Laurent Ouazana, Board Member d’ENTORIA évoquait ses convictions* dans le cadre de l’ouvrage** « Dessine-moi une complémentaire santé », une co-production Carte Blanche Partenaires et Vovoxx.
Le sujet « dessine-moi une complémentaire santé » abordé maintenant, dans le cadre d’une crise sanitaire d’ampleur mondiale, revêt une dimension qui aurait été toute autre si le même sujet avait été posé fin 2019. Rappelons que dans cette période très spéciale liée à la Covid-19, jamais le grand public n’avait autant parlé d’assurance (automobile ou pertes d’exploitation…). Il a été remis au centre de la vie de chacun l’importance d’être bien assuré.
Précédemment, l’assurance complémentaire santé était en effet devenue un bien de consommation classique, dont le choix reposait (comme tout autre bien) sur le ratio bénéfice/prix. En d’autres termes, pour un assuré, la meilleure assurance complémentaire santé remboursait tout et coûtait le moins possible, voire « presque rien » quand elle était prise en charge quasi-intégralement par l’employeur. Peu importe qu’elle ait coûté
à un assureur, ou à la collectivité, nous gérions notre complémentaire santé comme un abonnement Netflix (qui est perçu pas cher si consommation, très onéreux si pas de consommation).
Et comme pour Netflix, l’ergonomie des applications santé est devenu incroyable (carte de tiers payant dématérialisée, prise en charge envoyée automatiquement depuis son smartphone, géolocalisation d’un professionnel de santé.). Il ne manquait plus qu’un « UberDrugs » à l’instar des UberEats. Bref, tout était fait pour rendre indolore le coût de la santé, l’effet pervers étant de déresponsabiliser totalement la population. Quel assuré sait aujourd’hui ce qu’il a coûté à ses assureurs santé (obligatoire et complémentaire) chaque année ?
La « vertu » de cette crise est sans doute qu’elle aura fait « glisser » les esprits et les consciences du sujet de la prise en charge des prestations/remboursements, vers le sujet de la prise en charge de la maladie, avec une connotation saine d’anticipation et de prévention sur laquelle nous devons tous capitaliser. La prise de conscience collective commande désormais à la population de se soucier de ne pas être malade, plus que d’être bien remboursée. La qualité du système de santé d’un pays ne sera plus jugée sur sa capacité à bien rembourser, mais sur sa capacité à mieux anticiper, à mieux dépister et prévenir, à mieux connaitre, et donc à mieux soigner. La France est le pays le plus généreux de l’OCDE (ticket modérateur le plus bas), et pourtant elle était, il y a quelques temps, dans le Top10 de la mortalité COVID la plus haute au Monde (au sein des pays de plus d’un million d’habitants). Où seront demain les priorités ? Rembourser ou soigner ? Et pour bien soigner, accepterons-nous une Charte
citoyenne avec des règles strictes ?
J’animais, il y a deux ou trois ans, un groupe de travail au sein de l’Institut de la Protection Sociale, et déjà, après avoir rencontré les acteurs de la santé en France (en particulier les syndicats de médecins), certaines de nos conclusions étaient simples. Par exemple, les Français acceptent de payer une amende de 135 euros quand
le contrôle technique de leur voiture n’est pas fait (ce contrôle intégrant des points de surveillance sur le danger que la voiture peut causer à son conducteur et ses passagers, mais aussi sur le danger que la voiture peut causer à l’environnement – pollution entre autres -).
Par analogie, et ce sera sans doute le sujet de demain, ne pas contrôler sa santé par des visites de prévention à partir d’un certain âge, peut causer du tort à soi-même, mais aussi à la collectivité (les places sont « rares » en réanimation) et aux finances publiques. Rappelons que pour être efficace un médecin doit passer 45 minutes pour une visite annuelle de prévention, pour un contrôle de 30 points sensibles, à un tarif minimum de 75 euros, pris en charge par les régimes obligatoires et complémentaires. Pour chaque année l’état de santé général des Français pourrait être mis à jour sur une base nationale, la plus complète au monde, chacun étant dirigé individuellement sur un parcours personnalisé en fonction de sa situation. Le coût ? Environ 3,75 Milliards d’euros par an, pour les 50 millions de Français de plus de 20 ans (sur 67 millions). N’est-ce pas peu de chose quand on compare ce coût, à celui des dépenses annuelles nationales de publicité autour des pathologies diverses (cancer colorectal, cancer de la prostate, cancer du sein etc…), publicités bien entendues intéressantes, mais absolument pas ciblées !
Les régimes obligatoires et complémentaires doivent travailler ensemble sur ces sujets, quitte à bousculer la Sécurité sociale, cette vieille dame de 75 ans qui a déjà subi une cinquantaine de lifting depuis 1945. Pour répondre plus directement au sujet, la complémentaire santé de demain sera « forte » si elle participe à ces changements et ces transformations, en particulier en prenant en charge la prévention plus qu’auparavant, mieux, et en incitant les assurés à s’y soumettre, avant qu’un jour elle ne devienne obligatoire. Tout en sachant que la toute nouvelle résiliation infra-annuelle ne va pas inciter les complémentaires santé à investir sur la prévention. Nous ne pouvons que regretter que de ce point de vue, les réformes ne soient pas alignées sur les objectifs nationaux de santé publique.
Le débat sur la prévention étant posé, il est en effet regrettable de gérer chaque année une réforme, désormais conditionnant le statut de contrat responsable (donc avec la sanction d’une taxe majorée). Ces textes quasi annuels bouleversent l’assurance santé complémentaire, en gérant ses minimas, ses maximas, son contenu, sa forme, sa durée …. Le message est rassurant pour les adeptes de la Sécurité sociale universelle qui doit absorber l’assurance santé complémentaire, mais très inquiétant pour celles et ceux qui souhaitent investir pour innover sur la prévention et sur le confort attendu légitimement par la population.
Désormais les points de comparaison sur l’ergonomie et le confort de l’assurance complémentaire santé sont au niveau d’Amazon, ce qui induit un parcours clients, une « expérience » plus proche du plaisir que celle de la réponse à un besoin. Le niveau d’exigence est donc très haut, le ticket d’entrée financier également et les partenariats qualitatifs sont désormais indispensables au sein de l’écosystème de la santé.
Toutes les innovations, les transformations nécessaires ne pourront être menées que si les Pouvoirs Publics reconnaissent définitivement que nous sommes dans une industrie concurrentielle, certes règlementée, mais dont les dépenses de R&D ne peuvent être freinées par des évolutions règlementaires permanentes et coûteuses en termes de système d’information et de nécessaire pédagogie dans le service après-vente. Avec une
stabilité règlementaire retrouvée, les acteurs de ce secteur sauront réinventer l’assurance santé complémentaire, et l’intégrer comme un moment de vie dans un parcours général. La santé de chacun, et sa gestion par chacun, deviendra un compagnon de tous les jours, et plus seulement un service que l’on actionne en cas de besoin. Autour de ce compagnon, d’autres acteurs rejoindront l’assureur complémentaire santé et son gestionnaire : les médicaux, les paramédicaux, les pharmaciens, les établissements hôpitaux/cliniques/Ehpad, les opticiens, les acteurs du service à domicile, Uber, Amazon et bien d’autres.
L’assurance santé complémentaire devra apparaitre dans la vie de chacun comme un sujet « sous contrôle », donc ne générant aucun souci. Elle devra intervenir aussi simplement qu’une ampoule s’allume. Aux soucis de santé ne peuvent plus s’additionner des soucis administratifs, sous peine d’élimination de certains du terrain de jeu.
J’ai déjà mesuré cette sensation et je la connais bien. C’est la règle connue de tous les « health insurance’s players ». Elle est redoutable, mais aussi motrice en termes de progrès et d’innovations dans la construction d’un programme et ses services associés. Mais un excellent programme d’assurance santé complémentaire a un coût, et il est nécessaire de conserver des différences, des spécificités, à l’instar d’un abonnement à CanalSat, par exemple, qui propose des dizaines de bouquets possibles à ses clients.
Pour ce qui est des contrats complémentaire santé collectifs, une entreprise peut vouloir le meilleur en termes de programme d’assurance santé pour ses collaborateurs, ne serait-ce que pour être différent de ses concurrents.
Et ce programme devra aller désormais au-delà de l’assurance, en intégrant des abonnements à des services complémentaires, rebattant ainsi les cartes du modèle économique de l’assureur santé traditionnel.
C’est parce que l’assurance, et son grand principe « fondateur » de mutualisation des risques, est désormais mieux connu du grand public, qu’il faut songer au futur. Comment l’assurance complémentaire santé sera organisée en respectant ce grand principe de mutualisation, au moment même où les objets connectés vont individualiser les données collectées. Ma conviction est que les « grands gagnants » seront ceux qui partageront tout, leur vie, leur discipline de vie, leur état de santé, leur vie personnelle, leurs données personnelles… et ils seront nombreux, souvent jeunes et en bonne santé. Les autres, car ils sont également nombreux, perdront comme les fumeurs pour l’assurance emprunteur, le jour où cette segmentation a été tarifante. Jusqu’au jour où de nouveaux acteurs arriveront, et « re-mutualiseront » des individus « laissés de côté » au sein de communautés de risques homogènes, par des courtiers grossistes, par exemple.
*Réalisé lors du 1er semestre 2020
**Co-production Carte Blanche Partenaires / L’assurance en Mouvement – Vovoxx