Le contexte de contraction de l’économie va générer des besoins de financement considérables. Le secteur de l’assurance aura un rôle important afin de contribuer aux côtés de l’Etat à soutenir le tissu économique français, tout en essayant d’alléger le recours aux finances publiques. Nous avons décidé d’interviewer*, Dominique Trébuchet – Directeur général de La France Mutualiste, particulièrement engagé sur ce sujet.
Dans ce contexte, comment les règles de Solvabilité 2 cohabitent-elles avec le rôle des assureurs ?
Ce rôle est aujourd’hui entravé par les règles de Solvabilité 2 qui impose une méthodologie de calcul des fonds propres qui pénalise l’investissement en actions. De plus, elles exigent une actualisation des modèles à un rythme inutilement rapide, sur la base d’un principe de valorisation des actifs excessivement volatiles et illisibles en période de crise.
Pourtant destinées à rassurer les acteurs économiques et à garantir la solvabilité des assureurs à long terme, la technicité des règles de Solvabilité 2 les rend peu compréhensibles et impose un pilotage à court terme. En outre, pénalisant l’investissement des fonds généraux dans les actifs réputés plus risqués de « l’économie réelle », elles limitent le soutien des assureurs à l’économie productive. Dans un contexte de taux bas, les assureurs en viennent à « conseiller » aux épargnants d’investir eux-mêmes dans des actifs risqués, au mépris du principe de mutualisation des risques qui est au cœur de l’assurance et de son utilité sociale.
Les règles de Solvabilité 2, orientées sur les intérêts des épargnants et la solvabilité des assureurs, c’est très bien. Mais il est parfois incompréhensible de devoir faire des simulations sur 50 ans pour évaluer ses besoins en fonds propres, et puis quelques mois après, parce que les marchés ont dévissé, devoir recalculer le montant de fonds propre nécessaire. Il y a là parfois quelques aberrations…
N’oublions surtout pas que l’assurance vie est très complexe, qu’elle soutient l’économie et l’investissement. L’assurance vie ne se résume pas à un seul ratio !
Que faudrait-il faire ?
De mon point de vue, deux réformes juguleraient ces effets : définir une norme de solvabilité pour les fonds en euros moins volatile (8% sur les fonds euros par exemple), et adapter les règles comptables et prudentielles à des investissements de long terme. Nous pourrions alors prendre toute notre part dans la sortie de crise : apporter notre capacité financière aux groupes cotés (actions), à l’Etat (obligations), voire aux sociétés non cotées (fonds de capital investissement ad-hoc, « coronaequity »). C’est à ces conditions que nous pourrons faire notre métier, pour le bien des assurés et de l’économie : notre bien commun.
Vous déclarez que « le fonds euros est un bien commun », vous pouvez préciser cette conviction ?
Nous pouvons continuer de diversifier et lisser la performance dans le temps, en faisant prendre le minimum de risque à l’épargnant. Mais il y a une condition à cela : baisser le niveau de garantie des fonds euros, par exemple à des niveaux de garantie de 98% ou 97%. Cela permettrait de garder cet instrument qui me semble capital, d’intégrer plus d’actions dans le fonds euros, d’investir sur le long terme et d’améliorer à moyen et long terme la performance des fonds euros.
Aujourd’hui quand on lance un produit retraite, le PER individuel par exemple, il est essentiellement basé sur des Unités de Compte et des fonds euros récents (donc pas sur la « richesse » des anciens fonds). Cela ne me parait pas possible pour quelqu’un qui a besoin de préparer sa retraite.
Si nous baissons, légèrement la garantie des fonds euros, nous ne donnerons pas moins aux assurés. Au contraire, nous aurons une potentialité d’investir de façon plus diversifiée, et sur le moyen et long terme d’avoir une performance meilleure. Donc, il y a une vraie problématique, encore une fois de bien commun. Il s’agit là d’une question de politique générale et de politique sociale. Il est pour moi très important de réagir très vite, en considérant que la richesse des fonds euros d’aujourd’hui, les plus-values latentes, permettent de diversifier. Il ne faut pas que ses fonds euros s’assèchent, cela nous contraindrait alors à ne plus diversifier et à détruire notre bien commun.
Dominique Trébuchet – Directeur Général de la France Mutualiste
Jean-Luc Gambey – L’assurance en Mouvement / Vovoxx
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