Après différents rebondissements et suite à la réunion d’une commission mixte paritaire le 3 février dernier, l’Assemblée Nationale a adopté ce mardi 15 février la proposition de loi « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur« . Le Sénat vient de l’adopter définitivement ce jeudi 17 février. Cette réforme prévoit diverses mesures favorables aux consommateurs, non seulement en ce qui concerne les modalités de résiliation de l’assurance, mais aussi en matière de santé. Si certains spécialistes s’en réjouissent, d’autres nuancent le bénéfice escompté, craignant des effets pervers induits par certaines dispositions.
Rappel des réformes précédentes
Depuis une dizaine d’années, divers textes successifs de réforme se sont succédé, toujours dans le sens du consommateur pour que celui-ci puisse faire jouer plus facilement la concurrence entre les assureurs :
- Loi Lagarde du 1er juillet 2010 instaurant le principe du libre choix de l’assurance emprunteur
- Loi Hamon du 17 mars 2014 ouvrant le droit à la résiliation à tout moment durant la première année du contrat.
- Amendement Bourquin à la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, ayant étendu le droit de résiliation à chaque date anniversaire du crédit.
Toutefois, « aucune de ces mesures législatives n’a, jusqu’à aujourd’hui, véritablement permis de libéraliser le marché de l’assurance-emprunteur qui reste en situation de quasi-monopole au profit des banques, » d’après le député Patricia Lemoine, à l’origine de la nouvelle proposition de loi en voie d’adoption.
La liberté de changer d’assureur à tout moment
Le principal apport de cette réforme est de permettre à tous ceux ayant contracté un prêt immobilier de résilier et changer leur assurance emprunteur, à tout moment et sans frais. Les assureurs auront en outre l’obligation d’informer leurs assurés chaque année de ce droit. Ils devront également leur communiquer clairement le coût de leur assurance emprunteur sur huit ans. En cas de refus, les motifs devront précisément être indiqués.
A noter que cette réforme prévoit une entrée en vigueur le 1er juin 2022, mais uniquement pour les offres de prêt qui seront conclues ultérieurement. La mesure s’appliquera aux prêts ayant déjà été contractés à partir du 1er septembre 2022.
Selon l’UFC-Que Choisir, le marché de l’assurance emprunteur pèse pas moins de 7 milliards d’euros par an, et les consommateurs pourraient y gagner entre 5 000 et 15 000 euros sur l’ensemble de leur prêt. L’association de défense des consommateurs voit dans ce principe d’une résiliation possible à tout moment « l’assurance d’une injection potentielle de pouvoir d’achat de 550 millions d’euros par an au bénéfice de tous les emprunteurs. »
Président du groupe d’assurance April, Eric Maumy abonde dans le même sens au micro d’Europe 1 : « C’est mieux dans la poche des Français que dans la poche des assureurs et des banquiers, on va quand même le dire. Le marché va être très ouvert : les assureurs alternatifs, les banquiers et les consommateurs vont enfin avoir le choix. »
Des conditions plus favorables en matière de santé
Autre avancée capitale, le projet de réforme a également pour objectif d’alléger les critères en matière de santé, afin de moins pénaliser les personnes malades ou les anciens malades, aujourd’hui soumis à des surprimes d’assurance attachées à leur crédit immobilier.
La nouvelle loi prévoit en effet la suppression du questionnaire médical en cas de prêt immobilier inférieur à 200 000 euros, arrivant à échéance avant les 60 ans de l’emprunteur. Concrètement, un couple aura la possibilité d’emprunter jusqu’à 400 000 euros sans avoir à remplir ce questionnaire.
Troisième avancée majeure prévue par cette proposition de loi, la réduction du délai du droit à l’oubli pour les personnes ayant souffert d’un cancer ou d’une hépatite C. Jusqu’à présent, les ceux ayant souffert de ces pathologies à la majorité bénéficient d’un droit à l’oubli de 10 ans : la nouvelle loi réduira ce délai à 5 ans. Ainsi ces maladies pèseront moins longtemps dans les dossiers des personnes concernées, d’autant plus que le délai des 5 ans partira dès la fin du protocole de soins et non plus après la période de rémission comme c’est le cas actuellement. Eric Maumy se félicite de la levée « d’un véritable frein », saluant « des mesures qui vont bénéficier à l’accès au logement. »
« Dans quelques heures, la loi Lemoine aura achevé son parcours législatif, un parcours chaotique mais porteur d’un tel espoir pour des milliers d’emprunteurs qui, quel que soit leur état de santé, pourront dans un avenir proche, réduire significativement le coût de leur assurance grâce à la résiliation à tout moment et à la suppression de la sélection médicale. » conclue Astrid Cousin, porte parole de Magnolia.fr.
Des avancées à nuancer ?
En favorisant les conditions d’accès au crédit pour des personnes ayant souffert de pathologies, cette réforme ne risquerait-elle pas de pénaliser les personnes en bonne santé ? C’est l’effet pervers que pointe notamment Olivier Lendrevie, président du courtier CAFPI, interrogé par Challenges par le biais d’un podcast : « ces mesures seront avantageuses pour les malades et les fumeurs de moins de 40 notamment, mais il pourrait s’agir d’une mauvaise nouvelle pour les personnes en bonne santé et non fumeuses, pour qui les tarifs risquent d’augmenter. Pour compenser les risques liés aux moins bons profils, les meilleurs assurés ne se verront plus proposer d’offres ultra compétitives comme cela pouvait être le cas jusqu’ici. »
En effet, deux scénarios ont d’ores et déjà été envisagés suite à l’adoption de cette réforme. Le premier pourrait consister en une hausse généralisée des primes d’assurance, ce qui pourrait ainsi pénaliser un certain nombre d’emprunteurs d’après les calculs de Sandrine Allonier, Directrice de la Communication du courtier Vousfinancer : « le taux d’endettement maximal de 35% tient compte du montant de l’assurance, qui peut représenter jusqu’à 2 points d’endettement. Une hausse de l’assurance pourrait donc conduire à des refus de prêt. ». Autre scénario possible : les assureurs pourraient être amenés à réduire le niveau des garanties proposées et supprimer certains types de risques de leurs couvertures.
La vigilance reste donc de mise sur les conséquences concrètes de l’application de cette réforme, sachant qu’un décret précisant les modalités autour du questionnaire de santé est attendu pour le mois de juin.