Interrogée le 24 janvier par Dimitri Pavlenko lors de la matinale d’Europe 1, la présidente de France Assureurs (ex Fédération Française de l’Assurance) Florence Lustman a évoqué les risques majeurs auxquels devront faire face les assureurs ces 5 prochaines années. Cette interview fait suite à la publication par France Assureurs de leur nouvelle Cartographie prospective des risques de la profession de l’assurance et de la réassurance.
En tant que présidente de France Assureurs, vous représentez la profession et avez publié ce matin votre nouvelle cartographie des risques. Parmi les 25 risques identifiés, tous n’ont pas le même poids. Quelles sont les thématiques qui vous inquiètent le plus ?
Le risque est notre cœur de métier, et gérer les risques implique de les anticiper, de les analyser, les prévenir et les indemniser. Cette étude prospective sur les risques, envisagés à un horizon de 5 ans, fait donc partie intégrante de cette gestion. Elle a été réalisée avec l’appui d’une centaine d’experts de nos compagnies d’assurance. Or cette étude nous enseigne que les risques majeurs à 5 ans sont déjà très présents aujourd’hui : il s’agit en premier lieu des cybers risques et juste derrière, nous avons les risques climatiques.
Lorsque vous parlez de cyber risques, on peut aussi bien penser à une cyber attaque massive qui paralyserait des intérêts nationaux comme le système électrique français, ou à des faits plus banals comme de l’hameçonnage ou du rançonnage auprès d’une entreprise. Incluez-vous toutes ces dimensions sous le chapeau du cyber risque ?
Absolument et ce cyber risque est déjà parmi nous. Rien qu’en 2020, les attaques par rançongiciel ont augmenté de plus de 250%. Et toutes les organisations sont touchées, pas seulement les grandes entreprises : les TPE, les PME, les administrations, les collectivités, les cliniques et les hôpitaux… L’enjeu économique est absolument vital pour tout notre tissu d’organisations.
Le coût du cyber risque a-t-il pu être chiffré à ce stade ?
On l’anticipe mais aujourd’hui, nous avons du mal à le chiffrer. C’est pourquoi nous demandons aux pouvoirs publics la création d’un Observatoire du cyber risque car pour gérer les risques et les assurer à grande échelle, il faut les connaître. En outre aujourd’hui, les gens sont très mal informés et très mal préparés : en conséquence la lutte contre ce risque n’est pas à la hauteur et les assureurs ont du mal à l’assurer. Pour faire un parallèle avec une assurance vol, les comportements moyens en matière de cyber risque équivalent à sortir de chez soi le matin en laissant portes et fenêtres ouvertes, et la clé de voiture sur le tableau de bord.
Vous voulez donc dire que garder un mot de passe de type « 123456 » ou utiliser sa date de naissance, cela revient à sortir chez soi la porte grande ouverte ?
Tout à fait, ces éléments sont expliqués dans notre guide « Anticiper et minimiser l’impact d’un cyber risque », disponible sur notre site www.franceassureurs.fr. Ce guide livre de nombreux conseils très concrets : changer régulièrement son mot de passe, ne pas le laisser traîner, ou choisir les mots de passe les plus longs possible. Nous sommes aussi allés plus loin lorsque j’ai signé en septembre dernier une convention avec la Gendarmerie Nationale et les agents généraux d’assurance, présents sur tout le territoire, dans cet objectif d’aider les entreprises et les éduquer à ce risque. Nous pouvons agir, c’est certain.
Dans votre classement des risques, une préoccupation générale émerge aussi très clairement en ce qui concerne le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement. Que représente aujourd’hui ce risque climatique ?
Au plan macro-économique, ce risque a été chiffré et il est absolument immense. Avec le concours des scientifiques du Laboratoire des Sciences du Climat, de l’Université de Saclay, nous pensons qu’à l’horizon 2050, le coût global cumulé sur la période de ces événements naturels atteindra plus de 140 milliards d’euros, soit 2 fois plus que sur les 30 dernières années. Donc l’enjeu est absolument massif, mais la bonne nouvelle, c’est que nous pouvons agir et nous y préparer.
On doit vous poser sans cesse la question : le monde du réchauffement climatique sera-t-il encore assurable ? Vous semblez dire que oui ?
Nous avons interrogé les Français et aujourd’hui, nous sommes dans une situation paradoxale : à plus de 80%, les Français sont persuadés que les risques et événements naturels vont se multiplier. Pas seulement à l’autre bout du monde, mais y compris en bas de chez eux. Sauf qu’individuellement et même collectivement, nous sommes très mal préparés : plus d’un Français sur deux ne sait toujours pas comment réagir en cas d’inondation. Cela a déjà conduit à des drames, par exemple des gens qui vont continuer à prendre leur voiture alors que tout est inondé, pour aller chercher leurs enfants à l’école…
Parlons d’un autre risque que vous avez identifié, qui concerne sans doute davantage les assureurs professionnels mais arrive en tête dans vos projections à 5 ans : c’est le risque du poids règlementaire. Mais en quoi ce risque peut-il avoir un impact sur les assurés eux-mêmes ?
L’assurance est une activité très régulée, et c’est normal : notre solvabilité est une sécurité pour les assurés. Cependant quand on voit aujourd’hui le nombre de textes en discussion à Paris et à Bruxelles, nous avons toutes les raisons de craindre que ce fardeau administratif augmente encore, de façon disproportionnée. Le problème est que les assureurs doivent rester agiles et réactifs, afin de coller aux besoins des Français et leur apporter des réponses. Or concrètement, ces besoins évoluent en permanence, que ce soit en matière de personnalisation des garanties ou des services, ou en matière de digitalisation. C’est donc en ce sens que nous appréhendons ce risque règlementaire comme un risque réel.