Suite à son approbation en Conseil des Ministres le 1er décembre 2021, le projet de loi de réforme de l’Assurance Climatique Multi-Risque (MRC) ou Assurance Récolte, visant à instaurer une protection universelle, doit maintenant être approuvé par les parlementaires. L’objectif reste une adoption définitive du texte avant les prochaines élections législatives, pour une application au 1er janvier 2023. Bien qu’une nouvelle étape ait été franchie par l’adoption du texte en première lecture le 12 janvier par l’Assemblée Nationale, des incertitudes et interrogations demeurent, des professionnels du secteur jugeant le dispositif insuffisant.
Le calendrier
Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce texte, celui-ci a d’abord été examiné le 6 janvier par la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale, avec comme rapporteur le député Frédéric Descrozailles. Celui-ci avait déjà présidé le Groupe de Travail relatif à la Gestion des Risques et l’Assurance Récolte, ayant débouché sur la remise d’un rapport le 26 juillet dernier au Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, ce rapport ayant largement inspiré le projet de loi soumis à l’Assemblée.
Le 12 janvier, le projet de loi a été adopté en séance plénière au Palais Bourbon, la prochaine étape étant maintenant son examen au Sénat en février.
Les objectifs et les principes du projet
En présentant le projet en Commission des Affaires Economiques, le rapporteur Frédéric Descrozaille a rappelé le contexte dans lequel s’inscrit le projet ainsi que ses objectifs. Il s’agit d’abord de développer, d’améliorer dans l’agriculture le rapport au risque et à l’aléa. Si les fonds de gestion des risques se sont développés progressivement, par la création du Régime des Calamités en 1964, puis par la loi de 2006 créant l’assurance Récole MRC subventionnée par des fonds européens, l’objectif de ce nouveau projet est de renforcer la complémentarité entre la solidarité nationale et l’assurance privée afin d’offrir aux agriculteurs une meilleure protection face aux aléas climatiques qui ne cessent de s’intensifier.
Auparavant, la logique restait une logique d’exclusion mutuelle des deux régimes, chaque sinistre devant nécessairement relever soit de la solidarité nationale à travers le régime CATNAT, soit d’une indemnisation par une assurance privée. Il s’agit aujourd’hui de changer cette logique de séparation des deux régimes, à travers un raisonnement plus réaliste. Au vu du changement climatique et de la multiplication des sinistres liés aux aléa climatiques, « l’Etat ne prétend plus savoir exactement où passe la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l’est pas, tout évolue trop vite, » reconnait le rapporteur Frédéric Descrozaille. La réforme vise à élaborer un dispositif plus flexible qui permette de suivre le déplacement de cette frontière, rendant possible un avenir d’adaptation au changement climatique. Frédéric Descrozaille a donc rappelé le nouveau principe « d’une meilleure complémentarité entre les assureurs et l’Etat, sur une base de recours universel. »
Autres principes du projet de loi, celui de la liberté des exploitants de s’assurer ou non, ainsi que la liberté pour les assureurs de développer chacun sa propre politique d’assurance commerciale, son propre modèle d’assurance. Au fonds, la seule contrainte fondamentale est celle de la solidarité :
- solidarité entre les assureurs à l’intérieur d’un pool qui mettra l’ensemble des données économiques, financières et assurantielles en commun.
- solidarité des assureurs envers le monde agricole
- solidarité de la Nation à travers le budget public alloué chaque année dans le cadre du projet de loi de finance.
Ainsi concrètement, l’architecture du projet de loi compte trois niveaux d’indemnisation. Au premier niveau, les agriculteurs assument sur leurs propres deniers les pertes les plus modestes. Au-delà d’un seuil restant à définir, interviennent les assureurs, puis enfin le troisième niveau fait intervenir les fonds publics afin d’indemniser les sinistres « d’ampleur exceptionnelle ». Cependant les indemnités versées par l’Etat ne feront que compléter celles versées par les assurances. Un guichet unique est en outre créé pour simplifier les démarches.
L’objectif avoué du gouvernement est d’inciter davantage les agriculteurs à s’assurer face aux risques climatiques : aujourd’hui, seulement 30% des surfaces agricoles le sont, à cause de tarifs considérés comme trop élevés par les agriculteurs et reconnus comme tels par le Ministre de l’Agriculture lui-même.
« Aujourd’hui, avec la multiplication des aléas climatiques, de moins en moins de collègues font le choix d’assurer leurs vignes. Le problème, c’est que le risque n’est plus supporté par assez de monde » estime par exemple Christophe Ferrari, vigneron installé à Irancy (Yonne) depuis 35 ans.
Ainsi à travers ce projet de loi, l’Etat promet aux assurés une meilleure indemnisation des dégâts, des délais plus courts pour leur prise en charge et des démarches simplifiés. En revanche, lorsque la nouvelle loi sera en vigueur, même en cas de pertes lourdes, les non-assurés seront nettement moins indemnisés qu’actuellement en cas de catastrophe, puisque le projet renforce la complémentarité entre les prises en charge des assurances et celles par la solidarité nationale.
Des questions en suspens
Cependant le projet de loi laisse de nombreux points en suspens et de nombreux agriculteurs le jugent insuffisant. Adrien Michaut, président de la Fédération de défense de l’appellation Chablis (FDAC), demande que « la méthode de calcul [des indemnisations] soit revue ». Actuellement, ce sont les cinq dernières années d’exploitation qui sont prises en compte pour calculer les pertes de récolte en cas de sinistre, à l’exception du pire et du meilleur résultat. Or les différents aléas climatiques récents n’ont cessé de faire baisser les moyennes années après années. « Du coup, ça ne vaut pas le coup de s’assurer. L’assurance nous coûte trop cher par rapport à ce qu’on peut être indemnisé » selon le président de la FDAC.
En définitive, agriculteurs comme assureurs sont partagés. Pour la FNSEA, ce projet « va dans le bon sens ». En revanche la Confédération paysanne estime que le dispositif laissera trop d’exploitants sans indemnités et donnera encore « trop de latitude aux assureurs ». Lors d’un sondage réalisé sur Web-agri du 7 au 15 décembre 2021 auprès de 632 exploitants agricoles, une majorité de 54,1 % jugeait défavorablement cette réforme, et 21,83 % d’entre eux affichaient un certain scepticisme. Seuls 1,8 % des répondants imaginaient que la nouvelle loi les inciterait à s’assurer davantage.
Du côté des assureurs, tout en estimant que cette réforme « va dans le bon sens », la vigilance reste également de mise face aux nombreuses questions renvoyées à des décrets d’application ainsi que les incertitudes sur le budget. Dans le communiqué publié le 1er décembre par la Fédération des syndicats des agents généraux d’assurance (Agéa), son président Pascal Chapelon ne cachait pas sa volonté de continuer à « faire évoluer le texte. » Le projet de loi voté à l’Assemblée n’a pas levé les interrogations relatives aux seuils de perte de récolte, aux taux de subventions publiques dont bénéficieront les assurances Récolte, ainsi qu’aux niveaux de franchise… Il prévoit au contraire la remise d’un rapport dans un délai de 6 mois après la promulgation de la loi « sur la mise en place des seuils de déclenchement de subvention des primes des contrats d’assurance multirisques et de pertes à partir desquels les contrats deviennent éligibles au mécanisme de la subvention. »
Ces questions sont cruciales car elles détermineront concrètement le succès ou non de l’incitation des exploitants agricoles à s’assurer davantage, ce qui constitue l’objectif majeur du projet. En attendant, comme le souligne Jérôme Régnault, agriculteur dans les Yvelines interrogé sur Europe 1, « il y a urgence à ce que les exploitations soient massivement assurées. Il faut absolument avoir les outils nécessaires pour couvrir les risques car aujourd’hui, tout se multiplie, des événements autrefois considérés comme exceptionnel sont devenus récurrents. »