Henry Buzy-Cazaux, Président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, vice-président de FIABCI-France, dans le cadre du magazine* “Dessine-moi la gestion de patrimoine”, répond aux questions de Jean-Charles Naimi.
Les marchés immobiliers sont-ils à l’aube de profonds changements à la suite de la crise sanitaire ? Commençons par l’immobilier de bureau.
Le télétravail, qui va s’installer dans le fonctionnement des entreprises, mais aussi les difficultés économiques rencontrées par beaucoup d’entre elles, lorsque les aides ne seront plus versées, vont réduire de l’ordre de 40 %, selon les prévisions les plus sévères, les besoins en surfaces tertiaires. La question de la reconversion des bureaux en logements n’a plus lieu d’être tenue pour anecdotique. En revanche, si les entreprises ont de moindres besoins, elles choisiront des locaux dans lesquels nous vivrons mieux, et des localisations de premier plan. Nous allons vers des bureaux image et des bureaux qui offriront des moments de partage plus forts, dès lors que le télétravail privera des échanges qui faisaient auparavant le fondement des relations physiques. Dans ces conditions, nous assisterons à des mouvements contrastés sur les prix. Les meilleures adresses ne vont pas baisser et elles pourraient même s’apprécier au cœur de nos grandes villes et de nos villes moyennes les plus visibles, où les enseignes les plus fortes voudront disposer de bureaux. Les adresses les moins attirantes vont perdre de la valeur, jusqu’à 30 %.
Les locaux commerciaux sont-ils encore attractifs ?
Les commerces de cœur de ville ont de beaux jours devant eux. Il est certain qu’une proportion des commerces dont l’activité a été arrêtée ou seulement ralentie ne se remettront pas de cette période terrible, mais nous voyons déjà que les aides sont parvenues à en maintenir l’essentiel en vie. Nous pourrons aussi compter sur de nouvelles activités fondées sur le digital pour prendre le relai des commerces qui ne seront plus en situation d’avoir pignon sur rue, à commencer par la logistique de proximité. Nous voyons fleurir les points de retrait des achats dans nos quartiers. Précisément, il est évident que le recours aux plateformes numériques pour les achats courants de biens de consommation va durablement modifier nos habitudes et que le tissu des commerces de proximité va s’en ressentir. Quant aux galeries des centres commerciaux, elles vont également connaître de nouveau une fréquentation proche de celle d’avant covid. Les premiers indices sont positifs à cet égard. Pour autant, les exploitants et les concepteurs de ces centres tirent les enseignements de la crise et veulent accentuer la valeur ajoutée de leur concept qui va passer de lieu de consommation, à proprement parler, à lieu d’événement et d’expérience pour le client, pour se distinguer clairement des plateformes de distribution, par définition mono-fonctionnelle.
Dans un premier temps, qu’il est bon de saisir, sans doute l’année 2021 et le début de 2022, les valeurs vont être affectées, avec des baisses jusqu’à 20 %, notamment pour les emplacements les moins flatteurs, sinon plus.
Les mutations des modes de distribution et d’achat vont évidemment faire la part belle à la logistique. Les besoins en hangars et en lieux de stockage divers, en périphérie de nos villes, vont se multiplier, avec des valeurs qui vont augmenter significativement.
Quels vont-être les facteurs qui pèseront, sur les investissements en biens résidentiels ?
S’agissant des logements, nous voyons bien que les ménages n’ont pas renoncé à satisfaire leurs besoins, avec deux modérations. La première tient à l’évolution de leur solvabilité : elle va s’éroder avec la fin des aides, et l’accès au crédit se restreint d’évidence, les banques ayant pris d’importants risques sur les entreprises et les commerces. Le marché va exclure les plus fragiles et je doute que le nombre de transactions puisse se maintenir dans ces conditions au niveau actuel. Je ne pense pas non plus que les prix ne seront pas affectés. Seconde modération, nous parlons d’un rejet des grandes villes de la part des ménages et un engouement pour les villes moyennes et les campagnes. La réalité va être plus nuancée. Un nouvel aménagement du territoire va s’installer, certes, mais l’attractivité des métropoles ne va pas fléchir, surtout si les prix s’y calment. Il faut se réjouir que les autres territoires profitent de l’envie de plus d’espace, de plus de verdure et d’un rythme plus humain, servie par la faculté de télétravailler. Il reste que seuls les ménages privilégiés pourront changer radicalement de vie.
Enfin, le segment particulier des résidences gérées va évoluer aussi. La santé est clairement identifiée comme la première de nos préoccupations et les résidences médicalisées vont attirer plus encore qu’avant la covid. Ce sont aussi les concepts plus innovants liés au travail partagé, au coworking, ou aux résidences pour cadres en mobilité, qui vont plaire de plus en plus. Ils vont entrer dans l’équation du télétravail, qui va exiger des lieux de résidence temporaire pour les collaborateurs d’entreprise et des lieux de rencontre pour travailler ensemble, que beaucoup d’entreprises n’internaliseront pas. En outre, les travailleurs indépendants vont être de plus en plus nombreux, et il leur faudra également des lieux à cet usage, complétant leur domicile.
Y-a-t-il des régions en France plus intéressantes à suivre que d’autres à présent ?
Inutile de distinguer des régions. Partout en France des villes sont en train de capter les regards, Le Mans comme Saint-Étienne, Angers comme Pau, Nancy, Metz, Chartes, Orléans ou Reims. Hors de question aussi de penser que les dix premières métropoles vont perdre en attractivité.
La conjoncture est-elle aussi favorable que par le passé pour l’immobilier ?
Il est temps de sortir de l’enthousiasme qui a marqué les discours sur l’immobilier depuis un an et de lui substituer plus de lucidité. Les fondamentaux de l’économie sont dégradés et ils vont conduire notamment à un retour de l’inflation, à un enchérissement même compte tenu des taux de crédit. En outre les banques surveillent plus que jamais leurs risques et sont moins enclines à financer les opérations immobilières des particuliers. On peut aussi se demander ce que deviendra le budget du logement dans ce contexte, et quel est l’avenir des aides à l’accession comme à l’investissement. Elles ont déjà été érodées avant la crise… La fiscalité immobilière a si souvent permis de renflouer l’État que la vigilance est de mise.
Le principal moteur des investissements immobiliers, pour la résidence principale comme pour l’exploitation, reste la confiance. Si les ménages ont le sentiment que la relance est bien menée, ils passeront à l’acte. Le verdict tombera quand les aides se feront moins puissantes et qu’on verra vraiment quelle est la force endogène de l’économie. Il faut espérer que l’État ne sollicitera pas l’immobilier sans discernement pour contribuer à la restauration des finances publiques par une hausse des taxes ou encore par la suppression des aides existantes. Le risque est loin d’être nul…
*ITW du magazine « Dessine-moi la gestion de patrimoine », production Vovoxx, en Juillet 2021, que vous pouvez télécharger, diffusé gratuitement aux CGP et à leurs fournisseurs). Le #3 de ce magazine est prévu pour fin novembre 2021. Si intérêt, n’hésitez pas à nous contacter.