Hélène Grignon-Boulon, DRH de SOPRA STERIA évoque ses convictions*. Contenu réalisé dans le cadre de l’ouvrage** « Dessine-moi une complémentaire santé », une co-production Carte Blanche Partenaires et Vovoxx.
Commençons par évoquer les garanties complémentaires santé collective. Constatez-vous aujourd’hui des faiblesses concernant les contrats complémentaires santé ?
La réforme des contrats responsables de 2016 a eu un impact sur le niveau de garanties des salariés, notamment sur la limitation de la prise en charge des dépassements d’honoraires. Les entreprises, pour maintenir le niveau de garanties des salariés, ont été obligées de mettre en place des options non responsables, obligatoires ou facultatives. D’autre part, certaines prestations, non prises en charge par la Sécurité sociale ou très peu, ne sont pas bien remboursées alors qu’elles sont très utilisées et très visibles (ostéopathie, sophrologie, parodontie…). Enfin, la mise en place de la réforme 100 % santé a demandé un effort important de communication et de pédagogie aux entreprises à destination des salariés.
Pensez-vous que les garanties complémentaires santé collectives sont aujourd’hui proche de l’uniformisation, voire de la banalisation ? Quelles seraient les éventuelles évolutions à prévoir ? et à quel horizon ?
Banalisation oui, car il est aujourd’hui devenu incontournable d’avoir des garanties élevées, cela devient un droit pour le salarié et non plus un avantage donné par les entreprises, ce qui minore la différenciation pour les employeurs. Avec la mise en place du 100 % santé, il est devenu difficile de comparer les garanties d’un assureur à l’autre, les évolutions à prévoir seraient une uniformisation des tableaux et libellés de garanties pour une plus grande lisibilité sur l’ensemble du marché. Mais cela pourrait prendre quelques années avant que nous puissions aboutir à une grille unique.
Si nous occultons l’aspect « tarif » (certes important) de la complémentaire santé collective, quels sont selon vous, les éléments qui feront la différence pour conquérir de nouvelles entreprises clientes ?
Les services proposés en inclusion (téléconsultation), une garantie assistance qui réponde vraiment aux besoins des salariés. Un réseau de soins efficace, c’est à dire avec un large éventail de services attractifs et un taux d’utilisation performant.
Selon vous, un acteur de la complémentaire santé collective devrait-il être présent dans l’ensemble du parcours de santé des salariés des entreprises assurées ?
Certains services pourraient effectivement être mis en place pour un suivi plus régulier. Cependant, en fonction des soins et de la santé de chaque assuré, nous devons évoquer les données de santé confidentielles, dont l’accès est réservé aux médecins. Les assureurs complémentaires santé sont confrontés à l’impossibilité d’avoir accès à ces informations.
Est-ce que les services santé, associés aux garanties de remboursement des contrats complémentaires santé, seraient un moyen d’augmenter la valeur perçue par les salariés, par les entreprises ? Pourquoi ?
Les services santé ne peuvent être considérés comme des valeurs perçues mais plutôt comme de l’accompagnement personnalisé, et ne doivent pas être mis au même niveau que des remboursements de garanties. Dans le cadre de la garantie assistance, certains services peuvent aussi être perçus de manière restrictive, comme le nombre de jours de garde d’enfants, ou le nombre d’heures d’aide-ménagère. Il faudrait pouvoir donner accès à un réseau de prestataires qualifiés et labellisés par l’assistance ou le réseau de soins. Les services santé sont bien perçus par les salariés, car outre les garanties, les entreprises et salariés ont l’impression d’être mieux couverts et mieux accompagnés.
Dans cet esprit, la prévention, le dépistage, l’orientation, l’accompagnement des salariés, assurés, s’intègrent-ils à la chaîne de valeur servicielle de la complémentaire santé ?
Ces 4 typologies de services s’inscrivent effectivement dans la promesse servicielle de certains assureurs qui considèrent les services santé comme une part importante de leur métier. Ces assureurs complémentaires santé innovent donc tous les ans avec de nouvelles propositions de services. De plus, l’évolution des éléments de la garantie santé donnent aux DRH, des occasions de communiquer auprès de nos salariés sur la pertinence des couvertures proposées et surtout financées.
Voyez-vous, en tant qu’entreprise, des freins majeurs pour l’intégration de plus de services santé, par les complémentaires santé collective ?
Pas de frein majeur hormis le fait important qu’il convient de ne pas utiliser les données collectées à des fins commerciales, ce qui seraient en contradiction avec le but premier de ces services.
Voyez-vous un d’autres éléments, d’autres services à intégrer, selon vous, dans la chaîne de valeur de la complémentaire santé collective ?
Il faut préalablement une communication plus importante du réseau de soins qui propose ces services santé sachant que la majorité des salariés n’utilise pas ces services, soit parce qu’ils sont habitués à leur praticien soit parce qu’ils sont mal informés. Par exemple, sur les ateliers et visites d’opticiens, sur l’accès à des prestataires labellisés et cautionnés par le réseau.
Un service intéressant serait un accompagnement pour les salariés atteints de certaines pathologies, par exemple de cancer, avec une aide sportive, ou une garantie supplémentaire les concernant. Les services de bien-être des salariés sont aujourd’hui de plus en plus prisés, la majorité des sociétés de taille importante propose déjà ce type de services via leur comité d’entreprise. Cela pourrait effectivement être un service également proposé par des complémentaires santé.
N’avez-vous pas l’impression que cette intégration « traîne » à être proposée dans les offres ? N’est-ce pas aujourd’hui important d’accélérer cette intégration ?
Plusieurs assureurs ont aujourd’hui intégré d’office ces services dans leurs offres. Cependant, il faut constater qu’il aura fallu attendre la crise sanitaire pour étendre le droit à la téléconsultation… Il y a effectivement un retard sur la proposition de services santé innovants, la crise sanitaire aura permis de le constater. L’intégration des services santé peut faire la différence en fonction de certains secteurs d’activités, nécessitant plus de services que d’autres.
Selon vous, les coûts (directs/indirects) de l’intégration des services santé souhaités dans la complémentaire santé doivent-ils être toujours supportés et intégrés dans la cotisation ? Le modèle de l’inclusion des coûts de tous ces services à la cotisation mensuelle du contrat complémentaire santé, est-il à faire évoluer ?
La mutualisation des coûts des services dans les cotisations est la formule la plus intéressante car elle reste transparente pour les salariés. Certaines entreprises seraient favorables à séparer les coûts des services, des cotisations afin de distinguer deux contrats spécifiques. Cela poserait la question de la facturation, serait-elle via la Déclaration Sociale Nominative sachant que la majorité des entreprises ne souhaitent plus de bordereaux papiers.
Ne serait-il pas judicieux que les acteurs de la complémentaire santé, afin de mutualiser les coûts, externalisent à des tiers de confiance : des plateformes santé, des gestionnaires externes (TPA), des startups…
L’externalisation est de plus en plus courante notamment lorsqu’une entreprise cliente est suivie par un courtier. Des acteurs majeurs de la gestion santé sont aujourd’hui très connus et travaillent afin d’apporter le meilleur suivi à nos entreprises. De notre point de vue, la facturation, est effectivement plus facile lorsque le prestataire est l’interlocuteur unique.
D’ailleurs, sur le sujet des plateformes santé ou réseaux de soins, historiquement intégrés dans la complémentaire santé, pensez-vous qu’elles doivent être au cœur de la chaine de valeur servicielle et proposer aux entreprises des services santé à mettre à disposition de leurs salariés ?
Si d’autres services étaient à leur confier, il faudrait former des équipes et probablement augmenter leurs coûts de gestion, à l’heure où l’économie est la principale préoccupation des sociétés.
Concernant plus spécifiquement les nouvelles technologies (objets connectés, intelligence artificielle…), pensez-vous que leur intégration dans les services déployés par les complémentaires santé est indispensable ?
Certaines complémentaire santé ont déjà commencé à utiliser les nouvelles technologies, par exemple, l’utilisation de la montre connectée pour l’activité sportive qui devient l’un des thèmes importants. Cependant, les données générées pourraient être utilisées à d’autres fins, contestables. Ces données de santé confidentielles pourraient potentiellement servir à majorer les tarifs en fonction de la santé des assurés. Dans ce contexte, l’utilisation des objets connectés proposée par la complémentaire santé n’est pas indispensable, la majorité de la population étant par ailleurs déjà connectée. L’utilisation d’objets connectés est cependant intéressante dans certains cas, mais doit uniquement servir dans le cadre d’accompagnement personnel.
Pensez-vous que des menaces concurrentielles peuvent se développer « contre » les acteurs traditionnels de la complémentaire santé ? (par exemple, des offres de complémentaires santé avec beaucoup plus de services, de technologies…)
De nouveaux acteurs apparaissent sur le marché de la complémentaire santé et proposent des services innovants avec une offre 100 % digitalisée, mais le contact client reste malgré tout important pour un suivi optimal. Il faut cependant que les acteurs de la complémentaire santé se renouvellent afin de continuer à être performants dans ce secteur qui devient de plus en plus concurrentiel.
En conclusion, quels seront les principaux traits, les principales caractéristiques de la complémentaire santé collective de demain ?
Un accompagnement plus important, des services innovants, des occasions de communiquer sur la qualité du programme de la complémentaire santé proposée aux salariés, des ateliers ciblant chaque secteur d’activité, car les problématiques sont différentes d’un secteur professionnel à un autre, tout en gardant à l’esprit
que le suivi client reste important à l’heure ou nos modes de consommation santé évoluent.
*Réalisé lors du 1er semestre 2020
**Co-production Carte Blanche Partenaires / L’assurance en Mouvement – Vovoxx