En attendant la publication prochaine d’un nouveau volet du rapport du GIEC, le groupe Covéa a publié début février son Livre Blanc consacré au Changement climatique & Assurance : quelles conséquences sur la sinistralité à horizon 2050 ? Elaborée par une équipe d’experts pluridisciplinaires avec le concourt du cabinet de conseil spécialisé RiskWeatherTech, cette étude vise à quantifier les risques climatiques majeurs à horizon 2050 sur le territoire français métropolitain, afin d’anticiper leurs impacts et conséquences en matière d’assurance. Parmi les conclusions à retenir, sans surprise le rapport prévoit une augmentation considérable du nombre de sinistres dans les années à venir, à hauteur de 70%. En conséquence, le rapport pointe les efforts de prévention à mener comme l’enjeu prioritaire de ces prochaines années.
A quelle sauce seront-nous mangés à l’horizon 2050 ?
Le rapport se concentre sur les 4 grands types de risques naturels identifiés comme étant liés au dérèglement climatique : inondations, tempêtes, épisodes de sécheresse, et grêles. Parmi ceux-ci, les inondations et les sécheresses sont les plus susceptible d’augmenter.
Les inondations seront plus fréquentes, avec des volumes moyens annuels de précipitations plus élevés sur les deux tiers nord du territoire. Si le quart sud-est connaîtra des épisodes plus rares, ceux-ci seront en revanche plus intenses. En conséquence, les crues torrentielles, à l’image de celle subie par Saint-Martin-Vésubie à l’automne 2020, seront plus nombreuses et plus intenses, avec une hausse de sinistralité attendue de l’ordre de 130%. Les risques d’inondation de plaine ne seront guère en reste puisqu’ils augmenteront eux aussi de 110%.
Côté sécheresse, une hausse de la fréquence des épisodes de sécheresse sévère est également attendue de l’ordre de 70%, engendrant une hausse de 60% de sinistralité. Parmi les régions françaises les plus à risques, figurent principalement celles du « croissant argileux » : bassin parisien, Hauts-de-France et Centre-Est.
En troisième position de ce palmarès peu envieux, les orages de grêle devraient connaître une augmentation importante sur l’ensemble du territoire de l’ordre de 40 %, avec une sinistralité annuelle moyenne en hausse de 20 %. Si la moitié nord de la France connaîtra la plus forte augmentation des chutes de grêle, les zones les plus exposées actuellement concentreront encore la plus grande partie des risques, essentiellement la façade atlantique et l’axe Pyrénées Orientales-Alpes du nord.
Enfin, les épisodes de tempêtes constituent a priori la seule bonne nouvelle de ce rapport puisque celui-ci ne prévoit aucune évolution significative dans les prochaines décennies, tant en matière de fréquence que d’intensité.
Globalement, les experts de Covea et RiskWeatherTech prévoient une augmentation de la sinistralité de 60% d’ici l’horizon 2050.
Une remise en question du régime actuel CATNAT ?
Un autre élément crucial de ce rapport est l’évolution prévue de la répartition de la sinistralité : les épisodes relevant du régime des Catastrophes Naturelles (CATNAT) sont pris en charge par le fonds national dédié, sous couvert d’une reconnaissance officielle par les services de l’Etat. D’autres sinistres sont, eux, couverts directement par les contrats d’assurance au titre de la garantie Tempête, Grêle, Neige (TGN), sans besoin de reconnaissance officielle par l’Etat. Or sur la période passée (1989-2019), le rapport entre ces deux régimes d’indemnisation était de l’ordre de 57% contre 43% en « faveur » des sinistres de type CATNAT. A l’horizon 2050, cette tendance va nettement s’accentuer puisque le rapport passera à 70/30.
Voilà qui pose la question de l’évolution du régime CATNAT, un mois et demi après la promulgation le 29 décembre dernier de la loi mettant en œuvre la réforme de ce régime. Un certain nombre de spécialistes ont en effet déploré une réforme en demi-teinte, qui sous-estimerait notamment le risque de sécheresse, pourtant identifié dans ce Livre Blanc comme un risque majeur, appelé à prendre de plus en plus d’importance. Ainsi le député de la Loire Valéria Faure-Muntian, présidente du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur les assurances, a souligné qu’il s’agit « d’un risque certain dans plusieurs régions de France, et non pas un aléa comme l’inondation. Il devrait donc être couvert par un fonds de solidarité dédié, afin de ne pas grever le dispositif CATNAT destiné à couvrir des événements exceptionnels. »
Ce Livre Blanc met ainsi en évidence des défis qui ne sauraient relever de la seule responsabilité des assureurs, mais plus largement de l’ensemble des décideurs publics.
L’urgence de la prévention
En guise de solution, le Livre Blanc insiste sur les efforts de prévention nécessaires. « La prévention est un axe majeur dans l’adaptation de l’habitat face aux défis du changement climatique. Fort de notre expertise sur l’anticipation et le pilotage des risques climatiques, nous avons l’ambition de poursuivre ces travaux de recherche afin de limiter les effets négatifs sur nos expositions et notre sinistralité, et continuer à protéger nos sociétaires de manière durable », souligne à ce titre le Directeur général adjoint de Covéa Paul Esmein, dans le communiqué de presse ayant accompagné la publication du Livre Blanc.
Cette prévention consiste d’abord à mieux sensibiliser et éduquer la population face à ces risques, le rapport soulignant que « Covéa a été pionnier dans ce domaine avec la mise en place d’un dispositif d’alertes aux assurés en cas de survenance d’événements climatiques. » Une préoccupation qui rejoint un constat général établi par l’ensemble des assureurs : interrogée le 24 janvier sur Europe 1 par Dimitri Pavlenko, la présidente de France Assureurs (ex Fédération Française de l’Assurance) Florence Lustman déplorait elle-même un manque général de préparation de la population française aux risques climatiques.
La prévention consiste aussi à mener les investissements nécessaires, notamment en matière d’équipement, afin d’éviter un certain nombre de situations dramatiques et bien évidemment aussi de réduire la facture finale pour les pouvoirs publics, les assureurs et les assurés : « un programme de recherche vise à développer des solutions pour adapter l’habitat et le rendre plus résilient aux aléas. À titre d’exemple, des expérimentations sont menées pour équiper les maisons situées en zones inondables de portes étanches ou de batardeaux, en fonction des préconisations réglementaires des Plans de Prévention des Risques locaux. » L’efficacité des batardeaux a d’ailleurs été soulignée par Paul Esmein, invité sur le plateau de BFM Business le 3 février pour présenter les enseignements de ce Livre Blanc.
Le Livre Blanc livre d’autres exemples concrets de solutions innovantes préventives permettant de réduire les risques, tels que certains procédés de traitement des argiles ou des méthodes douces de réhydratation des sols pour lutter contre la sécheresse.
En tout état de cause, ces solutions préventives apparaissent plus séduisantes que l’idée d’augmenter les cotisations, même si Paul Esmein n’a pas écarté lui-même sur BFM Business le principe implacable d’une augmentation des primes, causée par l’augmentation des risques.
L’assureur, un acteur engagé et proactif
En définitive, l’importance de ces enjeux confère plus que jamais aux assureurs un rôle central dans notre société, même si ceux-ci ne sauraient porter seuls les solutions collectives nécessaires : comme le souligne le rapport dans sa conclusion, « l’accélération attendue des risques climatiques fera que l’assureur ne sera plus cantonné à un simple rôle d’« assureur-payeur » mais deviendra de plus en plus un assureur engagé et proactif dans sa stratégie de pilotage et de gestion des risques. »
En attendant, les experts climat du GIEC se lancent ce lundi 14 février dans l’élaboration d’un nouveau rapport sur les impacts du réchauffement climatique, qui devrait être dévoilé le 28 février. Un troisième volet consacré à la réduction des gaz à effet de serre est d’ores et déjà prévu pour avril.