Bernard Le Bras, Président du directoire de Suravenir, filiale du Crédit Mutuel Arkéa, Directeur du pôle produits • Crédit Mutuel Arkea, dans le cadre du #3 magazine* “Dessine-moi la Gestion de Patrimoine ” répond à nos questions.
Bernard Le Bras, vous êtes diplômé de HEC et actuaire et avez fait toute votre carrière dans l’assurance en dirigeant notamment plusieurs sociétés. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours professionnel ?
J’ai en effet fait une carrière d’assureur, en débutant aux AGF en 1983. À l’époque, le groupe recrutait des jeunes diplômés et avait comme politique d’intégration de les amener à parcourir toute l’entreprise pendant une période d’un an. Je n’ai pas terminé ce tour de piste, car on m’a proposé de prendre le poste de Responsable Marketing, alors en phase de création. Puis, après quelques années chez GAN Vie comme Responsable Produits, je suis arrivé en 1990 chez Winterthur Vie au poste de Responsable Actuariat avant de devenir Directeur Vie. En 1995, j’ai été sollicité par le Crédit Mutuel Nord Europe – CMNE – pour prendre la tête de sa filiale LA PÉRENNITÉ, qui est devenue ACMN Vie, société que j’ai quittée en 2011 pour rejoindre le groupe Crédit Mutuel Arkéa et prendre la tête de sa filiale d’assurance vie et prévoyance Suravenir.
Depuis 2016, je suis également Directeur du Pôle Produits et membre du Comité Exécutif du Crédit Mutuel Arkéa.
Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts dans la bancassurance puis chez Suravenir ?
Nous étions, au milieu des années 90, dans les belles années de l’assurance vie. C’était une période où il y avait tout à construire. L’activité se développait de manière significative au sein des réseaux bancaires. A la fin de la décennie, nous avons démarré la distribution sur internet. C’est à cette époque que sont apparus les premiers courtiers en ligne avec lesquels le business était encore modeste mais prometteur.
En arrivant chez Suravenir, je me souviens surtout des inquiétudes relatives à la poursuite ou non de l’activité de Vie Plus avec les CGP indépendants. Beaucoup pensaient que je ne souhaitais pas conserver ce canal de distribution et que nous allions le céder : ce n’est pas la décision que nous avons prise et nous avons fait le bon choix. A cette date, Vie Plus collectait 200 millions d’euros par an. Aujourd’hui, nous dépassons le 1,6 milliard. La structure vient d’ailleurs de fêter en décembre dernier ses 35 ans.
Quel est le secret de cette réussite selon vous ?
Je crois que ce qui perturbe beaucoup les entreprises, ce sont les changements radicaux de stratégies. Ce n’est pas un mode de fonctionnement que je défends, même si bien sûr je peux en comprendre les raisons. Au CMNE, j’ai regretté l’arrêt, quasiment du jour au lendemain, du développement de la distribution de l’assurance-vie sur le canal internet. Une activité que nous avons d’ailleurs développée avec force chez Suravenir et dont nous voyons aujourd’hui le succès. Lorsque l’on est à la tête d’une entreprise, on se doit de mobiliser les équipes et cette mobilisation n’est vraiment possible que si tout le monde est convaincu que les projets iront jusqu’au bout. Les équipes ont envie de voir le résultat du travail dont elles peuvent être fières. Un arrêt brutal n’est jamais bon. Nous parlions à l’instant du très fort développement de Vie Plus, notre filière de distribution dédiée aux CGP : c’est un bel exemple de continuité dans la durée.
En effet, le Crédit Mutuel Arkéa avait misé sur le canal des indépendants avec Vie Plus. En arrivant, j’ai choisi d’opter pour la continuité et de faire confiance au modèle. Nous n’avons quasiment rien changé. Nous avons conservé les équipes et la majorité des personnes présentes il y a une dizaine d’années l’est toujours. Nous avons en revanche décidé de faire évoluer la politique produit.
Avez-vous des souvenirs particulièrement marquants dans votre carrière ?
Bien sûr, de nombreux, mais si je devais en retenir un particulièrement fort j’évoquerais un événement qui m‘a marqué, à double titre, c’est la disparition en juillet 2013 de Patrick Petitjean, dirigeant et fondateur de Primonial. D’abord parce qu’il s’agissait d’un ami et ensuite parce que cela a déclenché notre action de prise de participation, à hauteur de 45 % sur la société, ce qui a été pour moi, professionnellement, un moment important dans la mesure où j’ai été à la manœuvre du dispositif. Même si nous avions déjà engagé ensemble le processus de lancement du contrat d’assurance vie Sérénipierre, il s’agissait d’une prise de risque non négligeable pour le Crédit Mutuel Arkéa car la situation financière de Primonial était compliquée à l’époque.
Vous êtes à l’origine du renouveau de Primonial
Renouveau, je ne sais pas, mais j’ai défendu le dossier. Le Crédit Mutuel Arkéa était totalement convaincu et tout s’est très bien passé, malgré la crise de 2009 sur le marché de l’immobilier qui a fortement impacté les actifs du contrat que nous avions lancé avec Primonial. Je me souviens qu’à ce moment-là, quelques journaux prédisaient un avenir sombre pour Primonial, ils se sont trompés. Le Crédit Mutuel Arkéa a cédé sa participation dans Primonial en 2019 et cette opération a certainement été une des plus belles réussites financières pour le groupe. C’est un des rares cas où l’on a pu concilier une participation au capital avec une synergie business qui a véritablement valorisé la société, grâce notamment à la partie immobilière qui était un marché sur lequel le Crédit Mutuel Arkéa n’était pas positionné auparavant. Primonial était une pépite et l’est d’autant plus aujourd’hui.
Vous êtes un des pionniers de l’épargne en ligne, en full digital. Beaucoup à l’époque n’y croyaient pas. Quel message leur adresseriez-vous aujourd’hui ?
Le développement de la distribution sur Internet faisait partie de ma feuille de route en entrant chez Suravenir. Après le revirement du CMNE sur le sujet, la direction du Crédit Mutuel d’Arkéa m’a dit très rapidement « nous regardons depuis longtemps ce que vous réalisez sur le canal en ligne et si vous êtes libre, vous serez le bienvenu chez nous ».
Oui, je pense avoir été l’un des pionniers tout comme Daniel Collignon. Nous en parlions encore il y a quelques semaines et nous nous disions, en toute modestie et amitié, même si nous sommes concurrents, que nous avons permis au secteur de l’assurance vie d’évoluer dans ce domaine. Bien sûr, il y a d’autres acteurs en ligne, mais leur activité est moindre.
Tout au long de ces années, beaucoup de distributeurs ont voulu se positionner sur internet et cela continue aujourd’hui, bien sûr. Pourtant l’exercice n’est pas forcément simple. Nous avons toujours tendance à ne parler que des réussites, mais il faut avouer qu’il y a eu aussi quelques échecs, mais qui nous font toujours avancer. La vente par internet suppose un minimum de savoir-faire ce qui, objectivement, n’est pas le cas non plus de tous les assureurs. Aujourd’hui, je pense que bon nombre de compagnies aimeraient se lancer dans l’aventure, mais ne savent pas encore comment procéder. Chez Suravenir, nous avons été capables d’aller vite, au départ, en accueillant les partenaires orphelins d’ACMN Vie suite à son changement de politique vis-à-vis des partenaires en ligne. Dire que nous sommes les meilleurs dans ce domaine serait bien sûr prétentieux, mais nous nous défendons très bien. Notre force est de pouvoir compter sur la mobilisation des équipes. Quand je suis arrivé dans la société, beaucoup d’informaticiens de Suravenir n’avaient jamais bougé du siège social de Brest. Mais nous avons réussi à faire évoluer les choses en les amenant à rencontrer les partenaires sur le terrain. Le budget informatique de Suravenir est important, environ 10 000 jours hommes. Mais c’est cette motivation des collaborateurs qui fait la différence et qui a permis cette réussite. Néanmoins, je reste convaincu que le poids de l’assurance vie en ligne va se développer. Le fait de ne plus avoir à manipuler des stocks de papier est une grande avancée. En même temps, je suis convaincu aussi que les utilisateurs auront besoin d’une présence humaine, pour un conseil ou pour débloquer une situation complexe.
Des réflexions sont toujours en cours sur l’assurance vie, notamment sur les frais et la transparence des rémunérations. Quelle est votre perception de ces débats ?
Cette thématique est un peu mon quotidien. Certains distributeurs ont une approche consumériste, voulant faire toujours moins cher. Puis, avec le temps, ils se rendent compte que le « moins cher » oblige à lever des fonds dans tous les sens. Et lorsque que les prêteurs de capitaux, en regardant les business plans, s’aperçoivent que la rentabilité se situe à une échéance très lointaine, ils reviennent à la réalité.
Dans le même temps, les pouvoirs publics donnent l’impression de favoriser une politique qui est à mon sens un peu « low cost ». Vouloir que les frais soient les plus bas possibles, n’est pas forcément à l’avantage du client. Dans ce débat autour des frais et de la transparence, il ne faut pas oublier la question de la rémunération du travail du conseiller, de l’assureur, ou encore de la société de gestion. Personne ne peut travailler pour rien sauf à risquer de conduire, comme dans certains pays, à la fin du conseil. Sous une forme ou sous une autre, qui dit travail dit facturation. J’essaie pour ma part d’employer le terme de juste rémunération dans laquelle les frais peuvent se justifier. Attention aux idées de plafonnement des frais tout comme à la multiplication du nombre de documents à produire qui seraient des mesures contre-productives pour le secteur et les assurés.
Vous avez été un pionnier sur internet et aujourd’hui vous affichez vos convictions sur la lutte contre le réchauffement climatique. Vous avez défini une stratégie climat. Quelle est-elle ? Comment se décline-t-elle ?
Soulignons pour commencer que le Crédit Mutuel Arkéa a exprimé la vision engagée de la contribution qu’il entend apporter à la société et au développement économique, avec l’adoption, en 2020, de sa « Raison d’être » : nous voulons être acteur d’un monde qui se conçoit sur le long terme et prend en compte les grands enjeux sociétaux et environnementaux de notre planète pour les prochaines générations. Nous y contribuons en pratiquant une finance au service des territoires et de leurs acteurs qui s’inscrit dans la durée et aide chacun à se réaliser.
La stratégie climat a été définie par le Groupe Crédit Mutuel Arkéa dans le cadre de son plan stratégique 2021/2024 et nous nous inscrivons donc complétement dans cette politique globale.
En l’occurrence, cet engagement pris par le Crédit Mutuel Arkéa vise à sortir des énergies fossiles, ce qui signifie concrètement pour Suravenir de ne plus investir pour son actif général dans des sociétés intervenant dans le domaine du charbon avec un certain nombre de ratios à respecter. Concernant les unités de compte, notre politique va consister à ne plus référencer de supports article 6 selon la réglementation Disclosure et à privilégier les labels. Bien entendu, cela n’empêche absolument pas de discuter sur la pertinence ou la qualité des labels en vigueur sur le marché. J’ai bien conscience qu’il s’agit plutôt d’une démarche d’exclusion qui peut dans certains cas avoir ses limites. Prenons le cas d’une société pétrolière, cette société sera exclue parce qu’elle intervient dans les énergies fossiles mais ce qui ne l’empêche pas d’investir de manière très significative dans le développement des énergies renouvelables. De notre côté, nous allons néanmoins commencer par suivre cette nomenclature qui peut avoir un côté incitatif sur les sociétés de gestion pour les amener à développer cette labellisation.
Et puis, nous cherchons toujours à aller plus loin, en innovant sur ce sujet : je pense évidemment au partenariat que nous avons conclu avec Novaxia. En l’espace de 10 mois, Novaxia R le fonds labellisé ISR et Finansol, a enregistré une collecte de 150 millions d’euros, dont 100 millions réalisés par Suravenir et qui se répartissent à un niveau équivalent entre nos trois réseaux de distribution : bancaire, CGP et internet.
Concernant nos mandats de gestion qui composent la gamme « Conviction », nous réfléchissons à de nouvelles évolutions et travaillons avec les sociétés de gestion pour, là aussi, privilégier des fonds labellisés.
Toutes ces initiatives extra financières ne se traduisent pas directement sur le taux de rendement servi au client. Mais aujourd’hui les clients sont de plus en plus attentifs à ces engagements. Ces actions s’inscrivent aussi, et c’est très important, dans notre démarche de préparation pour devenir entreprise à mission. En tant que membre du comité stratégique de Novaxia, qui est elle-même une entreprise à mission, je sais à quel point ce chemin est très engageant pour l’avenir.
*ITW du magazine « Dessine-moi la Gestion de Patrimoine », production Vovoxx, en Janvier 2022, que vous pouvez télécharger gratuitement et sans laisser de datas. Le #4 de ce magazine est prévu pour Mai/Juin 2022.