Une procrastination structurée pour ne plus subir les injonctions sociales et professionnelles de l’immédiateté
Le temps, pour certains, devient une denrée rare
Nous accordons de moins en moins de temps à chacune de nos actions de la vie quotidienne. Notre rapport au temps est chamboulé. Autrefois, il y avait un rythme collectif, assez synchrone. Aujourd’hui, l’individualisation du rapport au temps engage la société des individus à bannir la procrastination. Le tsunami de l’immédiateté l’emporte. L’urgence est plus importante que l’importance et vous serez toujours « suspect » de vouloir remettre à demain ce que vous ne voulez pas faire aujourd’hui. La société nous demande de « faire vite » au détriment du « faire bien », même si quelquefois, les deux ne sont pas incompatibles. Vouloir prendre le temps le temps de la réflexion nécessaire est aujourd’hui coupable, ringardisé et assimilé à une fainéantise malsaine, dans une forme de despotisme du « tout de suite ».
La procrastination, dans certains cercles urbains, est source de raillerie, de moquerie, vers ceux qui se focalisent pour une gestion de son temps plus personnelle. Pire, la procrastination est considérée par certains comme une pathologie lourde faisant ainsi émerger les symptômes d’une société malade de l’urgence souvent injustifiée. Certains psychologues s’accordent même à dire que la procrastination est un comportement qui pourrait être causé par un manque d’assurance, une mauvaise estime de soi ou encore des difficultés de concentration, la peur de l’échec ou le perfectionnisme.
Très souvent, le procrastineur est vue comme un incapable qui ne peut réfréner ses désirs profonds de ne pas faire certaines choses qu’ils jugent désagréables. Bref, une preuve d’immaturité sociale et d’inadaptation dans une société où tout va vite. Cette « maladie » est même sanctuarisée, par une journée mondiale de la procrastination, le 25 mars. Tous les procrastinateurs du monde sont donc de fait placé, de ce point du vue, au même rang que les malades du cancer, de la leucémie, de l’arthrose, …. . Quelle absurdité !
Procrastiner maintenant, et ne le remettez pas à plus tard !
Demain est souvent le jour le plus chargé de la semaine. Le procrastinateur est-il un retardataire chronique qui se laisse volontiers déborder, suivant des chemins de traverse, lambinant, ajournant. Est-il un bulleur, un glandeur, ou quelqu’un qui a tendance à s’intéresser à tout et cherchant ainsi au maximum à s’éviter les urgences ? Si force est de constater néanmoins qu’il faut savoir parfois répondre à l’urgence de certaines situations, les procrastinateurs jugés fainéants, immatures et parfois inadaptés peuvent avoir raison.
La procrastination n’est pas une coquetterie flemmarde, mais un art. L’art de ne pas répondre à l’exigence non fondée de l’action immédiate, mais de la planifier. Elle est aussi une mainmise absolue, une réponse priorisée sur la gestion de son temps, d’un temps voulu et choisit, par opposition à celui imposé par des tiers, pour des raisons qui nous sont la plupart du temps inconnues, étrangères et sans fondements. De plus, n’ignorons pas que la plupart des choses s’arrangent d’elles-mêmes ou que la majorité des choses, que l’on remet à plus tard, sont dénuées d’importance.
C’est au contraire, en ayant confiance en soi, en sa capacité à faire au bon moment que l’on peut planifier judicieusement. La procrastination est un contrôle mature de la gestion de son temps, permettant d’éviter bons nombres d’effets collatéraux dommageables « du tout, tout de suite ».
Procrastiner, c’est même bon pour la santé !
La procrastination maîtrisée est très souvent positive. Dans la réalité, le procrastinateur est souvent une personne occupée qui fait plein de choses avec un grand enthousiasme. En clair, le procrastinateur sait prioriser selon son rythme. Les comportements d’ajournement, de temporisation, d’atermoiement ne sont pas systématiquement blâmables ni synonymes de lâcheté. Ils peuvent, au contraire être l’expression d’une prise de non-décision, réfléchie, immédiate et impliquante qui permet de maîtriser l’ensemble des conséquences de la décision.
A la différence de ce que pensait Confucius « Il faut d’abord faire ce qui nous coûte, ensuite ce qui nous plaît. », il nous faut mettre dans une société malade de l’imminence, des critères de priorité, de plaisir, d’épanouissement, et ensuite les corvées ou les obligations. Il y va là simplement du contrôle de la qualité de sa vie. Si le procrastinateur ne fait pas les choses maintenant, c’est parce qu’il a l’intuition, souvent une des clés de la réussite, qu’il faut parfois savoir attendre. Remettre les choses au lendemain permet aussi d’avoir plus de recul sur la situation, de ne pas agir dans la précipitation et sans réflexion. On connaît tous les vertus de la petite pause, ou de la bonne nuit de sommeil, qui permet d’avoir les idées plus claires.
Notre époque nous parle d’épanouissement personnel et de bonheur, il est temps de se réveiller et de ne pas se laisser absorber par l’immédiateté injustement imposée ! Alors plus d’hésitation, procrastinez.
L’erreur : penser que se saisir d’une tâche immédiatement, c’est l’accomplir correctement !
Il faut dire que nous ne sommes pas tous égaux dans notre rapport au temps : le temps qui passe ne compte pas le même temps pour tous ! De plus notre rapport au temps est très paradoxal. Tantôt nous le distribuons avec parcimonie, comme si rien n’avait davantage de valeur, tantôt nous le dilapidons comme un objet encombrant. Et puis le temps est devenu pour certains, une « denrée » qui fait défaut alors qu’il est pour d’autres, un fardeau, ou la trotteuse ne court plus assez vite. Mais le temps n’accélère pas. Il est indifférent à nos agitations : une heure, dure une heure. Jean Cocteau précisait même “Il faut faire aujourd’hui ce que tout le monde fera demain.” préemptant ainsi une forme de compétition individualiste préfigurant l’explosion sociétale actuelle de la précrastination, « qualité » qui qualifie pour certains, l’absolue nécessité de tout faire immédiatement, même si cela demande plus d’efforts et d’énergie.
La précrastination oblige à assurer une tâche aussi rapidement que possible, même si cela conduit à des gestes inutiles et si cela coûte, au final, plus d’effort. Il y a un sentiment de soulagement qu’apporte l’idée, peut être éphémère, d’en avoir terminé avec quelque chose. Le précrastinateur va loin : il s’empare de toutes les tâches qui lui tombent dessus, dans la seconde, il s’interrompt lui-même, il ne juge plus de l’importance ou de l’urgence d’une tâche, il fonce et s’épuise.
Autrement dit, précrastiner c’est souvent perdre de l’énergie et prendre des risques quand il s’agit de faire des actions qui demandent à être réfléchies. La précrastination apporte le stress, la dispersion, ce qui peut être très déstabilisant, épuisant et couteux pour l’entreprise. Dans cette société du temps court, la précrastination est perçue comme une immense qualité car en précrastinant, il y a le sentiment de faire, le sentiment d’en avoir fini immédiatement, comme la société le demande.
Au coeur de la transformation des entreprises, l’évolution positive de nos comportements
Vous l’avez compris, j’assume une procrastination structurée, planifiée qui n’encourage pas à la paresse, mais qui permet d’avoir un management raisonné de ses rythmes et de ne plus subir les injonctions sociales et surtout professionnelles de l’immédiateté qui je l’espère s’essoufflera très certainement. L’avenir nous le dira !