Le nombre total d’aidants en France, soit des personnes devant s’occuper d’un proche en perte d’autonomie sans être un professionnel du métier, est estimé à 11 millions. Parmi ceux-ci, 61% d’entre eux doivent concilier cette contrainte avec leur vie professionnelle.
Afin de mieux aider les salariés aidants et faire reconnaître ce statut, un Observatoire des Salariés Aidants a été lancé par l’OCIRP à l’occasion de la Journée Nationale des Aidants du 6 octobre 2021. Une vaste enquête « Salariés aidants et dialogue social » a été menée avec l’institut VIAVOICE afin de dresser une typologie des différentes situations et envisager des solutions.
Quelle situation vivent les salariés aidants en France ?
L’entrepreneuse Agnès Dupuy est la fondatrice de la start-up FamyHelp, une application permettant en quelques clics de trouver un professionnel du maintien à domicile dans un rayon très proche de la personne aidée. Interrogée à propos des proches aidants, elle estime que leur situation « reste tendue en France, bien qu’il y ait eu des évolutions à propos de la reconnaissance du statut d’aidant en France notamment grâce à la mise en place de différentes actions gouvernementales comme le congé de proche aidant. »
Les aidants passant en moyenne 8h30 par semaine à aider un proche en perte d’autonomie, cela implique inévitablement un impact sur leur vie personnelle, sociale et aussi professionnelle. Or d’après Agnès Dupuy, « seuls 26% d’entre eux ont mis leur employeur au courant de cette situation. » Au total en France, le nombre de proches aidants est estimé à 11 millions.
L’enquête de l’Observatoire des Salariés Aidants
Agnès Dupuy tire en fait ces chiffres de l’Observatoire des Salariés Aidants, lancé par l’OCIRP et qui a mené à l’automne dernier toute une enquête avec l’institut VIAVOICE sur le thème « Salariés aidants et dialogue social ».
Cette enquête a consisté interroger pas moins de 3 352 salariés afin de recueillir leurs attentes, avant de faire réagir l’ensemble des partenaires sociaux, organisations syndicales et patronales, aux fins d’envisager des pistes de solutions.
Il ressort de cette enquête que la crise sanitaire a malheureusement accentué la charge pesant sur les aidants, tout en servant de révélateur sur ces situations encore trop ignorées de nos jours. La transition démographique en cours, avec le vieillissement de la population, augure en outre d’une véritable « bombe à retardement », cette problématique ne pouvant que s’accentuer dans les années à venir, avec des charges croissantes qui pèseront sur les aidants.
Concrètement, cette enquête menée par l’OCIRP et VIAVOICE a permis d’établir divers enseignements et chiffres clés.
Les salariés aidants ont besoin d’aide, ayant du mal à concilier ce rôle avec leur vie personnelle et-ou professionnelle :
- Leur temps d’aide est de 8,3 heures par semaine en moyenne
- 81% des salariés aidants ont le sentiment de manquer de temps dans leur vie
- 79% d’entre eux souhaitent des aides professionnelles supplémentaires
- 50% ont déjà renoncé à une opportunité dans leur vie familiale ou sociale en raison de leur situation d’aidant
- 40% ont renoncé à une opportunité professionnelle
- 40% se sentent mis en difficulté sur le plan professionnel
- 48% ont le sentiment de pouvoir perdre leur emploi
La réalité des salariés aidants dans l’entreprise est encore trop ignorée, y compris par eux-mêmes :
- 3 salariés aidants sur 10 ne connaissent pas eux-mêmes la signification de l’expression « salarié aidant »
- Seuls 26% des salariés aidants ont informé leur employeur de leur situation
- 65% des salariés aidants se déclarent « pas assez informés » sur leurs droits et démarches
- 81% des salariés non aidants se déclarent aussi « pas assez informés »
L’enquête a enfin classé les salariés aidants en quatre différentes typologies (autonomes, accompagnés, vulnérables, désemparés), selon l’intensité de l’aide qu’ils apportent et selon l’accompagnement dont ils bénéficient. Or les deux catégories les plus critiques, « salariés aidants vulnérables » et « salariés aidants désemparés » représentent à elles deux 52% de l’échantillon global sondé, soit plus de la moitié.
Un sujet collectif qui engage les entreprises
Avant d’envisager des solutions, le rapport fait valoir certaines considérations :
- le seul recours à l’Etat Providence ne saurait suffire : avec le vieillissement de la population, l’Etat et la Sécurité Sociale ne pourront pas tout prendre en charge
- il semble alors naturel de se tourner vers les entreprises. Toutefois, seuls les grands groupes semblent aujourd’hui en mesure d’apporter un réel soutien à leurs salariés aidants.
L’enquête souligne cependant que « les entreprises et les partenaires sociaux sont concernés par le sujet des salariés aidants : la situation de « proche aidant » impacte la santé, la qualité de vie au travail des salariés, leur disponibilité, leur motivation, et donc leur productivité. » Ainsi les entreprises auraient tout intérêt à s’emparer de ce sujet, en vue d’offrir les meilleures conditions de travail à leurs personnels.
Les salariés aidants eux-mêmes ont été sondés sur les pistes à envisager en vue d’améliorer leurs conditions et bien-être au travail. Les demandes les plus récurrentes ont été les suivantes :
- Des congés par intermittence pour gérer un imprévu (35 %)
- Des « congés de proche aidant » mieux rémunérés (34 %)
- De meilleurs moyens financiers (34 %)
- Un aménagement ou plus de flexibilité horaire (33 %)
- Des informations sur les droits et les dispositifs proposés (32 %)
Du côté des partenaires sociaux interrogés dans le cadre de l’enquête, tous soulignent unanimement que ce sujet collectif les engage. Le soutien aux salariés aidants est d’ailleurs considéré comme un levier de performance pour l’entreprise pour 74 % des responsables interrogés.
Ainsi certaines solutions consensuelles se sont dégagées auprès des partenaires sociaux, dans une logique « gagnant-gagnant » :
- Mieux répondre aux besoins d’informations
- Permettre une flexibilité du temps et de l’organisation du travail pour offrir plus de répit aux salariés aidants
- Mieux indemniser les « congés de proche aidant »
- Etablir un cadre clair et lisible, pour désamorcer les réticences de certains salariés aidants à s’ouvrir de leur situation
Si beaux soient ces principes, encore faut-il s’entendre pour leur mise en œuvre concrète : pour 86% des représentants des partenaires sociaux interrogés, le niveau pertinent pour traiter ce sujet est celui de la branche professionnelle. Cela n’empêche pas 58% des sondés de considérer que les négociations doivent s’établir en parallèle dans les branches professionnelles et dans les entreprises.
De leur côté, les organisations patronales n’ont pas caché interrogations concernant les grandes disparités existantes entre grandes et petites entreprises, en termes de moyens et de marges de manœuvre. Si la création d’un cadre commun est perçue comme utile pour mieux accompagner les salariés aidants, un minimum de souplesse sera demandé pour que ce cadre reste adapté aux contraintes économiques des petites structures.
Au fond sans surprise, l’enjeu du financement reste déterminant pour une meilleure prise en charge de cette réalité, appelée à grandir encore dans les années à venir.
Réédition du Guide des proches aidants pour les nuls
Editrices de la célèbre collection didactique Pour les Nuls , les éditions First ont republié récemment le Guide des proches aidants pour les nuls, écrit par Marina Al Rubaee et Jean Ruch, élaboré en partenariat avec le Comité national Coordination Handicap (CCAH). Cette nouvelle édition est à jour des dernières dispositions législatives et des nouveaux dispositifs existants.
Les auteurs Jean Ruch, entrepreneur social et aidant familial, et l’ancienne journaliste Marina Al Rubaee, spécialisée dans le secteur social et médico-social, sont d’ailleurs eux-mêmes tous deux proches aidants.
Le témoignage de Marina Al Rubaee recueilli sur France Info est à ce titre éloquent sur l’existence de ces nombreux proches aidants qui s’ignorent : « En 2013, j’avais interrogé Jean Ruch dans le cadre d’un reportage sur les aidants. Et je me suis rendue compte que j’en étais une sans le savoir, puisque j’aide mes parents sourds depuis l’âge de 6 ans. De fil en aiguille, nous avons eu l’idée d’un guide pratico-pratique dont nous aurions aimé bénéficier, qui balaierait toutes les thématiques existantes sur le sujet… »
Outre les informations et aides concrètes apportées, ce livre est aussi un plaidoyer pour une prise de conscience du rôle fondamental que jouent les aidants dans notre société : « Les aidants sont un trésor pour la société, c’est humainement incroyable ce qu’on développe grâce à l’accompagnement. C’est difficile, les aidants ont besoin d’être soutenus, accompagnés mais pas qu’on décide à leur place. Il faut simplifier le parcours des aidants, les guider et les valoriser : cela apportera aussi à la société », poursuit Marina Al Rubaee. Celle-ci fait d’ailleurs valoir à quel point l’aide qu’elle a apporté à ses parents depuis toute petite lui a permis de développer des qualités personnelles d’écoute et d’empathie, sur lesquelles elle a pu s’appuyer y compris dans le domaine professionnel.
Les Aidantes & Co, agence spécialisée dans l’accompagnement des entreprises et leurs salariés aidants
La solution ne passerait-elle pas aussi par les initiatives privées ? Avec son associée Sigrid Roger Jaud, Marina Al Rubaee a abandonné son métier de journaliste pour créer en juillet 2021 la société Les Aidantes & Co, agence de conseil RH aidant les entreprises et leurs salariés aidants à mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Ce projet est né d’une véritable prise de conscience lors de la crise sanitaire : témoignant de son propre parcours dans le podcast ci-dessous, Marina Al Rubaee fait valoir à quel point le soutien et l’accompagnement de son propre employeur dans son rôle d’aidante pour ses parents ont été importants pour elle.
Elle a ainsi souhaité aller plus loin et se consacrer à l’épanouissement et la reconnaissance des salariés-aidants au sein de leurs entreprises : « les entreprises s’adaptent pour accompagner leurs salariés qui sont ou deviennent parents. En ce qui concerne les aidants, cela devrait être exactement la même chose : si ces situations ne sont pas prises en compte, elles auront forcément un impact négatif sur la bonne marche de l’entreprise en matière d’absentéisme ou de turn-over. Le préjudice est évalué à 6 milliards d’euros par an pour les entreprises qui ne traitent pas ce sujet ! Au-delà de l’aspect humain, c’est donc aussi un vrai enjeu économique, consistant à trouver le juste équilibre entre les contraintes des entreprises et les enjeux humains que vivent ces salariés. »
Cette évolution des mentalités est en cours depuis près d’une dizaine d’année, mais tout cela évolue lentement : Marina Al Rubaee pointe l’insuffisance des dispositifs légaux pourtant récents, à l’image là encore du congé de proche aidant, qui n’irait pas assez loin : « on est indemnisé pendant 66 jours pour accompagner un proche sur une période d’un an sur toute une carrière. Alors qu’aider un proche en moyenne dure entre 4 et 10 ans. En outre le salarié ne perçoit pas un vrai salaire mais seulement une indemnité payée par la CAF. Et pendant ce temps-là il ne cotise pas à la retraite. Mieux vaut donc garder ce dispositif légal en dernier recours et privilégier le dialogue avec son employeur, pour envisager des solutions d’aménagement de poste. » D’autres solutions sont peuvent aussi jouer sur la solidarité entre salariés, comme la possibilité de faire don de jours de RTT ou de congés payés.
Au final, Marina Al Rubaee insiste sur le fait que les interventions au sein des entreprises des Aidantes & Co bénéficient à tous les salariés, y compris les non-aidants : « notre rôle est aussi de valoriser les compétences que les salariés aidants ont développé dans ce rôle personnel, et transposer celles-ci dans une optique professionnelle. Or en sensibilisant les entreprises à une gestion et un management plus inclusifs de leur personnel aidant, on observe un impact plus général sur le management auprès de l’ensemble du personnel. »
Prévoyant de prochains recrutements pour poursuivre son développement, Les Aidantes & Co poursuivent leur ambition de faire bouger les mentalités et de contribuer, par la mise en place d’un écosystème vertueux, à faire grandir les entreprises économiquement et humainement. Marina Al Rubaee estime qu’en 2030, un salarié sur quatre sera concerné par l’accompagnement d’un proche.
NB : le sujet des aidants, est un des thèmes majeurs de nos productions de contenus. Si ce sujet vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter.