Le conseil juridique à l’heure du numérique… on en est où ?
Voilà bien longtemps que nous abordons la transformation de la société et l’avènement de l’ère numérique. La crise sanitaire qui se prolonge a convaincu (ou contraint) le monde à prendre les choses en main et, force est de constater que l’accélération de la digitalisation des échanges, due à la nécessité de la distanciation et de l’économie des déplacements, est réelle.
La crise sanitaire a provoqué à la fois dans la vie quotidienne des citoyens, mais surtout dans la vie économique des entreprises, un bond considérable dans l’utilisation des outils numériques, et nous constatons leur prédominance aujourd’hui pour organiser et favoriser les échanges.
Néanmoins, tous les métiers ne sont pas logés à la même enseigne et la réflexion porte sur la capacité pour certains métiers à pouvoir embrasser l’ère numérique.
La digitalisation de certains métiers s’avère-t-elle nécessaire ? Provoquerait-t-elle réellement des gains de productivité et d’efficacité, ou, certains métiers auraient-ils vocation à rester purement artisanaux, sans un besoin quelconque d’automatisation, d’outillage ?
En effet, automatiser un certain nombre de tâches génère toujours des gains de productivité, qui favorisent une meilleure performance et une baisse des coûts, donc un accès au service plus large, plus démocratique. Il en va ainsi des conditions d’exercice du conseil juridique dans le monde d’aujourd’hui.
Si nous analysons la situation actuelle, force est de constater qu’il existe une multiplication de la création de plateformes juridiques. Mises en œuvre par des ordres professionnels (Avocats, notaires, experts-comptables), ou des prestataires de services, les plateformes juridiques sont de plus en plus nombreuses. Elles semblent néanmoins se cantonner à un objectif : celui de faciliter la vie du prestataire. Les plateformes juridiques offrent principalement des outils d’automatisation dans la gestion matérielle des données, et des tâches liées à la gestion en volume d’un certain nombre de contrats type, ou de documentations juridiques.
Nous constatons qu’une plateforme juridique offre aussi des informations sur une veille réglementaire particulière, et met à la disposition des professionnels du droit qui y sont affiliés des modèles de documentations et des outillages leur permettant de procéder à une bien meilleure rationalisation de la gestion documentaire de l’ensemble de leurs contrats, et autres documentations liées au secrétariat juridique d’entreprise. Rares voire très rares sont les plateformes de conseil au sens propre.
En effet, le conseil juridique ne relève pas exclusivement du secrétariat juridique.
Le conseil juridique relève d’une prestation consistant en la formulation de solutions, de réponses associées à un livrable donné. Si la livraison d’un modèle de contrat est importante, et peut effectivement faire gagner du temps à une direction juridique, faut-il encore être en mesure de savoir paramétrer ce modèle, être conscient des sujets à traiter et pouvoir être assisté dans la finalisation de ce document.
En pianotant sur Internet à la recherche de ce type de plateformes de conseil juridique, force est de constater qu’elles sont extrêmement rares. Elles ne sont de surcroît pas destinées aux clients, encore moins aux toutes petites entreprises, aux professionnels. Elles s’adressent exclusivement à des professionnels du droit, avocat ou directeur juridique.
Les besoins en conseil juridique ont considérablement évolué, les acteurs sont-ils prêts à payer pour ce service ?
Il est évident que le conseil juridique s’est considérablement transformé depuis une quarantaine d’années. Tout d’abord parce que les législations se sont considérablement complexifiées. Ensuite, parce qu’on légifère partout et que la réglementation s’est par ailleurs introduite à beaucoup d’égards dans de très nombreux secteurs de l’économie. Il n’existe pas d’activité économique qui n’ait pas sa propre législation, ses normes et qui nécessite de ce fait que des spécialistes soient en mesure de pouvoir renseigner les acteurs concernés, afin de leur permettre d’éviter une trop grande prise de risque, et pouvoir bénéficier de conseils appropriés dans l’exercice de leur métier. Le secteur de l’assurance, de la banque et de la finance en est un exemple criant. La législation a 20 ans. Avant les années 2000, ce secteur était très peu réglementé.
La dimension du conseil est également génératrice de performance. S’adresser à la bonne personne fait gagner du temps et évite de commettre des erreurs qui peuvent être coûteuses. Les entreprises l’ont compris.
La complexification des règles, la juridicisation de l’économie et du monde, l’émergence de plus en plus forte du phénomène contentieux dans l’exercice des métiers, a totalement fait évoluer et a modifié la physionomie des besoins.
Néanmoins et de façon très paradoxale, les métiers du conseil juridique n’ont toujours pas trouvé la manière dont ils devaient s’adapter à l’explosion des besoins, et notamment pour les petites entreprises, si nombreuses et majoritaires dans l’économie d’aujourd’hui.
Force est de constater que les entreprises débordent de questionnements, de curiosité en regard de l’exercice de leur métier. L’appréhension des sanctions administratives, du risque client, plus particulièrement dans le secteur financier (au sens large) crée chez les professionnels une forte appétence pour le conseil, et un besoin permanent de questionner, de se renseigner, et de trouver l’information adaptée à la question qu’ils se posent. Nous constatons une explosion des besoins immédiats, pertinents, ciblés sur des problématiques opérationnelles extrêmement concrètes, qui ne justifient pas la lourdeur d’un rendez-vous, la contractualisation d’une offre de services, la présentation de tout l’environnement réglementaire du sujet, mais simplement la fourniture d’une réponse immédiate, simple compréhensible et opérationnelle.
C’est le constat majeur du changement de la société. Le droit fait partie de la vie quotidienne des entreprises et chaque projet initié par une entreprise, plus particulièrement dans le secteur réglementé de l’assurance, nécessite de se poser des questions, les bonnes questions, très concrètes, et d’obtenir des réponses rapides et immédiates pour favoriser l’exercice serein d’une activité économique.
Or, en l’état actuel, ces besoins ne sont que très peu satisfaits par le conseil juridique d’aujourd’hui.
Doit-on incriminer une aversion au changement ?
La récente législation sur l’autorégulation s’en est fait l’écho, force est de constater que dans le secteur particulier de l’assurance, de la banque, de la finance, les petites et moyennes entreprises essentiellement ancrées dans le métier de la distribution sont peu, pas, ou mal conseillées. Les associations professionnelles sont parfaitement conscientes que le besoin de leurs adhérents réside principalement dans leur capacité à pouvoir permettre un accès au droit et un accès aux informations réglementaires. Néanmoins, à l’instar des conseils juridiques et des plateformes de conseil juridique, les associations professionnelles qui représentent ces métiers, ont du mal à organiser ce service et à démontrer aujourd’hui une performance sur ce sujet.
Parallèlement, il faut dire que ces professionnels ne sont pas toujours prêts à en payer le prix, voire à payer un prix ! estimant conformément à une culture bien ancrée que le conseil devrait être gratuit.
Puis, à l’instar de beaucoup de secteurs, le secteur du conseil juridique souffre beaucoup d’une difficulté à conduire un changement et à accepter la transformation du monde. Souvent campés dans des positions très dogmatiques, les professionnels du conseil continuent à développer des modèles fondés sur la prestation en régie, exclusivement basée sur des ressources humaines, des « temps homme », peu encadrés par des outils de travail digitaux, source de performance et de productivité.
Les professionnels ont par ailleurs du mal à considérer qu’il peut exister dans beaucoup de cas des réponses communes ou mutualisées qui pourraient dans ce contexte permettre un accès au droit à un nombre plus important de personnes, pour des services à faible valeur ajoutée, moins chers, mais performants pour tous et garants d’une bonne professionnalisation des métiers. Il est exact que cette transformation expose certains professionnels à une baisse drastique de leurs revenus, voire à une disparition de leur modèle. Certains professionnels, dont les services n’apportent en réalité que très peu de conseil, mais exploitent une activité exclusivement fondée sur des modèles dits de « body shopping » ou de contrats disponibles aujourd’hui gratuitement sur Internet, sont en risques. Beaucoup d’études mettent en évidence dans ce contexte, une forme de résistance de certains professionnels, qui voient dans la digitalisation de leurs métiers, la disparition d’une tranche importante d’entre eux, ceux dont la valeur ajoutée disparaîtra par l’automatisation et la suppression de tâches récurrentes, qui aujourd’hui occupent et rémunèrent bon nombre.
Il y a aussi le souci de la qualité et de la personnalisation du conseil ?
La résistance peut aussi provenir de la conviction partagée à la fois par les clients et les professionnels, qu’un conseil de qualité passe nécessairement par un contact personnel et une approche personnalisée du sujet. Or, pour beaucoup, le digital est impersonnel. Le digital est standard. C’est probablement aussi ce sentiment qui freine considérablement à la fois les professionnels à embrasser l’outillage numérique, mais parfois également les clients qui pensent, à tort ou à raison, que les plateformes digitales de conseil juridique ne seront pas en mesure de traiter leur besoin personnel. C’est donc en cela que la plateforme de conseil est contrainte d’allier excellence et performance. Fournir rapidement un modèle, donner immédiatement l’accès à une information est une chose, livrer la bonne, celle qui est attendue par le client en est une autre. La plateforme de conseil ne pourra réussir, c’est-à-dire adresser ces besoins de plus en plus importants, immédiats et techniques aux clients, qu’à partir du moment où elle saura mettre à la disposition du client et de son conseil, un certain nombre d’outils qui leur permettront ensemble d’accélérer l’avènement de la réponse pertinente, en y associant une très forte personnalisation du conseil et une très forte appréhension de la problématique personnelle du client. La plateforme est donc nécessairement collaborative. Pour ce faire, il ne faut pas se mentir : la plateforme de conseil juridique, au sens du conseil apporté aux professionnels, ne peut réussir que si elle est animée par d’excellents professionnels, c’est-à-dire des professionnels qui maîtrisent parfaitement l’environnement métier auquel s’adresse la plateforme de services. En effet, livrer des modèles, livrer de la documentation, pousser un outillage sans être capable d’accompagner de façon personnalisée un client pour lui permettre de répondre à un besoin immédiat et ciblé, n’a que peu de chances de convaincre les clients, comme les professionnels. C’est probablement une des causes de l’échec ou du succès très relatif de beaucoup de projets dans l’économie numérique.
L’outillage et la digitalisation sont néanmoins possibles ?
Ainsi, non seulement il est possible, mais il nous semble indispensable que la transformation du conseil juridique passe par la digitalisation des rapports, et l’automatisation d’un certain nombre de tâches, afin de pouvoir répondre aux besoins permanents, de plus en plus divers et immédiats des clients. Mais, il est tout autant indispensable de rester dans un rapport personnalisé, car le conseil juridique reste un métier d’avocat, où la pertinence de la réponse est liée à l’expertise et à la reconnaissance de l’avocat par le client.
La plateforme, puisque telle est aujourd’hui l’expression pour désigner la centralisation d’un certain nombre de services et d’informations associées à l’exercice d’un métier particulier, est probablement la réponse la plus pertinente dans le monde d’aujourd’hui, pour favoriser la qualité du service, et l’adaptation du service aux besoins exprimés par les clients.
L’accessibilité que permet une plateforme de services, par rapport à des moyens actuels plus atomisés, plus difficilement accessibles, représente une réponse à l’immédiateté et à l’exigence que manifestent aujourd’hui les clients. Mais, il faut également y associer l’excellence, la pertinence, et ne pas détruire le nécessaire lien humain que revêt la confiance et le rapport personnel qui se tisse entre un avocat et son client.
C’est pour ces multiples raisons qu’Astrée s’est engagé fortement pour donner accès à ses clients à « Mon assistant réglementaire », la plateforme de services et de conseils juridiques et de conformité réglementaire dédiée aux distributeurs de produits d’assurances, bancaires et financiers. Il était inévitable qu’un groupe comme Astree réponde aux nouveaux usages, aux besoins et exigences légitimes d’immédiateté de nos clients. « Mon assistant réglementaire » est devenu le collaborateur de nos clients, un assistant professionnel permanent. « Plateformiser » le conseil juridique certainement, mais déshumaniser ou dépersonnaliser, non. Tel est probablement une des clés du succès de la transformation du conseil juridique.
Isabelle Monin Lafin – Avocate associée fondatrice – ASTREE AVOCATS
Voir l’émission TV « Assurance et plateformisation du conseil juridique et réglementaire ».
Jean-Luc Gambey – L’assurance en Mouvement / Vovoxx
ITW du magazine « Dessine-moi l’Assurance » que vous pouvez télécharger, diffusé gratuitement à 47 000 professionnels assurance dont 30 000 intermédiaires de proximité (agents généraux, courtiers/courtiers grossistes, cabinets de CGP).
Le #3 de ce magazine est prévu pour fin novembre 2021. Si intérêt, n’hésitez pas à nous contacter.