Réalisée par l’institut IFOP à la demande de la Fondation Aésio, une étude sur le bien-être des Français[1], dévoilée le 30 novembre, établit de tristes constats. Si la santé mentale des Français semble avoir été bien mise à mal depuis la crise sanitaire, il ressort de cette enquête qu’il s’agit d’un sujet encore largement tabou. En outre, 56% des sondés considèrent que sa prise en charge est insuffisante par notre système de santé, au moment-même où l’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2022, celui-ci prévoyant la prise en charge de consultations chez le psychologue.
Une dégradation nette du bien-être mental
Cette enquête IFOP pour le compte de la Fondation Aésio n’est pas la seule à s’être tenue sur un tel sujet. Il est acquis que le contexte de la crise sanitaire a lourdement pesé sur le moral de la population, notre société n’ayant certainement pas fini de prendre la mesure des dégâts psychologiques causés aussi bien par la pandémie elle-même que par les mesures de restriction et de confinement, indépendamment de leur bien-fondé.
Les résultats de cette enquête s’avèrent plutôt éloquents :
- 19% des Français qualifient leur état de santé mentale de « moyen » ou « mauvais »
- 28% des sondés pensent que leur bien-être mental s’est dégradé depuis la crise sanitaire
- 60% des sondés déclarent avoir ressenti de la souffrance psychique au cours des 12 derniers mois
- Ce sentiment est encore plus répandu chez les femmes qui l’ont déclaré à hauteur de 67%
- 88% des sondés déclarent avoir déjà vécu un épisode de souffrance psychique au cours de leur vie, en particulier chez les femmes de moins de 35 ans
Des résultats paradoxaux
Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que la suite de cette enquête révèle un certain nombre de résultats paradoxaux, traduisant la difficulté d’appréhender et de traiter les risques psychiques et psychologiques, en comparaison avec les problèmes de santé physiques.
En effet, d’un côté 94% des sondés jugent que le bien-être mental est un élément essentiel, aussi important que la bonne santé physique. 74% des sondés déclarent qu’il s’agit d’un enjeu prioritaire aujourd’hui en France.
Cependant ces positions tranchées revêtent un caractère général. Lorsque des questions sont posées touchant au comportement individuel, le discours semble changer : seulement un sondé sur deux affirme être attentif individuellement à son propre bien-être mental.
Par ailleurs, 94% des sondés considèrent que la souffrance psychique concerne potentiellement tout le monde, ce qui tendrait à imaginer que les personnes ayant vécu ce type de difficultés soient considérées avec empathie. Pourtant, 78% des personnes interrogées estime que les personnes en souffrance psychique sont stigmatisées. S’il ne s’agit pas d’un scoop, le paradoxe est que 68% des sondés considèrent eux-mêmes en effet que les personnes en souffrance psychique constituent un danger pour la société. La moitié considère également que ces personnes sont plus dangereuses pour les autres. Ainsi pour une bonne part, ceux qui dénoncent une stigmatisation en sont les acteurs. En conséquence, la souffrance psychique ou psychologique constitue de fait un sujet tabou, à cause du regard des autres.
Un sujet tabou
D’après l’étude, les sondés ressentent des difficultés à aborder le sujet du mal-être mental, comme à évoquer leurs propres souffrances. Parmi les différents interlocuteurs possible, l’entourage médical s’en sort le mieux avec une note moyenne de 5,4[2] : un résultat qui reste médiocre. Les entourages personnels et professionnels sont classés derrière avec des notes respectives de 4,5 et 4/10. En conséquence, seuls 64% des personnes ayant vécu des situations de mal-être mental ont pu partager leur ressenti. Parmi les principales raisons évoquées, la peur du regard des autres est citée en priorité, suivie d’une notion de fierté interdisant tout aveu de faiblesse. D’ailleurs parmi les personnes ayant osé confier leurs difficultés, 30% d’entre elles ont subi en retour des réactions négatives, accentuant ainsi le cercle vicieux du sujet tabou.
Un manque d’informations et une prise en charge perfectible
Lorsqu’il leur a été appris qu’un Français sur 5 subit chaque année des situations de souffrance psychique, 64% des sondés ont exprimé leur surprise, illustrant une fois de plus une tendance générale à sous-estimer l’ampleur du problème. Il n’est pas étonnant ainsi que 60% des sondés aient déclaré se sentir mal informés sur ce sujet. Par ailleurs, 56% d’entre eux regrettent une prise en charge insuffisante par le système de soins français, quand bien même celle-ci se serait améliorée pour 33% des sondés depuis les 10 dernières années.
Cette année représente pourtant un tournant majeur dans la prise en charge de la santé mentale en France : depuis le printemps dernier, les complémentaires Santé ont mis en place pour leurs adhérents un forfait de prise en charge de quatre consultations auprès d’un psychologue. Le gouvernement vient de leur emboiter le pas puisque le PLFSS 2022 prévoit un forfait de prise en charge jusqu’à huit séances. Après avoir été adopté définitivement par le Parlement le 29 novembre, le projet de loi est actuellement en cours d’examen par le Conseil Constitutionnel. Bien que ne faisant pas l’unanimité auprès de la profession, ce dispositif constitue indéniablement un premier pas vers la reconnaissance du bien-être mental comme une problématique majeure de notre société.
La RSE des mutuelles, un levier de prévention
Indéniablement, beaucoup de chemin reste à faire mais le fait est que les mutuelles de santé s’investissent davantage dans ce créneau jusqu’ici délaissé, y compris par des actions de type RSE. Suite à la publication des résultats de l’enquête IFOP, la Fondation Aésio a annoncé qu’agir pour le bien-être mental constituerait sa mission pour les cinq années à venir. Elle a en outre dévoilé deux partenariats de soutien financier auprès d’associations œuvrant pour le bien-être mental et davantage de prévention :
- l’association L’Burn, dédiée à l’accompagnement des victimes de burn-out
- PSSM France, structure formant des secouristes aux premiers secours en santé mentale, rompue au repérage précoce des premiers signes de souffrance psychique. Un fonds solidaire est à ce titre en cours de constitution.
A en croire sa présidente Marie-Françoise Barabas, « la Fondation Aésio œuvrera avec détermination sur cette problématique durant les quatre prochaines années, avec le souci permanent d’apporter son soutien aux structures ayant à cœur de briser le silence sur un sujet de santé publique et de préserver le bien-être mental des individus, particulièrement mis à mal au cours de ces derniers mois ». Ces avancées sonneraient-elle la fin du tabou ?
[1] Enquête « Les Français et leur bien-être mental », menée par l’IFOP pour la Fondation AÉSIO auprès d’un échantillon de 2014 personnes, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus.
[2] Les notes vont de 1 (très difficile) à 10 (très facile)