L’enjeu de la diversité au sein des entreprises ne se limite pas à la seule lutte contre les discriminations. De plus en plus d’acteurs du monde économique soulignent que la diversité constitue une source de performance pour l’entreprise : diversifier davantage les profils, y compris au plus haut niveau de responsabilités, aurait un impact bénéfique sur la prise de décision, et donc sur les performances. Mettant en avant des politiques RH et RSE renouvelées, le secteur de l’assurance et des mutuelles santé s’engage progressivement dans cette voie, même si beaucoup de chemin reste encore à faire.
Développé par la NASA, le concept du VUCA évoque le monde dans lequel nous vivons, devenu de plus en plus volatile (V), incertain (Uncertain), complexe (C) et ambigu (A). Face à cette instabilité, ce concept pousse davantage les entreprises à raisonner en termes d’innovation et de créativité, à prendre des risques plutôt que se borner à reproduire un modèle qui pourrait s’avérer obsolète du jour au lendemain. Dans ce contexte, d’après l’opérateur de performance Akto, la qualité de la prise de décision représente 95 % de la performance d’une organisation. Appuyé par l’expertise de Laurent Depont, Directeur de l’Institut de Neurocognitivisme (INC) et consultant en stratégie RH, le constat établi semble sans appel : « En moyenne, une équipe composée uniquement d’hommes prend 58% de bonnes décisions. Une équipe diverse en termes de sexe, d’âge, d’origine, passe à 87 %. »
La diversité améliore-t-elle la performance des entreprises ?
Le cabinet international de conseil en stratégie McKinsey, ayant établi le premier baromètre de la diversité dans les entreprises, ne manque pas de souligner depuis une quinzaine d’années la corrélation positive entre la diversité au sens large et la performance économique des entreprises. Selon leur étude, « les entreprises où la diversité est une réalité sont jusqu’à 36% plus susceptibles d’avoir de meilleurs résultats financiers. »
Ces meilleurs résultats s’expliqueraient notamment par une capacité d’innovation boostée : une enquête internationale de Boston Consulting Group rapporte que les équipes dirigeantes faisant la part belle à la diversité sont davantage susceptibles d’innover que les autres, à hauteur de 19%. Le fait de rassembler des profils différents, de croiser les points de vue, les parcours et les expériences favoriserait la stimulation intellectuelle : l’entreprise serait ainsi plus agile, plus apte à évoluer voire à se remettre en cause dans le contexte « VUCA ». En bref, cette capacité d’innovation liée à la diversité aurait un impact direct sur la performance, sans oublier qu’en matière de gestion RH, une meilleure intégration des salariés quels qu’ils soient favorise la cohésion d’équipe et leur engagement en faveur de l’entreprise.
En France, le cabinet Mozaïk RH, spécialisé dans le recrutement des diplômés de la diversité, a été à l’initiative du premier sommet de l’inclusion économique. Son fondateur Saïd Hammouche confirme les constats établis par ces différentes études : « A court terme, si vos salariés ont tous le même profil, vous gagnez peut-être du temps lorsque vous lancez votre projet, mais très vite, la diversité va vous permettre d’aller plus loin, et de gagner de nouveaux marchés. »
La diversité au service de la croissance
Autre entité de référence, le Cercle des Economistes s’est quant à lui penché via une note sur l’insertion professionnelle de jeunes catégories de population rencontrant des difficultés : les jeunes qualifiés issus des quartiers populaires et plus largement les jeunes NEETS, c’est-à-dire n’étant ni en situation d’emploi, ni en formation. Les auteurs du rapport établissent le constat d’un « immense gâchis : les études que nous avons menées et qui doivent être poursuivies, indiquent que si l’on développait des politiques efficaces pour résoudre ces deux problématiques d’insertion, nous pourrions gagner environ 0,4 % de croissance annuelle. »
Ce gain de croissance serait obtenu par la conjonction de deux éléments :
- la suppression du coût pour la société, lié à l’inactivité de ces jeunes (évalué il y a 10 ans à 12 000 € par jeune NEET en France d’après une étude de l’Eurofound),
- le gain potentiel lié à l’insertion de cette nouvelle main d’œuvre, qui contribuerait ainsi à la réduction de fractures territoriales
« Avec 1,5 millions de jeunes éloignés de l’emploi, l’impact serait absolument majeur ! On ne se rend pas compte à quel point cette situation est non seulement socialement inacceptable mais un véritable handicap pour la croissance », interpelle Jean-Hervé Lorenzi, président du directoire du Cercle des économistes.
Quid des assureurs ?
Dans le secteur de l’assurance, les efforts en matière la diversité sont principalement passés, ces dernières années, à travers le combat pour la parité hommes-femmes et leur égale représentation au sein des différentes instances dirigeantes. Interrogée dans le dernier numéro de Dessine-moi l’Assurance, Isabelle Hernu, Directrice Conseil Retraite, Investissements et Multinationales chez Mercer France, affirme la nécessité d’aller beaucoup plus loin : « Les quotas sont nécessaires mais pas suffisants, un changement culturel doit aussi s’opérer. La crise sanitaire a accentué la nécessité de transformation des entreprises et cette transformation sera un facilitateur de parité. En parallèle, il faut instaurer une culture inclusive et des politiques RH écartant tout biais venant pénaliser les femmes. […] [Les sociétés] ne voyant pas les atouts de la diversité au sens large, y compris culturel, rateront le train de la transformation. »
En début d’année 2021, la Fédération française de l’Assurance ainsi que cinq organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO et UNA) avaient officialisé un nouvel accord censé marquer des avancées significatives dans le domaine, avec quatre objectifs principaux, dépassant largement le seul cadre de la parité hommes-femmes :
- Favoriser les politiques d’inclusion et lutter contre toute forme de discrimination (femmes, LGBT+, jeunes, seniors, travailleurs handicapés)
- Atteindre une égalité professionnelle et de rémunération réelle entre les femmes et les hommes, en s’engageant à positionner cet enjeu comme un axe fort de la politique sociale de la branche
- Lutter contre le harcèlement sexuel, les agissements et les violences sexistes au travail, en intégrant des dispositifs innovants pour une meilleure prise de conscience collective
- Poursuivre une politique inclusive en faveur des publics spécifiques : insertion des jeunes, maintien dans l’emploi des salariés seniors, développement de l’emploi des travailleurs handicapés.
Cette bonne volonté affichée rappelle aussi qu’au-delà de la nécessaire lutte contre les discriminations, la crise sanitaire a largement contribué à opérer un basculement de valeurs, en particulier le rapport au travail et la relation employeur-employé. Ces derniers sont devenus plus exigeants, en quête de sens pour leur travail et n’hésitant pas à faire jouer la concurrence afin d’obtenir de meilleures conditions tout en favorisant leur épanouissement personnel. Autre enseignement, l’attrait croissant pour les fonds d’investissement durable et responsable, qui ont fait preuve de leur résilience pendant la crise et ont généralement réalisé des performances supérieures aux fonds d’investissement traditionnels. Isabelle Hernu en tire une conclusion claire : « Les critères extra financiers sont devenus bien plus importants pour les investisseurs, cela s’est accéléré avec la crise sanitaire. La diversité est nécessaire pour attirer et garder les meilleurs talents. Notre enquête « When women thrive, businesses thrive » a montré que la performance économique est plus importante avec de la diversité dans l’entreprise au sens large. Par exemple, nous avons une activité en matière de fusions-acquisitions, et des enquêtes dans ce domaine montrent que l’impact de la culture est très significatif sur le succès des différents deals conclus. »
Malgré les progrès restant à faire et la lenteur des changement, un basculement des mentalités semble en cours, de nombreuses politiques RH des entreprises assurantielles abordant résolument le virage de l’inclusion : « Les acteurs du monde de l’assurance sont astreints à se situer dans une logique de symétrie des attentions, décrypte Norbert Girard, secrétaire général de l’Observatoire de l’Evolution des Métiers de l’Assurance. Les entreprises ont compris qu’elles ne pouvaient pas satisfaire leurs clients sans avoir au préalable pris soin de leurs collaborateurs. » Ainsi en dehors du cadre traditionnel des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO), de très nombreux accords de branche ou d’entreprise ont été signés dans l’assurance depuis l’an dernier, sur la mixité, la diversité, mais aussi sur des thématiques comme la qualité de vie au travail (QVT) ou le télétravail.
« Tout ce qui permet au salarié de se développer et de s’épanouir dans son métier, de s’intégrer au mieux dans la vie d’entreprise et d’être reconnu à sa juste valeur est également fondamental », poursuit Norbert Girard, rejoignant l’idée qu’une meilleure inclusion et reconnaissance des salariés a nécessairement un impact positif global sur l’entreprise.