Paul Esmein, Directeur Général adjoint de Covéa, évoque sur BFM BUSINESS la montée des risques climatiques. Invité à l’émission Good Morning Business le 3 février, le directeur général adjoint du groupe mutualiste Covéa Paul Esmein a évoqué les risques majeurs que fait peser le changement climatique sur le secteur de l’assurance, répondant aux questions des journalistes Sandra Gandoin et Christophe Jakubyszyn. Cette interview fait suite à la publication par Covéa de son Livre Blanc Changement climatique & Assurance : quelles conséquences sur la sinistralité à horizon 2050 ?, élaboré avec l’expertise du cabinet de conseil spécialisé RiskWeatherTech.
Sandra Gandoin : Votre étude met en évidence le risque majeur que fait peser le changement climatique sur le secteur de l’assurance, avec une augmentation des sinistres (inondations, sécheresse, orages…) prévue ces prochaines années à hauteur de 70%… L’avenir ne s’annonce donc pas rose ?
En effet, c’est ce que notre étude met en lumière : il va y avoir un certain nombre de risques, notamment en matière d’inondation et de sécheresse, dont nous prévoyons une augmentation assez forte dans les décennies à venir, puisque l’étude porte sur un horizon 2050. Par exemple d’ici 2050, les risques de sécheresse devraient augmenter de 60% par rapport à la période 2008-2018, et les risques d’orages de grêle de 40%.
Christophe Jakubyszyn : Nous connaissons aussi des crues éclairs assez spectaculaires en France. Avec RiskWeatherTech, vous estimez que ce type de sinistres va augmenter de 130% d’ici 2050. Or pour les assurances, les inondations ne sont-elles pas le premier pôle d’indemnisation au titre des catastrophes naturelles ?
En effet. Il faut distinguer deux types d’inondations dont les ressorts sont différents. Il y a les inondations de plaines, comme nous l’avons connu avec les crues de la Seine de 2016. Il y a aussi les inondations liées à des crues torrentielles comme cela a été le cas à Saint-Martin-Vésubie il y a un peu plus d’un an, avec des bilans humains parfois très lourds. Mais il est vrai que dans les deux cas, nous prévoyons des augmentations de plus de 100% de la charge économique dans les années à venir.
Sandra Gandoin : Le groupe Covéa est le leader du marché de l’assurance Habitation avec ses trois enseignes MAAF, MMA et GMF. Il assure au total 1 Français sur 3. Face à ces éléments, quelle stratégie l’assureur peut-il adopter ?
Nous avons fait justement cette étude pour mettre le sujet sur la table. Il s’agit encore d’un sujet lointain, donc l’idée n’est pas d’élaborer des prévisions ou des anticipations très fines, mais d’ouvrir le débat de l’adaptation aux changements climatiques car nous estimons que celui-ci est insuffisamment traité. Il faut vraiment réfléchir à des mécanismes de prévention, or les acteurs privés ne peuvent pas porter seuls ce sujet.
Christophe Jakubyszyn : Lorsque vous dites qu’il faut mettre ce sujet sur la table, cela signifie-t-il par exemple qu’il faut agir davantage sur les zones inondables, voire ne plus construire de maisons ? Ou faut-il se préparer à des augmentations de tarifs ?
En matière de prévention, il faut distinguer les actions qu’il est possible d’entreprendre avant et après la construction. Avant la construction, c’est du ressort des pouvoirs publics, par exemple par le biais des plans de prévention des risques mis en place au niveau de l’Etat ou des intercommunalités, ou des études de sol qui permettent d’éviter de construire sur des sols argileux…
Christophe Jakubyszyn : Mais il arrive parfois que des constructions soient faites malgré des interdictions. Est-ce que dans ces situations, les assureurs sont en mesure de refuser d’assurer par exemple une maison récemment construite, alors que chacun savait que c’était en zone inondable ?
Il faut distinguer ce qui relève des pouvoirs publics et ce qui relève des assureurs. En tant qu’assureurs, notre responsabilité est d’assurer les risques, avec des cas différents à considérer. Par ailleurs en matière de prévention, il y a aussi des actions concrètes et efficaces à entreprendre après les constructions, comme l’installation de portes étanches, appelées batardeaux.
Christophe Jakubyszyn : Et ces actions par exemple, pouvez-vous les financer en tant qu’assureur ?
Cela fait partie des questions à mettre sur la table. Aujourd’hui, des financements sont possibles, notamment via des aides comme celle du Fonds Barnier. Cependant si les demandes de financement tendent à se généraliser, car nous voyons bien que les besoins vont probablement augmenter dans les décennies à venir, le Fonds Barnier en l’état ne sera pas suffisant.
Sandra Gandoin : On observe aussi que les agriculteurs, pourtant particulièrement touchés, ne sont assurés qu’en faible nombre face à ces risques climatiques, car les coûts sont trop élevés pour eux. N’y a-t-il pas un risque de cassure entre les professionnels qui subissent directement ce changement climatique et les assureurs en face ? N’y a-t-il pas un besoin de nouvelles solutions concrètes pour les prochaines années ?
Oui, tout à fait mais il faut considérer les problèmes individuellement. Par exemple même si les causes sous-jacentes peuvent se rejoindre, les risques concrets qui pèsent sur les agriculteurs ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui portent sur la construction ou sur le secteur automobile. Chaque problème doit donc trouver sa solution. Concernant les risques agricoles, une réflexion globale est en cours et il faut avancer dans cette direction. Le fonds du problème, c’est qu’un très grand nombre d’agriculteurs, en effet, n’est pas assuré contre ces périls.
Christophe Jakubyszyn : Même s’il faut faire plus de prévention et sensibiliser davantage les pouvoirs publics, ne faut-il pas malgré tout se préparer à des augmentations des primes d’assurance ?
Cette étude n’a pas du tout été élaborée en vue de justifier des prévisions de tarifs : nous sommes sur des prévisions sur 30 ans, on ne raisonne pas à aussi long terme en matière. Ce Livre Blanc a vraiment pour vocation de poser le débat sur la nécessaire adaptation de notre société aux changements climatiques. Maintenant par rapport à votre question, je ne puis remettre en cause le principe logique que lorsque les risques augmentent, les primes augmentent également.
Sandra Gandoin : Nous voyons bien que de façon générale, les risques auxquels nous devons faire face sont de plus en plus grands, qu’il s’agisse des changements climatiques mais aussi des cybers attaques ou de pandémies comme celle que nous venons de vivre. Le secteur de l’assurance pourra-t-il résister dans les décennies qui viennent face à ces risques devenus trop grands ?
Vous posez la question de l’assurabilité. Et le fond du problème, c’est toujours la question de l’aléa : pour qu’un risque soit assurable, il faut que l’aléa soit dans une certaine mesure connu et identifié. Or il est vrai qu’en matière de risques climatiques, si nous arrivons un jour à une situation où nous savons avec certitude que dans tel lieu ou tel périmètre il y aura une inondation tous les ans, alors ce lieu ne sera plus assurable. Mais de toute façon avant de ne plus être assurable, cet endroit ne sera déjà plus vivable. Cependant au-delà de ces situations extrêmes que notre rapport n’a pas spécialement mises en lumière, l’assurance est précisément là pour assurer les situations difficiles, c’est sa raison d’être.