Dounia Harbouche, Avocate au barreau de Paris répond aux questions de Dessine-moi la gestion de patrimoine*.
Pensez-vous que la période qui s’ouvre puisse entraîner plus de litiges pour défaut d’information et de conseil ?
On peut effectivement s’attendre à une augmentation des contentieux dans ce contexte de crise, peu rassurant pour les investisseurs. Si certains d’entre eux ont compris que la crise actuelle résulte d’un évènement imprévisible, d’autres, n’hésiteront pas à exploiter la moindre faille réglementaire. Nombres d’investisseurs tentent de remettre en cause les conditions de présentation de leur opération sur le seul fondement d’un document d’informations précontractuel ou contractuel contenant une information clé, qui n’aurait pas été dûment paraphé et signé. S’assurer que le client a bien validé l’ensemble de ces documents doit demeurer un réflexe élémentaire pour les CGP.
En outre, afin d’éviter que le client ne soit tenté de contester être l’auteur même de la signature, il est préférable, pour les dossiers les plus sensibles, que celle-ci s’effectue en présence du CGP, sauf recours à la signature électronique avancée ou présence d’éléments extrinsèques corroborant l’identité du signataire.
Par ailleurs, en présence de personnes vulnérables, les obligations du CGP sont renforcées. Les situations d’abus de faiblesse ne se limitent pas aux majeurs protégés mais concernent aussi toute personne dont l’état de discernement est altéré au moment de la souscription. En cas de doute, le CGP peut notamment solliciter un certificat médical limité à la sanité d’esprit.
Enfin, il ne me semble pas que les autorités de contrôle aient l’intention de relâcher la pression, précisément à cause du contexte économique actuel, dans un souci de protéger encore davantage les investisseurs même si elles ont parfaitement conscience des difficultés rencontrées par les professionnels. N’oublions pas que les régulateurs peuvent prononcer des sanctions automatiques en cas de non-respect des réglementations, même en l’absence de tout préjudice direct subi par les clients.
Quelles sont les grandes évolutions auxquelles le métier de CGP va devoir faire face dans les années à venir ?
La tentative de modification des modalités des rémunération des courtiers, si elle aboutit, altérera gravement le modèle économique de nombreux cabinets. Notamment, la disposition de DDA visant à réserver la possibilité de rémunérer un courtier uniquement si cela ne nuit pas aux intérêts du souscripteur est, pour certains, une occasion de tenter de modifier les dispositions contractuelles reprenant le 3ème usage du courtage prévoyant le maintien de la rémunération du courtier d’origine, même si le souscripteur décide
de changer de courtier. Des contentieux sont par conséquent à prévoir par un assureur souhaitant mettre un terme à des accords de partenariat, parfois au mépris de dizaines d’années de collaboration et sans motif valable. Mais surtout, dans ces circonstances, la valeur patrimoniale du fonds de commerce des cabinets de courtage risque d’être difficile à évaluer voire d’être considérablement réduite.
Enfin, la pratique de certains repreneurs consistant à acquérir le fonds de commerce de leurs confrères à un prix minoré, en faisant miroiter un contrat de travail alléchant au cédant, doit, à mon sens, être examinée avec beaucoup d’attention. Trop souvent encore, le cédant ne s’entoure pas de ses propres conseils et se retrouve en grande difficulté peu après la cession.
Y-aura-t-il selon vous des changements dans les demandes des clients ?
Le confinement a peut-être eu pour conséquence d’augmenter l’épargne globale, mais les CGP risquent de se trouver face à des clients qui, plus qu’auparavant, exprimeront leur besoin de sécurité, de prévoyance, et d’investir dans des produits qui pour eux ont du sens. L’effondrement du rendement du fonds général des compagnies conduisant à investir davantage en unités de compte va contraindre les CGP à une vigilance dans la délivrance et le suivi de l’investissement préconisé. La prévoyance, plus encore dans un contexte de crise, demeure un outil incontournable d’une approche patrimoniale globale, surtout si le client est un chef d’entreprise ou un indépendant, ou pour tout client ayant un projet immobilier.
Comment accompagner les CGP pour sécuriser « juridiquement » leur activité ?
Même si on comprend aisément l’agacement des professionnels face à cette inflation réglementaire, ils n’ont pas vraiment le choix. Il me semble qu’ils ont tout intérêt à faire du formalisme une arme de conquête au lieu de le subir. Nul ne peut contester la diversité des décisions des juges du fond en matière de responsabilité civile professionnelle, quand il s’agit de se prononcer sur d’éventuels manquements du CGP à ses obligations d’information et de conseil. Leur appréciation disparate d’un même comportement professionnel est toujours source d’une grande incertitude juridique.
L’obligation de mise en garde, qui consiste à mettre en lumière et à attirer l’attention du client sur les risques d’une opération, n’est pas encore une obligation légale systématique et l’application faite par la Cour de cassation vise le plus souvent des opérations ou des placements spéculatifs.
Afin de neutraliser au maximum cette subjectivité, j’encourage vivement mes clients, à aller au-delà de leurs obligations d’information et de conseil et d’effectuer des mises en garde, quel que soit le cas de figure, lors de la formalisation de la reconnaissance du conseil donné. Enfin, en cas de doute sur la mise en œuvre de leurs obligations, les CGP ont toujours la possibilité de consulter leur avocat, aguerri aux positions des juges.
*Publication de l’ITW réalisé pour l’ouvrage « Dessine-moi la gestion de patrimoine », produit par Vovoxx, Plateforme collaborative de production et de diffusion de contenus : Assurance, Banque, Epargne, Prévoyance.