Du fait du dérèglement climatique, les catastrophes naturelles et les aléas dus à la sécheresse ou aux inondations sont de plus en plus nombreux. Afin de répondre à cet enjeu croissant, des réformes des régimes d’assurance et d’indemnisation sont en passe d’aboutir. Si celles-ci ont le mérite de renforcer la transparence des procédures tout en facilitant l’indemnisation des victimes, le flou demeure encore sur leur financement. Tout en saluant ces projets « allant dans le bon sens », la Fédération Nationale des Syndicats d’Agents Généraux d’Assurance (Agéa) plaide encore pour certaines évolutions.
Le régime CATNAT
Basé sur le principe de solidarité depuis 1982, le régime des catastrophes naturelles (dénommé « CATNAT ») vise à couvrir les dommages matériels directs non assurables, du fait de l’intensité anormale d’un agent naturel, empêchant de prendre les mesures habituelles pour prévenir ces dommages, ou les rendant inefficaces.
Ce régime est constitué d’un fonds national d’indemnisation des victimes, financé par des cotisations supplémentaires prélevées sur les primes d’assurances dommages de tous les contrats, quel que soit le lieu de résidence des assurés. L’adage « l’assuré vivant au sommet d’une colline paie pour celui qui habite au bord de la rivière » est ainsi respecté.
A l’origine, cette « taxe CATNAT » sur les contrats d’assurance habitation s’élevait à 5,5%. Seulement depuis, la fréquence des risques a nettement augmenté : les événements considérés comme « très graves » ont presque quadruplé en France depuis les années 50. Les épisodes d’inondation se sont multipliés par 10 depuis les années 80, du fait de l’accroissement de l’urbanisation dans des zones inondables. En conséquence, les cotisations sur les contrats ont nettement augmenté depuis 1982 : la taxe est maintenant de 12% pour les contrats d’habitation, et de 6% pour les contrats d’assurance automobile.
La réforme du régime CATNAT
Face à la multiplication des incidents climatiques, un projet de réforme est en voie d’adoption. Déjà adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 28 janvier dernier, la proposition de loi du député Stéphane BAUDU a été votée par le Sénat le 21 octobre. Les deux assemblées n’ayant pas voté le texte dans des termes identiques, c’est en commission mixte paritaire que le texte définitif vient d’être défini. Il devrait être adopté définitivement par le Parlement le lundi 13 décembre.
Ce projet a pour objectif principal de simplifier les démarches tout en renforçant la transparence des procédures, afin de faciliter l’indemnisation des victimes. Toutefois, il ne s’attaque pas à la question du financement.
-Les arrêtés interministériels de reconnaissance de catastrophe naturelle devront être motivés et prévoir l’accessibilité des documents ayant fondé la décision, notamment les rapports d’expertise. Les Maires obtiennent désormais un droit de recours.
-Création d’une Commission Nationale Consultative des Catastrophes Naturelles, comprenant des élus locaux et des associations de sinistrés.
-Nomination d’un « référent CATNAT » dans chaque préfecture afin d’informer et accompagner les communes dans leurs démarches.
-Allongement des délais de déclaration : les communes ont désormais 24 mois pour déposer un dossier de reconnaissance de catastrophe naturelle, au lieu de 18. En revanche à compter du dépôt de dossier, le délai de publication de l’arrêté de reconnaissance passe de 3 à 2 mois.
-Baisse de l’ensemble des délais incombant aux autorités et aux assureurs : ces derniers auront un délai d’un mois après la publication d’un arrêté CATNAT, ou suite à la réception d’une déclaration de sinistre, pour informer les assurés sur leurs garanties et mandater une société d’expertise. Après avoir reçu le rapport de l’expert, ils disposeront encore d’un délai d’un mois pour élaborer une proposition d’indemnisation aux assurés. Si celle-ci est acceptée, ils devront donc verser l’indemnité due dans un délai de 21 jours ou bien missionner une entreprise de réparation dans un délai d’un mois.
-Demande de longue date des assureurs, les frais de relogement d’urgence des sinistrés seront intégrés aux indemnisations dans le cadre du régime CATNAT. Les modalités restent toutefois à préciser par décret. Aujourd’hui, cette prise en charge varie d’un assureur à l’autre selon le contrat, ce qui est vécu comme une injustice par les sinistrés.
-Suppression des modulations de franchise exercées par les assureurs
Quid du financement ?
Cette réforme ne s’attèle pas, au problème de fond de financement du régime CATNAT. Pourtant, son équilibre financier est en danger. Malgré les augmentations de cotisation successives, le régime est en déficit depuis 2015. En 2020, 2,2 milliards d’euros de prestation ont été versés aux victimes de catastrophes naturelles, contre seulement 1,7 milliard d’euros de cotisations perçus.
Malheureusement, cette tendance ne devrait pas s’améliorer. L’ACPR estime qu’à horizon 2050, les sinistres climatiques pourraient coûter jusqu’à 5 ou 6 fois plus cher selon les départements. En conséquence, le maintien du modèle de solidarité actuel impliquerait une augmentation des cotisations d’assurances de 130 à 200% d’ici 2050 ! Autant dire que cela se répercuterait sur les contrats d’assurance, au moyen d’une augmentation annuelle entre 2,8 et 3,7% pour tous les assurés de France.
Les assurances Récolte ou MRC
L’assurance Récolte ou Climatique Multirisque (MRC) permet de prendre en charge les pertes de rendement des agriculteurs dues aux dégâts climatiques (sécheresses, tempêtes, grêle, gel…) en se basant sur les rendements habituels ou historiques des exploitations. Cette assurance a la particularité d’être subventionnée par le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), qui finance les deux premiers niveaux de garantie disponibles lors de la souscription du contrat : le montant des cotisations d’assurance est subventionné à 65% pour le niveau « socle » et à 45% pour le niveau de garantie complémentaire optionnelle.
Si toutes les filières agricoles y sont éligibles, cette assurance n’est pas obligatoire pour autant, bien que proposée par tous les assureurs agricoles français. Là encore, la multiplication et l’aggravation des aléas climatiques ont mis en évidence les carences du dispositif. Ce système assurantiel a été définitivement considéré comme injuste et illisible suite à l’épisode de gel massif survenu au printemps dernier, ayant causé un préjudice total dépassant le milliard d’euros. En effet en pratique, les assureurs commercialisant les contrats MRC ont la possibilité de sélectionner les risques à couvrir, bien que ces contrats soient subventionnés. Résultat : l’assurance MRC couvre seulement 30% des exploitations agricoles.
La réforme des assurances MRC
C’est en réalité depuis 2019 qu’un processus de refondation de l’assurance MRC a été entamé, avec pour objectif de faire entrer en vigueur le nouveau dispositif le 1er janvier 2023, en même temps que la nouvelle PAC européenne. Dans le cadre du Varenne agricole de l’Eau et de l’adaptation au changement climatique, le député Frédéric Descrozaille a présidé un Groupe de Travail relatif à la Gestion des Risques et l’Assurance Récolte. Remis le 26 juillet dernier au Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, son rapport a largement inspiré le projet de loi présenté en Conseil des Ministres le 1er décembre dernier, dans le but d’être adopté avant la fin de la législature actuelle.
Ambitieux, le nouveau dispositif vise à instaurer une protection universelle, qui concernera toutes les productions, tous les producteurs, tous les aléas, en France métropolitaine de même qu’en outre-mer. Les assureurs souhaitant diffuser ces contrats devront garantir le plus large accès possible aux agriculteurs, sur la base de ce principe d’universalité : il leur sera fait interdiction de refuser le dossier d’un exploitant.
Le nouveau régime reposera ainsi sur la solidarité nationale et le partage du risque entre l’État, les agriculteurs et les assureurs, au moyen d’un dispositif à trois étages de couverture des risques climatiques :
– les pertes faibles de récoltes devront être absorbées par l’exploitant
– les pertes moyennes seront prises en charge par l’assurance MRC, impliquant une mutualisation du risque entre l’assuré et l’Etat à travers les subventions publiques allouées. L’agriculteur assuré touchera une indemnisation proportionnelle à ses pertes.
– les pertes exceptionnelles seront prises en charge par la solidarité nationale, à travers le régime CATNAT. Les indemnisations seront modulées en fonction des cultures. A noter que l’indemnité versée ne fera que compléter celles versées par les assurances : ainsi d’après le projet de loi, « un agriculteur non assuré ne pourra pas toucher plus de 50% de ce que touche un assuré. »
Réforme MRC : des questions en suspens
A ce stade, nous ne disposons d’aucune information sur les seuils de pertes de récolte correspondant aux trois degrés d’aléas indiqués. Ceux-ci feront l’objet d’une définition au sein de chaque production. Il s’agit d’un enjeu fondamental puisque le premier niveau des « pertes faibles » ne prévoit pas à ce stade d’indemnisation. A noter qu’aujourd’hui, « 30 % des sinistres se situent aujourd’hui dans la zone entre 20 et 25 % de pertes, ce sont des sinistres qui arrivent beaucoup plus souvent, et qui fragilisent les exploitations. La couverture de cette zone est donc stratégique pour la pérennité du modèle agricole français », explique Pascal Viné, directeur des relations institutionnelles et des orientations mutualistes chez Groupama.
Beaucoup d’autres éléments ne sont pas davantage connus : quel taux de subvention des assurances MRC ? Quels niveaux de franchise ? Quels délais de remboursement ? Le gouvernement prévoit en réalité la constitution d’un pool de co-réassurance, en vue de mettre l’ensemble des données économiques, financières et assurantielles en commun. Ce pool vise surtout à déterminer les tarifs de base et mutualiser les risques. Mais sa définition précise a été renvoyée à une ordonnance.
En outre là encore, le financement de cette réforme ambitieuse est à peine esquissé. Le régime assurantiel MRC est actuellement doté de 300 millions d’euros, sachant que le rapport Descrozaille préconisait de le porter à 600 ou 700 millions d’euros. La question du financement reste intacte, d’autant plus que le système assurantiel MRC actuel s’avère déficitaire : d’après les chiffres de la Fédération française des assureurs, depuis cinq ans, les assureurs ont restitué aux agriculteurs un peu plus que les primes encaissées. Cela a entrainé en conséquence une augmentation des tarifs allant plutôt à l’encontre de l’universalité visée par le projet de réforme.
Ainsi selon toute vraisemblance, l’adoption de se projet de loi ne mettra nullement un terme aux discussions et aux spéculations, tant que les décrets et ordonnances attendus ne seront pas publiés.
Dans le communiqué publié par la Fédération des syndicats des agents généraux d’assurance (Agéa), son président Pascal Chapelon ne cache pas sa volonté de continuer à « faire évoluer le texte », tout en admettant qu’avec ces réformes, « le gouvernement va dans le bon sens. […] Toutes ces mesures sont excellentes mais renvoient nombre de questions aux décrets et ordonnances d’application. »
Cette vigilance n’empêche pas Agéa d’appeler d’ores et déjà toutes les compagnies mandantes, « et pas seulement les acteurs historiques » à intégrer le pool de gouvernance, futur lieu d’élaboration d’une part importante de la future politique agricole française.
Même son de cloche du côté de Groupama « Nous préférons avoir de la concurrence sur un marché pérennisé plutôt que d’être seuls sur un marché en dégradation qui ne nous permettrait pas à terme de faire notre métier », souligne ainsi Pascal Viné. « Ce pool de réassurance ne coûte rien, il est nécessaire de le mettre en place car c’est une des conditions, certes pas suffisante, pour stabiliser l’offre assurantielle dans la durée ».
Pour davantage de prévention des risques
En l’état, la seule piste claire pour réduire la facture sur le long terme porte sur les efforts de prévention. La facture annuelle des catastrophes naturelles doit en effet beaucoup à des décisions urbanistiques contestables : couverture des sols empêchant les écoulements d’eau, ou constructions dans des zones à risque.
C’est dans ce sens que Jean-Vincent Raymondis, directeur adjoint de la SARETEC, société d’expertise évaluant les dommages CATNAT, déplorait dans une interview que la prévention fût « le parent pauvre de la réforme CATNAT » au moment où elle venait juste d’être adopté par l’Assemblée Nationale. La proposition de loi définitive prévoit certes la remise obligatoire d’un rapport destiné à évaluer le dispositif existant relatif à la sécheresse, l’aléa appelé à prendre le plus d’ampleur dans un avenir proche. De son côté, l’expert plaidait pour aller beaucoup plus loin, comme déplafonner le Fonds Barnier de Prévention des Risques Naturels, ou financer par des crédits d’impôts des études préventives de terrain afin de réduire leur vulnérabilité…
Ces dispositifs pourraient faire baisser la facture des dégâts, qu’il s’agisse de sinistres de type CATNAT ou MRC, à condition que les investissements adéquats soient menés. En tout état de cause, les solutions préventives apparaissent plus séduisantes que l’idée de devoir encore augmenter les cotisations, même si ces deux leviers seront sans doute à activer.