Cyril-Laurent Cymbler, vous êtes Senior Director – Financial Services EMEA – Salesforce et vous parcourez l’Europe et parlez, travaillez beaucoup avec les assureurs. Nous aimerions donc vous entendre sur la transformation de ce secteur, sa digitalisation mais aussi sur les contraintes pouvant être très structurantes, comme celles, par exemple, des coûts difficiles à contenir et des revenus sous pression.
Les assureurs en France vous semblent-ils contraints par le ratio coûts/revenus ?
Nous traversons une crise majeure, cela n’a échappé à personne, à aucun professionnel du secteur. Les marges se réduisent. Cependant, j’aimerais intégrer cette crise, dans le contexte général de l’assurance et de ses rapports avec les clients. Rappelons-nous qu’une assez large majorité de français ne recommande pas leur assureur, que 80% des millénials déclaraient qu’ils seraient prêts à souscrire leur assurance auprès des GAFA ou d’une Insurtech et que 82% (étude de Salesforce) des français estiment que l’expérience client est aussi importante que le produit et son service. Ces quelques points, combinés à la crise, doivent alerter le secteur de l’assurance sur l’absolue nécessité de se concentrer sur les parcours clients en les simplifiant et en les fluidifiant.
Pour revenir directement à votre question, les assureurs en France sont contraints, mais j’ai la conviction que les investissements vont augmenter, à commencer par des arbitrages positifs en faveur de la digitalisation. Non seulement les engagements financiers contractés demeurent, mais ceux-ci vont vraisemblablement augmenter. D’ailleurs, selon une étude réalisée récemment pour L’Argus de l’assurance et SAS auprès des responsables du secteur, près de trois-quarts des répondants (71 %) estiment que les investissements de leur entreprise dans les projets de digitalisation vont croître, ils sont même 57 % à penser que ce sera de manière importante. La réduction des coûts ne sera possible à mon avis, que par l’accélération des investissements nécessaires à la digitalisation des outils, des process,… afin de rationaliser des méthodes de collaboration disparates et de libérer du temps de conseil pour les collaborateurs du front office .
Dans le contexte de l’ évolution rapide de la réglementation, de la pression concurrentielle, de la nécessité d’engager la transformation de l’expérience client et plus généralement d’engager des investissements d’innovation et de transformation, est-il possible aujourd’hui de diminuer certains coûts ?
Il faut, préalablement, arrêter de créer pléthore de produits, l’offre d’assurance est aujourd’hui trop dense et les clients s’y perdent. Ce budget peut d’ailleurs être réaffecté à l’accélération de la digitalisation. La dynamique de réduction des coûts, indispensable, doit favoriser une meilleure maîtrise des process administratifs peu efficaces aujourd’hui , et inévitablement doit en résulter l’automatisation des tâches redondantes à faible valeur ajoutée. Permettez-moi de préciser que sur la gestion des sinistres par exemple, il y a beaucoup trop d’étapes peu utiles, synonyme de temps passé, il est donc nécessaire de libérer du temps de conseil, et de s’engager davantage dans le développement du « do it yourself » .
Concernant les infrastructures technologiques, il y également des gisements de réduction de coûts, trois exemples :
- Développer des agents conversationnels pour la grande majorité des questions basiques et ensuite orienter vers des conseillers spécialisés lorsque la demande devient plus complexe. Il ne faut pas opposer empathie et technologie. Il faut proposer des process qualitatifs, accompagnés d’une véritable expérience client lorsque celui-ci est confronté à des problématiques simples qu’il peut résoudre facilement, seul et rapidement.
- S’engager dans le cloud. Les coûts de maintenance des infrastructures informatiques lourdes sont colossaux. Le cloud a – entre autres- l’avantage de bien définir le coût en amont et en aval, permettant ainsi de stabiliser les investissements et de concentrer son développement sur des activités qui produisent de la valeur ajoutée,
- S’il est nécessaire de ne pas réduire les coûts salariaux et de préserver son tissu social, il est néanmoins indispensable de programmer la montée en compétence des collaborateurs, de réorganiser le travail et de mettre en adéquation la force des moyens humains avec les tâches qui correspondent réellement à leurs compétences ou appétences. L’allocation des talents adéquats aux tâches à fortes valeurs ajoutées permettra de réaliser des gains de productivité significatifs et simultanément favorisera une augmentation de la satisfaction client. Cette méthodologie c’est le talent to value.
Le mouvement initié en 2015 par la loi Hamon, s’étend très prochainement aux contrats d’assurance frais de santé, avec la résiliation infra-annuelle. La « quasi généralisation » de la résiliation à tous moments pour l’assurance aura-t-elle pour effet de réduire les coûts d’amortissements de conquête de nouveaux clients, d’augmenter le taux d’attrition ?
Ce mouvement réglementaire, voulu par les pouvoirs publics et souhaité par les clients est inéluctable, aura bien évidemment des impacts. Mais essayons plutôt d’aborder le sujet par des réponses. Des leviers sont possibles et ils sont de plusieurs natures :
- L’optimisation de l’expérience client et la mise à niveau digitale de tous les canaux est une priorité absolue. Les interactions humaines, au cœur de l’activité de ce secteur, doivent être augmentées grâce au digital. La technologie nourrit la qualité de l’interaction avec le client. Les marques à réseaux physiques doivent, disposer des bons outils et des bons dashboards, augmenter la médiane de souscription et la déplacer vers le haut, et professionnaliser son réseau de distribution,
- L’automatisation de la chaine de valeur, d’une souscription fluide avec une tarification finement ajustée à la gestion d’un sinistre en passant par un recours éventuel à une expertise, doit être considérée comme le service « minimum » à fournir aux clients,
- Concernant plus particulièrement l’attrition, aujourd’hui l’intelligence artificielle permet via la segmentation analytique, d’identifier les comportements potentiellement « résiliateurs » afin de pouvoir agir en conséquence pour les fidéliser. Cependant force est de constater que le secteur investi peu dans ce domaine. Rappelons également que l’IA contribue assez largement à l’augmentation des taux de concrétisation, en favorisant la compréhension des centres d’intérêts des clients : sont-ils plutôt sensibles au prix, à la garantie ou aux services.
Et pour terminer ?
Par rapport à la moyenne européenne, il faut le dire, les assureurs Français, sont plutôt bons élèves sur la question de la digitalisation. Mais il y a une absolue nécessité à accélérer la qualité de l’expérience clients, à réduire certains coûts, à dégager du temps commercial pour leurs collaborateurs de front, et à développer de nouveaux gisements de revenus. Je pense en particulier aux marketplaces avec de nouveaux produits dérivés, et à la nécessité d’étendre son périmètre serviciel avec des partenariats générant de nouveaux revenus.
ITW réalisé en octobre 2020 par Jean-Luc Gambey