Les entreprises font face à de nouvelles générations de consommateurs, les générations Y et Z, ultra connectées et nourrissant des exigences spécifiques. Applications smartphone, réponses par messagerie instantanée, déploiement d’objets connectés, caisses automatiques en magasin : banques, assurances comme les autres secteurs rivalisent d’ingéniosité et de solutions personnalisées pour s’adapter. Pour autant, la place grandissante du digital dans l’expérience client pose un certain nombre de questions, touchant à la vie privée et la collecte de données personnelles. Par ailleurs, l’interaction humaine demeure un élément déterminant de la satisfaction client : entre le cerveau humain et l’intelligence artificielle, le tout reste de trouver les bonnes complémentarités. Différents experts nous éclairent sur le sujet.
Les apports de l’intelligence artificielle
Co-fondateur et directeur général de la startup Kiliba, spécialisée dans l’automatisation marketing, Amaury de Larauze a démontré combien l’automatisation des relations via l’intelligence artificielle a pu favoriser les expériences client.
Tout part d’un certain paradoxe : les consommateurs désignent en priorité l’email comme canal de communication à privilégier pour recevoir des informations de la part des marques et des entreprises. Moins invasif qu’un SMS ou qu’un message envoyé par chat, l’email permet à son destinataire de lire celui-ci au moment souhaité, ne nécessitant pas généralement de réponse urgente ou immédiate, sinon l’émetteur aurait privilégié un autre canal de communication. Mais les consommateurs sont dans le même temps les premiers à se plaindre d’être bombardés d’emails promotionnels, au point de ne plus leur accorder d’attention et de les mettre directement en corbeille, à moins qu’ils n’aient été considérés d’office comme des spams. Naturellement, les professionnels sont conscients de ce problème et cherchent de plus en plus à personnaliser leurs relations avec les consommateurs pour leur adresser des communications plus ciblées et plus pertinentes, auxquelles il sera prêté davantage attention.
Cette tâche est aujourd’hui considérablement facilitée par l’intelligence artificielle et les algorithmes. L’exploitation des cookies et des comptes clients permet d’étudier le comportement de ces derniers sur le web, notamment les produits consultés sur le site de la marque ou la fréquence de ses visites. De quoi permettre aux algorithmes de segmenter différentes typologies de clients.
Il revient alors aux équipes marketing de définir différents scénarios en fonction du comportement du consommateur afin de lui adresser le message approprié, aidées en cela par l’intelligence artificielle afin de créer des relations de cause à effet. Par exemple, si une personne se rend sur un site et le quitte sans avoir rien acheté, celle-ci peut recevoir automatiquement un email lui proposant de nouveau les produits que la personne avait mis dans son panier sans conclure d’achat, ou encore des produits que les personnes issues de la même typologie ont achetés. L’IA facilite alors la génération d’une vraie relation client personnalisée, avec une fréquence soutenue, ce qu’il aurait été quasiment impossible d’obtenir si les marketeurs avaient dû s’en passer.
Au final, les résultats concrets sont éloquents : « Le consommateur se sent pris en compte, écouté, chouchouté et la relation s’installe, une relation fidèle et suivie, comme toutes les marques en rêvent ! Le constat est qu’avec cette personnalisation rendue possible grâce à l’IA, le taux de désabonnement est faible et les taux d’ouvertures et de clics sont très élevés, en B2C comme en B2B », souligne Amaury de Larauze.
La nécessité de garantir la vie privée
Cette utilisation des algorithmes, de l’intelligence artificielle et des données relatives aux comportements des consommateurs, ne va pas sans poser un certain nombre de questions. L’ultra personnalisation des relations clients implique de la part des marques une immixtion plus grande dans la vie privée. Il leur revient donc respecter certaines limites et d’offrir des garanties jugées indispensables à une expérience client réussie.
Consultant Senior du cabinet Vertuo Conseil, spécialisé dans le management et l’organisation au sein des métiers de la banque, de la finance et des assurances, Geoffroy Buguet a livré différentes clés permettant de combiner efficacement les outils digitaux d’analyse de données et les garanties indispensables touchant au respect de la vie privée. L’émergence de certains scandales ayant touché les GAFA a naturellement accentué la méfiance du grand public envers l’utilisation de leurs données. Il revient donc aux entreprises de communiquer, rassurer et prouver leur bonne foi.
Afin d’instaurer une relation de confiance, il est nécessaire de redonner le contrôle au client tout au long de sa relation avec la marque ou l’entreprise, en levant tout doute à chaque étape. La transparence et la communication constituent ainsi des priorités essentielles. Si certaines avancées en la matière se sont déjà concrétisées, d’importants efforts restent à accomplir, par exemple au sujet des cookies qui permettent d’enregistrer le comportement des utilisateurs sur les sites web. « Les fenêtres liées aux cookies sont aujourd’hui poussées de façon intempestive au sein des parcours et perturbent considérablement l’expérience utilisateur. […] L’utilisateur cherche alors plutôt à s’en débarrasser et l’objectif de transparence et de pédagogie perd tout son sens, » relève Geoffroy Buguet.
Autre axe de progression, la possibilité donnée aux utilisateurs par certaines entreprises de valider ou non l’utilisation faite de leurs données personnelles. « Depuis avril 2021, Apple permet aux utilisateurs d’accepter ou de refuser d’être suivi à la trace sur chaque application mobile. Ainsi l’entreprise devient actrice et garante de l’utilisation des données tout au long du parcours client, et ce même après la vente de l’appareil », relève Geoffroy Buguet, soulignant par cet exemple l’implication explicitement demandée ici à l’utilisateur dans la gestion de ses données.
Dans des secteurs comme la banque et l’assurance, le caractère hautement confidentiel des données personnelles traitées nécessite d’autant plus de communication et de pédagogie pour rassurer les clients, en particulier dans le cadre d’utilisation d’applications mobiles de paiement ou d’agrégation de compte (Lydia, Linxo, Bankin’…) Pour utiliser ce genre de services, il revient à l’utilisateur de renseigner sur ces applications ses identifiants et mots de passe de connexion à ses comptes bancaires, pour permettre à l’application d’y accéder. Or Geoffroy Buguet relève que « certaines de ces applications ne font pas toujours mention explicite de la manière dont transitent les données, ou encore quels protocoles de sécurité sont employés afin de sécuriser les transactions. Celles-ci doivent travailler sur ces leviers de réassurance pour optimiser l’expérience utilisateur » et rassurer ce dernier.
Au final, « la clé du succès d’une expérience hyper-personnalisée réside dans la capacité des entreprises à rassurer et accompagner leurs clients durant l’expérience : améliorer la transparence des informations, donner le contrôle à l’utilisateur et communiquer tout au long du parcours », conclue Geoffroy Buguet, suggérant la mise en place d’une politique de type Privacy By Design. Celle-ci consiste à « intégrer la vie de la donnée en amont de la construction de l’expérience client : cette démarche peut permettre de transformer cette charge en un atout de confiance pour l’entreprise et ainsi créer un avantage concurrentiel. »
Comment réconcilier l’Homme et la machine ?
Perçue comme un outil favorisant la flexibilité et la proximité des échanges, la digitalisation reste soumise à la condition que chaque partie, entreprise et consommateur, garde la maitrise de ses actes comme de ses informations. A cet effet, le cabinet de conseil en management Axys Consultants a dispensé sur son blog un certain nombre de clés visant à concilier et mieux coordonner les rôles complémentaires joués par l’Homme et la « machine ».
L’équipe d’Axys est d’abord partie du constat que la pandémie ayant privé les consommateurs de tout contact physique avec leurs interlocuteurs (conseillers, vendeurs, SAV…), les services clients des entreprises, par téléphone ou par Internet, ont joué un rôle primordial et ont enregistré une nette hausse des demandes. Les entreprises ont dû nécessairement s’adapter : face au caractère soudain du premier confinement, la solution immédiate a consisté à renforcer les effectifs des services clients, y compris en y affectant par exemple des vendeurs ou des agents se retrouvant dans l’incapacité de poursuivre leur métier initial, du fait de la fermeture des points de vente.
Cependant en parallèle, d’après le Livre Blanc publié par Axys Consultants, 56% des entreprises affirment que la pandémie a accéléré le déploiement de l’intelligence artificielle : « Après une année 2020 marquée par le déploiement des outils intégrant l’IA pour automatiser les tâches des agents, 2021 se concentre sur ceux permettant d’exploiter les données client, et ceux facilitant les réponses à leurs demandes comme le chatbot et le voicebot. » Le chatbot constitue aujourd’hui « le 2ème outil le plus déployé et donnant le plus de satisfaction [auprès des entreprises] mais également auprès des consommateurs. Ils se sont familiarisés à sa présence et il se classe sur le podium des canaux les plus utilisés pour contacter le service client, détrônant les réseaux sociaux. »
Du côté des entreprises comme des consommateurs, la confiance envers ces nouveaux outils reste relative et très progressive : « la crainte que les outils intégrant l’IA déshumanisent la relation client passe de 65% à 57,5% en 2021. L’IA est perçue comme une aide précieuse mais, pour certaines tâches, l’homme est toujours considéré comme plus performant. 63 % des entreprises estiment qu’une demande traitée par un conseiller donnera de meilleurs résultats que si elle l’est par un chatbot. » Cette confiance progressive, ou cette défiance persistante selon comment ces chiffres sont interprétés, souligne une évidence : face à une telle révolution ayant bousculé d’anciennes habitudes comportementales si longuement ancrées, les entreprises comme les consommateurs ont besoin de recul sur un temps long afin d’accorder à ces nouveaux outils une confiance maximale.
En définitive, les experts du cabinet Axys soulignent que « consommateurs et salariés semblent apprivoiser la technologie et notamment l’IA peu à peu, même si le chemin est encore long. » Afin de le poursuivre, il revient encore aux entreprises de rassurer les utilisateurs à chaque étape et de faire preuve de davantage de pédagogie, sans minimiser les enjeux ni les dramatiser. A ce stade, nous sommes encore en pleine phase de transformation des rapports entre les consommateurs et les entreprises, une phase loin d’être achevée. La clé d’une confiance pérenne et durable entre les deux parties demeure la poursuite d’objectifs partagés, bénéficiant à chacun. Tant que les bénéfices seront équitables de part et d’autre, la confiance envers ces nouvelles technologies poursuivra sa progression. Au fond, l’indispensable personnalisation de la relation client repose sur deux leviers n’ayant rien de surprenant : les outils digitaux et les rapports humains. Deux leviers à articuler simultanément et en harmonie. Vaste programme !