L’économie de marché est certainement la mieux placée pour endiguer sur la durée l’épidémie

Philippe Crevel, économiste, Directeur du cercle de l’épargne répond aux questions de Dessine-moi la gestion de patrimoine*. L’argent semble tomber du ciel, l’endettement n’a plus de limite, les taux d’intérêt sont toujours plus bas, comment expliquer le monde économique dans lequel nous vivons ?
L’affranchissement des règles s’est déjà produit dans le passé, notamment pendant la période révolutionnaire française entre 1789 et 1797, en se soldant par une banqueroute. Avec la crise de 2008, les grandes zones économiques ont tourné la page du monétarisme des années 80. En une génération, la base monétaire des banques centrales de l’OCDE est passée de 2 400 milliards de dollars en 2002 à plus de 25 000 milliards en 2020. Avec la crise du Covid-19, elle s’est accrue de plus de 12 500 milliards. Cette création monétaire a été décidée afin de lutter contre la déflation et d’éviter l’insolvabilité des Etats. L’endettement de ces derniers atteint un niveau inconnu en période de paix. Il est la conséquence d’un affaiblissement de la croissance au sein des pays occidentaux et d’une socialisation des revenus d’un nombre croissant de ménages. Comme toutes les nations ont pris le même train fou de l’endettement de masse et des politiques monétaires expansives, et que nul n’a envie d’en descendre, le système, pour le moment, tient cahin-caha. Si, à un moment donné, un mouvement de panique intervient,
les conséquences pourraient être importantes et nécessiter une forte régulation mondiale. Le protectionnisme combiné à une bataille des changes pourrait être bien plus dangereux que la fuite en avant de l’endettement.
Fin de la mondialisation, fin du capitalisme, entrée dans un « nouveau monde, que penser de ces assertions ?
« Qui trop embrasse mal étreint ». En économie, il y a une règle en vertu de laquelle il ne faut pas fixer à une politique, à un outil, plusieurs objectifs, faute de quoi il n’en atteint aucun. L’objectif numéro 1 est la remise en marche de l’économie. La tentation malthusienne qui se diffuse au sein des sociétés occidentales est d’une rare dangerosité. Elle n’est pas nouvelle, mais s’amplifie avec la crise sanitaire. Le renoncement au progrès, à la croissance ne peut amener que la désillusion, le déclin et la violence.
La décroissance est une vue de l’esprit au moment où nous devons faire face à une série de défi de grande ampleur : la santé, les retraites, la dépendance. Le capitalisme est comme le pire système à l’exception de tous les autres, pour plagier Winston Churchill. Que certains rêvent du grand soir, c’est un phénomène logique et récurrent, mais l’économie de marché est certainement la mieux placée pour endiguer sur la durée l’épidémie et réussir la transition énergétique.
Comment flécher l’épargne vers le financement de l’économie ?
Les Français, du fait du confinement, ont constitué une cagnotte d’épargne de précaution d’environ 100 milliards d’euros, en privilégiant la sécurité et la liquidité sous la forme des comptes courants et du Livret A. La réorientation de cette épargne sur des placements de long terme, assurance vie, PEA ou PER suppose la levée des incertitudes sanitaires et économiques. En revanche, il est inutile de créer de nouveaux instruments d’épargne. Sur la fiscalité, je suis un partisan de la stabilité. Les changements incessants sont contreproductifs. Le Président de la République a institué le Prélèvement Forfaitaire Unique de 30 % en 2018, avec l’engagement de ne pas modifier la fiscalité de l’épargne durant cinq ans. Restons-en là ! Les fonds euros, dans un contexte de taux très bas, subiront de nouvelles baisses de rendements et les assurés continueront à porter une partie du risque au travers des unités de compte. L’architecture de l’assurance associant garantie en capital et valeurs de marchés n’est pas menacée en l’état actuel des choses.
Quelles sont vos anticipations, sur les marchés ? Y-a-t-il des zones, valeurs et secteurs à privilégier ? Et que devient l’immobilier ?
La crise a révélé la maturité croissante des actionnaires particuliers qui n’ont pas déserté lors des premiers coups de canon. 150 000 nouveaux actionnaires ont décidé de réaliser de bonnes opérations en achetant à prix cassé certaines valeurs. Avec les annonces de plans de soutien à l’économie et le maintien des taux bas, les actions ont récupéré près de la moitié des pertes enregistrées en mars. Les valeurs technologiques et celles du secteur de la santé sont les grandes gagnantes. L’indice des valeurs technologiques américaines, le Nasdaq, a même battu son record. Compte tenu du niveau élevé des incertitudes – l’évolution de l’épidémie, les relations entre l’Occident et la Chine, la situation de l’économie américaine -, le marché reste et devrait rester très volatil. Les investisseurs ont anticipé de manière peut-être un peu trop optimiste l’ampleur du rebond. Dans ce contexte très particulier, la diversification demeure de mise, tant au niveau sectoriel que géographique. Les actions européennes disposent d’un potentiel d’appréciation non négligeable surtout si le plan de relance porte ses fruits.
Les secteurs de la santé et des NTIC étant un peu chers, il convient certainement de regarder les valeurs de l’agro-alimentaire, de l’énergie et des matières premières ainsi que celles du BTP.
Quant à l’immobilier, il bénéficie à la fois de son statut de valeur refuge et des faibles taux d’intérêt. Les contraintes réglementaires qui raréfient notamment le foncier disponible contribuent également à la hausse des prix. L’augmentation de la population dans les métropoles, en créant un déficit de logements, a pesé à la hausse sur les prix. En sortie de confinement, le marché de l’immobilier a été plutôt dynamique, de nombreux ménages ayant souhaité réaliser au plus vite leur opération d’achat. Dans les prochains mois, un tassement au niveau des prix est à prévoir en raison d’un durcissement d’accès aux crédits et d’une prudence accrue des ménages. Les métropoles ont certainement atteint un maximum de développement. Les villes de taille moyenne avec des services de qualité – santé, écoles, transports, etc. – pourraient être les gagnantes de cette crise. Dans cette catégorie, figurent des villes comme Angers, Orléans, Dijon ou la Rochelle.
Pour les professionnels de l’épargne que sont les CGP, quels sont pour vous les défis de cette nouvelle décennie ?
Avec le digital, tout semble être facile et rapide, mais face à des situations complexes, être accompagné demeure une nécessité. La santé, la retraite, la dépendance sont des questions sensibles et face à la complexité des solutions, le contact direct avec des professionnels est obligatoire. Le monde de l’épargne, de la prévoyance, de la santé devient de plus en plus un monde de services et de logistique. Les CGP sont amenés dans leurs démarches à devenir des family offices et à démocratiser le concept de la conciergerie. Dans un système économique fragile et volatil, la rapidité devient une condition de survie. Les CGP devront être de plus en plus proactifs pour des clients qui ne satisferont plus d’algorithmes et de chabots.
*Publication de l’ITW réalisé pour l’ouvrage « Dessine-moi la gestion de patrimoine », produit par Vovoxx, Plateforme collaborative de production et de diffusion de contenus : Assurance, Banque, Epargne, Prévoyance.

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