Stéphane Rapelli, Socio-économiste indépendant, spécialiste des travailleurs non-salariés et des TPE, dans le cadre du #3 magazine* “Dessine-moi la Gestion de Patrimoine ” répond à nos questions.
Après bientôt deux années de crise sanitaire, où en sont les TPE ?
Contrairement aux premières anticipations, le bilan est plutôt positif. Malgré un démarrage plus ou moins lent selon les professions, les aides diverses ont été très efficaces, notamment celle de la prise en charge des salaires par l’État. A partir des données de BPI France, on s’aperçoit que plus de deux tiers des entreprises ayant contracté un prêt garanti par l’État ne l’ont pas consommé. De plus, le nombre de cessation d’activité n’a pas connu de phénomène d’amplification alors que la création d’entreprises a fortement augmenté, dans le prolongement de la période précédente. A fin novembre 2021, on enregistre une hausse de 21 % par rapport à la même période de 2020. S’agit-il d’emplois précaires en attente de retrouver un statut de salarié ? Les études relatives au lien entre le salariat et le non salariat tendent à montrer le contraire. Alors qu’il existait depuis des décennies une corrélation entre les deux formes de statut, nous constatons à présent une rupture de tendance. S’il existe un taux de non salariat contraint, celui-ci est loin d’être majoritaire et ce, quelle que soit la mesure du chômage.
D’où vient cette envie de petite entreprise ?
La création d’entreprise, très en vogue dans les discours, est en pratique toujours un peu bridée. Nous assistons peut-être à une revanche de l’histoire. La flexibilité mais aussi l’envie de responsabilités apparaît comme étant une voie possible, sans forcément créer « une armée d’esclaves ». Dans une étude réalisée avec Serge Guerin sur l’entreprenariat des seniors, nous avions observé cette volonté, surtout pour les cadres, de valoriser leur savoir-faire en tant qu’indépendant et que le non-salariat contraint, pour des professionnels qui n’auraient pas, par exemple, une retraite complète, n’atteignait pas 20 % des personnes interrogées. Nous nous attendions à ce que les professions libérales soient surreprésentées, cela n’a pas été le cas. Il existe un gros contingent composé de commerçants et même d’artisans.
Mais cet appel de l’entreprenariat touche aussi les jeunes. Le modèle salarial, malgré tous les avantages qu’il procure, ne les attire plus. Il s’agit avant tout d’un rejet du lien de subordination. La question du rapport hiérarchique est posée. Les enquêtes de terrain montrent que les jeunes ne veulent plus obéir aux ordres d’un supérieur qu’ils jugent, à tort ou à raison, moins qualifié techniquement qu’ils ne le sont. La survie du management de proximité est clairement en jeu. Ils mettent par ailleurs en avant une valorisation du sens du travail peu compatible avec les modèles traditionnels. Avant, le montant des salaires donnait le ton. Aujourd’hui, ce sont la qualité de vie et la compréhension des tâches par rapport à la stratégie de l’entreprise qui constituent leur moteur. Beaucoup d’employeurs ont du mal à intégrer ces évolutions.
Quel est l’état d’esprit des patrons de TPE en ce début d’année ?
Le moral évolue selon l’état des variants du Covid. Le sentiment d’incertitude prédomine. Nous sommes passés d’une gestion à 5 ans à une gestion à 15 jours. Globalement, ils font des provisions pour franchir les obstacles à court terme. Les chefs d’entreprise sortent d’une période d’incertitude radicale rarement observée. Pendant plusieurs mois, en 2020, ils ont été incapables de formuler une quelconque prévision parce qu’il n’y avait plus rien de probabilisable. Ils sont encore fortement marqués, la cinquième vague leur fait peur et ils envisagent tous les scénarios concernant les mesures qui pourraient être prises. Cette recherche de sécurité est confirmée par la conservation des sommes reçues au titre des prêts garantis par l’Etat à titre préventif. On notera aussi la hantise des patrons de TPE de devoir faire face à des hausses d’impôts au regard des déficits budgétaires.
Qu’en est-il des nouvelles formes d’organisation du travail ?
Le dossier du télétravail est sur la table pour 2022 et il est complexe. Nos enquêtes montrent que le télétravail peut avoir un impact social négatif pour les salariés modestes qui ne peuvent pas exercer leur activité chez eux dans de bonnes conditions. Très concrètement ce sont les cadres qui réclament des accords. Les employés et professions intermédiaires sont plus réfractaires. Les syndicats, peu implantés dans les TPE, ne sont pas à l’aise sur le sujet. Il apparait cependant que les salariés et les employeurs arrivent à s’entendre sur un point d’équilibre d’un jour et demi par semaine en télétravail en moyenne. On notera que le télétravail pose aussi de nombreux problèmes aux chefs d’entreprise notamment sur la sécurité des données.
Concernant plus globalement le distanciel, je pense qu’il faut s’attendre aussi à des changements dans les métiers. Par exemple, certains salariés du commerce précisent qu’ils sont passés du statut de vendeur à quasiment celui de magasinier avec la vente en ligne. Une autre tendance apparait, celle de l’externalisation des tâches administratives particulièrement chez les professions libérales avec le recours de plus en plus important à des professionnels micro entrepreneurs. Cela pose beaucoup de questions comme le maintien des effectifs salariés au sein des branches professionnelles concernées ou le niveau de la formation de ces nouveaux micro-entrepreneurs qui proposent leurs services.
Les dirigeants des TPE sont souvent clients des cabinets de CGP. Qu’est ce qui est le plus important pour eux entre la santé, la prévoyance et la retraite ?
Sauf pour les professions libérales à Ordre, la réponse est simple : leurs préoccupations dans ces domaines varient entre le rien du tout et la santé. Cette dernière est aujourd’hui très valorisée. Auparavant, les indépendants avaient un rapport difficile avec le recours aux soins et les dépenses de santé mais en réaction à la crise sanitaire, la posture tend à évoluer.
La retraite n’est clairement pas leur sujet car ils estiment qu’avant d’y arriver, il leur faut encore survivre. Nous constatons d’ailleurs que beaucoup d’entrepreneurs arrivés à l’âge de la retraite décident de prolonger leur activité du fait de l’incertitude ambiante en ayant dans l’idée de grappiller quelques années de plus. Au début, nous avons pensé que ce maintien en activité était lié au manque de repreneurs, ce qui était faux car la demande de rachat d’entreprise existe. Quant à la prévoyance, elle est dans tous les esprits mais ils estiment qu’elle coûte trop cher. Ils ne sont pas réceptifs à l’argumentaire qui envisage le pire du type : « que se passe-t-il si vous êtes hospitalisé ».
Reste que, dans le domaine de la protection sociale, le gradient du revenu va jouer, notamment pour les professions libérales à Ordre que j’évoquais. Ces professions sont toujours très demandeuses de solutions pour optimiser leur épargne à long terme. Il en est de même chez les dirigeants dont les entreprises commencent à atteindre une taille plus importante de l’ordre d’une vingtaine de salariés.
*ITW du magazine « Dessine-moi la Gestion de Patrimoine », production Vovoxx, en Janvier 2022, que vous pouvez télécharger gratuitement et sans laisser de datas. Le #4 de ce magazine est prévu pour Mai/Juin 2022.