type cancer ou hépatite C. Cette mesure est déjà effective depuis le 1er mars.
Quelles conséquences et quels risques induit cette réforme pour les assureurs ?
Le but de cette réforme est double :
– favoriser le pouvoir d’achat du consommateur
– élargir les possibilités d’accès aux prêts pour des personnes ayant eu des problèmes de santé afin de réaliser un projet de vie
Cependant nos experts invités sur le plateau d’Assurance TV se sont accordés sur une conséquence logique : les risques pour les assureurs vont augmenter, avec en outre de potentiels effets d’aubaine indésirables, difficiles à quantifier.
Ainsi Jean Orgonasi, fondateur de Digital Insure a rapporté la crainte des assureurs que des personnes « détournent l’esprit de la loi en s’assurant alors qu’elles savent d’emblée à 100% que leurs problèmes de santé leur permettront de ne pas avoir à honorer leur crédit. Or ces détournements sont très difficiles à éviter, par exemple dans le cas d’une personne sachant qu’elle va mourir ou devenir complètement handicapée d’ici peu, et qui s’organiserait pour qu’au final ce soit la communauté qui paye son crédit. Or il suffit qu’une personne sur 1000 agisse ainsi pour que les prix explosent rapidement. Il y aura une volatilité du risque plus importante, en particulier sur les petits portefeuilles. »
L’enjeu pour les assureurs est donc d’éviter cet effet d’aubaine induit notamment par la suppression du questionnaire médical, empêchant les assureurs de détecter certaines situations problématiques.
Autre invité en plateau, Olivier Sanson, Conseil expert en assurance emprunteur et fondateur du cabinet La Salamandre Assurances, a abondé dans ce sens en pointant surtout les situations d’arrêt de travail : « les arrêts de travail sont bien plus fréquents que les décès donc effectivement, si demain le nombre des déclarations d’assurance est multiplié par 3 ou 4 de la part de gens en réelle mauvaise santé, ce sera très compliqué à gérer, qui plus est dans des délais très courts. » Le risque est d’autant plus craint par les assureurs que d’après lui, « les compagnies n’avaient pas anticipé cette évolution avec la suppression du questionnaire médical. C’est pourquoi certaines d’entre elles envisagent l’éventualité de sortir carrément du marché pour éviter ces situations. »
Quant à Guillaume Kuch, responsable des activités emprunteur de CNP Assurances, il a convenu de l’existence de « certains cas de demandes de prestation par les assurés où l’assurance pourra tout de même contrôler leur validité. » Concrètement, l’assurance emprunteur pourrait envisager un refus de prise en charge dans l’hypothèse où l’assuré était déjà malade et en arrêt maladie au moment de la souscription, et n’aurait fait une demande de prestation que quelques mois plus tard. En effet dans une telle situation, « la notion d’aléa disparaîtrait » puisqu’il était pour ainsi dire certain dès le début que l’emprunteur ne pourrait pas honorer son prêt : or le principe même de l’assurance est basé sur l’aléa et non sur la certitude.
Si Catherine Pigeon, Actuaire Conseil chez Essentielles, a admis ces risques, elle a toutefois nuancé ceux-ci en raison de la solidité actuelle du marché. « Nous avons envisagé l’hypothèse où tous les gens morts dans l’année auraient souscrit à une assurance emprunteur, en retirant cependant les personnes n’ayant pas les capacités financières pour emprunter. Or dans ces conditions, le marché résistera », a-t-elle rassuré.
Pour autant, d’autres types de conséquences sont également à prévoir : « les assureurs vont devoir changer la façon de gérer les sinistres, explique Catherine Pigeon. En emprunteur, une grosse partie de la gestion consistait à chercher d’éventuelles fausses déclarations au moment de la souscription. Désormais pour tout un pan du portefeuille, ce ne sera plus possible. Il faudra donc détecter les déclarations abusives autrement. »
Hausse des tarifs : oui ou non ?
Il est temps de mettre fin au suspense. Pour Catherine Pigeon, « oui, il y aura forcément une hausse tarifaire, dès le début de l’entrée en vigueur des nouvelles mesures. Cette augmentation sera mécanique et sans doute exagérée car dès lors que survient une nouvelle donne source d’incertitudes, les assureurs se gardent une marge de risque. »
Guillaume Kuch confirme le caractère implacablement logique de cette hausse : « la fin des questionnaires médicaux pour certaines catégories d’assurés va générer des risques supplémentaires pour les assureurs. Or les risques sont gérés et maitrisés grâce à trois leviers : les garanties que nous proposons, le prix et les critères de sélection. La possibilité de sélection étant supprimée, cela va forcément se répercuter sur les deux autres critères. » Plus précisément de quel ordre ? « Nous continuons à travailler dessus, il est encore trop tôt pour le savoir plus précisément. »
Les futurs emprunteurs sont-ils donc condamnés à souscrire à des assurances emprunteurs aux prix prohibitifs ? Heureusement, nos experts se sont montrés bien plus rassurants sur le long terme. « Avec le temps tout cela va se réguler, a reconnu Catherine Pigeon. Nos chiffrages ont établi que le marché aurait tout à fait la capacité d’absorber ces changements. Il faudra piloter les choses de près, revoir la distribution et vérifier que tout le monde joue le jeu. Le marché sera secoué mais au final, il va se rééquilibrer. »
Jean Orgonasi a conclu dans le même sens : « nous envisageons une hausse faible, largement acceptable par les clients. Il y aura certes une augmentation mécanique au début, mais ensuite la loi du marché reproduira ses effets. Le but restant toujours pour les assureurs de proposer des prix satisfaisants aux clients pour gagner des parts de marché, la courbe tarifaire redescendra dans un second temps. »
Conclusion : revenir aux fondamentaux
Si la mise en application de cette loi est un défi pour l’ensemble des acteurs du marché, comme l’a souligné Guillaume Kuch, cette réforme remet au centre du jeu un concept fondamental de l’assurance, le principe de la mutualisation : « le degré de mutualisation entre grands et petits assureurs est un enjeu fondamental pour absorber cette réforme dans les meilleurs conditions », a-t-il souligné. Autre enjeu, celui du parcours client : « cette loi renforce la nécessité d’avoir des parcours lisibles, simples pour tous. »
En fin de compte, l’ensemble de nos invités ont salué cette réforme comme allant dans le bon sens de façon générale. « Les gens malades avaient tendance à être exclus de façon assez dramatique : cette réforme permet de rééquilibrer l’assurance emprunteur qui avait quand même tendance à ultra privilégier les « bons » risques, » s’est félicité Olivier Sanson. En outre, « la possibilité de résiliation infra annuelle va permettre de fluidifier encore plus le marché et offrir plus de pouvoir d’achat, » a ajouté Jean Orgonasi.