Le contentieux autour de l’indemnisation des pertes d’exploitation non consécutives à un dommage matériel n’est pas encore terminé pour les assureurs. L’arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 28 septembre 2021 repris récemment dans les médias, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, parce qu’il ne concerne pas, pour une fois, un restaurateur, mais une entreprise industrielle. Mais surtout, parce qu’il revient sur les fondamentaux du contrat « tous risques sauf » en précisant que la notion de biens couverts ne se limite pas aux immeubles et aux meubles.
Comme son nom l’indique, le contrat d’assurance « tous risques sauf » est un contrat qui couvre tous les risques, à l’exception de ceux limitativement exclus par l’assureur, celui-ci devant apporter la preuve des exclusions. Le fait que certains risques soient limitativement exclus par le contrat ne doit pas être confondu, selon la cour d’appel, avec l’existence de conditions de garanties. Ces dernières, qui se définissent comme les conditions d’assurance pour que le risque soit couvert, à condition de ne pas être exclu, limitent aussi les garanties de l’assuré.
Les magistrats rappellent aussi qu’un contrat « tous risques sauf » est plus onéreux qu’un contrat « à péril dénommés », mais qu’il apporte en contrepartie une meilleure couverture, puisque l’assuré entend ainsi se prémunir contre des risques qu’il n’a pas nécessairement anticipés. Dès lors, l’argument de l’assureur affirmant que « les conséquences de cette crise, d’une ampleur inédite, ne peuvent d’évidence être mise à la charge des assureurs qui ne peuvent être tenus d’assumer l’ensemble des pertes subies par tous les acteurs économiques sont inopérantes ». Toute analyse du contrat « tous risques sauf » tendant à restreindre son champ d’application aux risques expressément prévus dénature ce type de contrat. Seuls peuvent être exclus de la garantie les risques qui le sont expressément dans le contrat, complète la Cour.
Le contrat tous risques sauf doit exclure expressément les pertes d’exploitation liées à une pandémie
Les conditions particulières comprennent une clause stipulant que la garantie « pertes d’exploitation » s’applique à l’ensemble et à la généralité des biens ayant pour origine un évènement non exclu. Pour les juges, la notion de biens intègre tous les éléments mobiliers et immobiliers du patrimoine, y compris les biens incorporels comme les droits, brevet licences et clientèle. Cette clause n’a pas, selon eux, à être interprétée comme se limitant aux biens énumérés à un autre article des conditions particulières auquel il n’est pas renvoyé.
Par ailleurs, les mêmes conditions particulières aménagent la garantie « pertes d’exploitation » d’une part, en introduisant un plafond général pour toutes les pertes consécutives ou non (33 millions dans le cas soumis à la Cour), puis, des tableaux viennent sous limiter la garantie acquise à la suite de certains évènements garantis au titre des pertes d’exploitation. Enfin, il existe une autre sous limitation réservée aux autres évènements non exclus limitant également la garantie. Pour déterminer quelle garantie doit s’appliquer, les magistrats constatent que parmi les évènements expressément exclus, ne figure, ni la pandémie ni la crise sanitaire, ce qui aurait dû être le cas au regard d’un contrat de nature « tous risques sauf ». Les magistrats appliquent les règles relatives au contrat « tous risques sauf » en considérant, à la différence de l’interprétation des assureurs, que les tableaux de garantie n’ont pas vocation à limiter les événements garantis, mais à définir des sous limitations financières de garanties relatives à certains événements définis. L’événement « pandémie » n’étant pas expressément exclu, il doit relever de la couverture au titre des pertes d’exploitation, la Cour estimant que le montant de la garantie devant se loger dans la rubrique « autres événements ».
Lien entre la pandémie et le dommage subi
L’entreprise assurée, met en avant auprès de l’assureur une baisse significative de son chiffre d’affaires. L’assureur lui répond que ses pertes de revenus étaient dues, non pas aux mesures gouvernementales du printemps 2020 consécutives à l’état d’urgence sanitaire, mais à la crise économique liée à l’épidémie de covid-19. Insensibles à cette subtilité, les magistrats jugent cette argumentation non pertinente en soulignant que c’est justement la crise économique majeure qui est à l’origine des répercussions directes sur la baisse des commandes de l’entreprise.
Ainsi, la Cour d’appel considère ainsi que l’assureur doit sa garantie « pertes d’exploitation » dans la limite du sous-plafond de 1million d’euros et enjoint l’assureur de désigner un expert en vue d’évaluer les dommages de l’entreprise assurée.
Un pourvoi en cassation a été formé par l’assureur.
Une entraide judiciaire entre entreprises sinistrées et leurs avocats
Autre fait remarquable de cette décision, les interventions volontaires à titre accessoire de deux autres entreprises assurées par le même intercalaire pour soutenir la demande de l’appelant et favoriser la victoire des assurés.
« Cette décision est remarquable et constitue une étape tout à fait fondamentale dans la reconnaissance de l’efficacité de l’intercalaire en cause. Nous nous félicitons du travail d’équipe qui a permis l’obtention de ce résultat » précise Isabelle Monin Lafin, au soutien d’un des intervenants volontaires. Elle poursuit « S’il est exact que peu de contrats sont rédigés dans le cadre d’un mécanisme « tous risques sauf » en introduisant des pertes d’exploitation non consécutives, tel est bien le cas de l’intercalaire en cause, et ce sont des dizaines d’entreprises industrielles françaises qui vont pouvoir dans ce contexte être indemnisées, si bien entendu la Cour de cassation est amenée à rejeter le pourvoi de l’assureur »