Gestion de patrimoine : le droit et vous, par Ophélie Pernet, juriste senior chez Astrée Avocats
Dans le cadre d’une action destinée à engager la responsabilité d’un conseiller en investissements financiers pour défaut de conseil et de mise en garde, la prescription vient évidement limiter dans le temps le risque pour le professionnel de subir les conséquences financières de ses manquements.
Le manquement du conseiller conduit en effet, en cas de défaut de conseil, à la perte de chance pour le client de ne pas souscrire ou de ne pas procéder à l’investissement en cause.
La prescription est par défaut quinquennale en application de l’article 2224 du code civil. D’après ce texte, la prescription court à compter du jour où le client a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
On pourrait ainsi logiquement penser que dans le cadre d’une action visant à engager la responsabilité du conseiller en investissement pour des défauts de mise en garde et de conseil, la prescription commencerait à courir à compter de la date de souscription des produits d’investissement.
Or, il résulte de l’application du texte par les juges que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité serait en réalité différé.
En effet, la Cour de cassation estime que le point de départ de la prescription débute à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est relevé à la victime (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 janvier 2019, 17-21.218).
Cela signifie alors que la prescription d’une action en responsabilité à l’encontre du conseiller pour défaut de conseil aurait un point de départ différé à la date de réalisation de la perte financière réalisée sur l’investissement. Ce point de départ ne serait pas la date d’investissement, lors de la délivrance du devoir d’information et de conseil au client par le conseiller en investissements financiers.
En l’espèce, un contrat d’assurance vie avait été souscrit par des conjoints en 2002. Ces derniers avaient pu conclure un prêt bancaire pour le financement de cette opération. Les revenus du contrat d’assurance n’ayant pas permis de couvrir le prêt, les époux ont assigné le distributeur et la banque en indemnisation.
Le distributeur avait opposé en défense une fin de non-recevoir du fait de la prescription en estimant que le manquement conduisant à la perte de chance de ne pas contracter ou d’éviter le risque était réalisé à la conclusion du contrat, soit en 2002. La cour d’appel avait rejeté cette fin de non-recevoir tirée de la prescription en précisant que le dommage n’était pas réalisé à la conclusion du contrat.
La Cour de cassation confirme le jugement d’appel attaqué en estimant que l’action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance.
Elle estime ainsi qu’en l’espèce le dommage s’était réalisé non pas à la souscription du contrat mais à la date de remboursement du prêt en 2012 « dans la mesure où, pendant toute la période antérieure, le contrat d’assurance sur la vie pouvait connaître une évolution favorable et, finalement, permettre le dénouement de l’opération sans perte pour les souscripteurs ».
Pour rappel, le préjudice causé par un manquement du conseiller à ses obligations de conseil et de mise en garde est en pratique réparé par les juges du fond au titre de la perte de chance de ne pas avoir souscrit ledit contrat.
La jurisprudence exclut par principe toute demande à la hauteur de la totalité des pertes subies mais se limite à une certaine somme correspondant à la seule chance perdue (3ème Civ., 7 avril 2016, n°15-11.342). Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 15 mars 2017 (n°15-16.406) explique précisément que « le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies »
En pratique, les juges du fond apprécient souverainement le chiffrage réalisé pour calculer cette perte de chance en appliquant un coefficient minorateur au montant total des sommes perdues.
Ce coefficient est déterminé par un pourcentage de l’indemnisation qui aurait été allouée pour réparer le dommage certain.
Cette jurisprudence expose ainsi les CIF et les courtiers d’assurance à une responsabilité en pratique quasi illimitée au vu de la définition du point de départ de la prescription quinquennale. Alors même que le conseil aurait été délivré il y a plus de 5 ans, le conseiller en investissements financiers ou le courtier d’assurance pourrait être tenu responsable tant que l’opération d’investissement n’est pas soldée par l’absence de perte pour le client. L’action en responsabilité ne serait prescrite qu’à condition qu’aucun « dommage » financier ne soit constitué, peu important sa date de survenance, le point de départ de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité étant la survenance ou la révélation dudit dommage.
Source : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038060646