Au Moyen-Âge, le risque de mort prématurée a donné lieu à des formes de garanties d’assurance qui, à l’époque, étaient passées devant notaire. Bien entendu, les compagnies d’assurance n’existaient pas et les opérations s’effectuaient entre particuliers, prenant la forme d’une vente sous conditions. Il n’en demeure pas moins que ces actes commerciaux préfiguraient l’assurance vie moderne.
L’assurance contre les risques de mort entraînés par la grossesse, mise en lumière par Enrico Bensa, professeur à l’Université et à l’école supérieure de commerce de Gênes (Italie), à la fin du 19°siècle*, mérite une attention particulière.
Une clause originale dans un acte de vente
Dans son ouvrage, Enrico Bensa donne comme exemple un acte**, rédigé devant un notaire de la ville de Gênes** en date du 10 avril 1427, permettant à un époux d’assurer la vie de son épouse contre les dangers liés à son accouchement.
En l’espèce, la convention prend une forme originale dans laquelle quatre particuliers s’engagent à payer, à un certain Lucas Gentille, une somme totale de six cents florins de Gênes dans un délai de trois mois.
Vient ensuite la clause suivante : les sommes seront dues sauf si « son épouse Franenga, fille de feu Melchio Spinula et femme dudit Lucas, âgée de trente-deux ans ou environ, alors enceinte de huit mois ou environ, de son accouchement et de sa grossesse, et à l’occasion de son accouchement et de sa grossesse, sort saine et sauve, et alors dans ce cas que le présent instrument soit cassé, annulé et de nulle valeur ».
Dit autrement, les sommes seront versées par les particuliers en cas de décès de l’épouse de Lucas Gentille lors de l’accouchement. On notera que l’acte notarié prévoit une pénalité équivalente au double des sommes à payer en cas de non-respect de l’engagement.
Quel intérêt d’une telle assurance ?
La raison d’une telle convention entre les parties n’est pas rapportée dans l’extrait de l’acte (rédigé en latin) et reproduit dans le livre du professeur Bensa. Ce dernier l’explique simplement, en rappelant qu’à l’époque, « des intérêts de nature purement pécuniaire, surtout entre parents, pouvaient dépendre de la vie d’une personne déterminée. »
Mais l’explication la plus vraisemblable est celle développée par Charlotte Broussy dans sa thèse de droit sur l’Histoire de l’assurance*** qui confirme que la communauté des marchands génois et, plus généralement, méridionaux, a envisagé d’assurer la vie des femmes, souvent associée, à une véritable valeur pécuniaire au regard de leur dot. En cas de décès de l’épouse, et spécialement s’il n’y avait pas d’enfant issu du mariage, la dot pouvait en effet être restituée à sa famille, entraînant pour l’époux une perte patrimoniale.
« Le cas de décès prématuré qu’il sied de considérer en priorité est la mort en couches parce qu’elle est fréquente. Pour cette raison, des maris font assurer la vie de leurs épouses enceintes jusqu’à la fin de leur grossesse. La garantie prend en considération le risque de remboursement de la dot et de même que les frais de soins et de nourriture à prévoir pour le jeune orphelin. », précisent les travaux de Charlotte Broussy.
Nul doute que les archives notariales du Nord de l’Italie et du sud de la France doivent conserver bien des conventions similaires.
*E. Bensa, Histoire du contrat d’assurance au Moyen âge, Paris, A. Fontemoing, 1897, p. 93-94.
**L’acte réalisé à Gênes aux Banchi [loge des banques], en présence des trois témoins a été retrouvé aux archives des notaires de Gênes (actes de Branca Bagnaria, n° 169, fol. 1).
***Histoire du contrat d’assurance (XVIe-XXe siècle), Université de Montpellier, 2016, p. 232.
Jean-Charles Naimi
Mes remerciements à Patrick Arabeyre, professeur d’histoire du droit civil et canonique, à l’École nationale des chartes, pour les traductions latines.