Cosima F.BARONE, Directrice du GSCGI et membre du comité éxécutif de la FECIF répond aux questions de Dessine-moi la gestion de patrimoine*.
Sur les deux dernières décennies, quelles ont été les évolutions marquantes du métier de conseil en gestion de patrimoine au niveau européen ?
Les actifs sous gestion européens, dont l’évolution a été croissante en particulier dans la dernière décennie, ont atteint un niveau record de 23 000 milliards d’euros. Indubitablement, les placements passifs ont connu une croissance plus rapide que les autres styles de placement. C’est une vague à laquelle l’Europe n’a pas échappé, bien qu’elle ait été bien plus prononcée en Amérique du Nord.
Le Royaume Uni, la France, l’Allemagne et la Suisse ont eu la plus forte croissance des actifs européens sous gestion depuis la crise de 2008. La Suisse et le Royaume Uni ont traditionnellement eu une méthodologie de gestion de type international, tant en ce qui concerne la pluralité des marchés financiers dans lesquels ils investissent qu’en matière des diverses monnaies incluses dans la politique d’investissement. Ce sera sans doute un effet de la globalisation de diriger de plus en plus les autres pays vers ces modèles de gestion de fortune internationale.
Un autre facteur de changement très important est la mise en œuvre de réglementation exigeant une transparence croissante pour la protection du client investisseur.
Les impacts de la directive sur les marchés d’instruments financiers II (MiFID II) se font bien sentir dans toute l’industrie. Cette transparence accroît la sensibilité aux frais dans le secteur et amplifie démesurément la banalisation de certains produits financiers tout en favorisant, par exemple, la croissance des ETF dans l’allocation d’actifs. La gestion passive des fonds est, à mon avis, un grand succès fondé sur un grand mensonge, celui que les fonds qui suivent les indices boursiers et obligataires immunisent leurs clients contre l’erreur humaine. Quant à l’Europe de la gestion de patrimoine, je pense qu’elle n’a pas été réellement bâtie, ce qui révèle les problèmes structurels et concurrentiels entre pays pourtant tous membres de l’Union. Toutefois, alors que la narration européenne est celle d’une intégration financière sans précédents sous l’impulsion de diverses initiatives réglementaires, je constate que personne dans le monde n’a encore pu quantifier comment plus de règlementation crée réellement de la croissance dans le secteur financier.
Cette crise sanitaire va-t-elle changer le conseil patrimonial ?
L’industrie du conseil patrimonial est axée sur les relations entre conseillers et clients. Face à la crise sanitaire de la Covid-19, elle devra sans doute faire preuve d’inventivité pour rester solidement connectée aux clients avec l’aide de moyens technologiques et se préparer à une nouvelle normalité.
Le nouveau monde dont on parle tant englobe, à mon avis, cette envie de tout un chacun de vouloir sauver la planète, qui a commencé bien avant la Covid-19 et que cette crise sanitaire va sensiblement amplifier.
Les clients, ayant subis les effets du confinement et ayant eu beaucoup de temps pour réfléchir à leur propre vie et leurs buts futurs, vont s’attendre à des politiques d’investissement plus adaptées à leurs nouvelles sensibilités.
Il devient notamment impératif d’intégrer pleinement les facteurs ESG dans le processus d’investissement, ainsi que les mesures pour évaluer, mesurer et gérer les risques ESG dans tous les types d’actifs.
La grande inconnue, malgré les efforts de la part de certains experts pour nous convaincre du contraire, sera : faudra-t-il sacrifier le profit sur l’hôtel d’une meilleure conscience personnelle ? Et, par conséquent, les clients avec ces sensibilités sont-ils conscients du risque inhérent à l’utilisation de produits financiers adaptés à ces sensibilités ?
Que pensez-vous de la rémunération aux honoraires pour les conseillers en gestion de patrimoine ?
À mon avis, c’est indubitablement une réussite. En Suisse, l’industrie de la gestion de fortune indépendante (GFI) est née durant les années 1970, régulée d’abord uniquement par la Charte de notre Groupement, et les GFI suisses ont donc une longue pratique de la rémunération par honoraires selon contrat établi avec le client investisseur.
En ce qui concerne les rétrocessions, toujours admises dans le nouveau cadre législatif suisse, une grande transparence est requise. De plus, la jurisprudence sur ce sujet a fixé le délai de prescription applicable à la créance en restitution des rétrocessions à 10 ans. Malgré cela, la perception de rétrocessions par le GFI en Suisse tend à diminuer, surtout sous la pression des grandes institutions financières internationales.
Quels sont les défis majeurs de la profession pour les années à venir ?
Par le passé, réussir dans la gestion de patrimoine était relativement simple. Il suffisait de faire correspondre les sources de création de richesse structurelles et les besoins croissants en matière de retraite et de passif, avec les sources d’appréciation du capital, de revenu et de rendement. Ces temps-là sont révolus.
De là, la nécessité d’évolution et d’innovation pour le secteur financier. Par exemple, les préférences des millennials en matière d’applications mobiles, les modèles d’investissement passifs et non traditionnels et le scepticisme général à l’égard de la finance traditionnelle seront, à mon avis, les moteurs du changement. Faudra-t-il
repenser le terme « gestion de patrimoine », étant donné que les millennials réinventent l’avenir en fonction de leur mode de vie, de leur conscience sociale et de leurs objectifs ?
*Publication de l’ITW réalisé pour l’ouvrage « Dessine-moi la gestion de patrimoine », produit par Vovoxx, Plateforme collaborative de production et de diffusion de contenus : Assurance, Banque, Epargne, Prévoyance.