Depuis plusieurs mois, la crise sanitaire provoque au sein du secteur de l’assurance de dommages un débat et des questionnements importants concernant l’accompagnement des compagnies d’assurances et plus spécifiquement les conditions dans lesquelles elles ont, avec leurs distributeurs, anticipé l’indemnisation des dommages subis par les entreprises assurées, lorsque les activités de ces entreprises ont été impactées par la survenance de la pandémie COVID 19. Au-delà des débats dogmatiques, des bilans qui ne sont pas glorieux loin de là, vient le temps de l’analyse de la robustesse des contrats et des comportements.
Quelle est la vocation d’une garantie perte d’exploitation ?
Il apparaît que cette mise au point s’impose. Les dossiers de sinistres en cours de traitement nous interpellent sur la nécessité de rappeler la définition de cette garantie.
Les argumentaires parfois opposés par les assureurs consistent à considérer que la garantie perte d’exploitation consécutive à la pandémie n’a pas vocation à figurer au sein d’un contrat d’assurances de dommages aux biens car elle ne concerne que les dommages subis à la suite d’événements propres à l’entreprise.
De cette assertion, l’assureur justifie un refus d’indemnisation.
La garantie perte d’exploitation consécutive à la pandémie n’aurait pas vocation à participer en tant que telle de l’objet d’un contrat d’assurances de dommages aux biens, car la mise en jeu de cette garantie nécessiterait une atteinte aux biens, c’est-à-dire un dommage matériel aux biens matériels de l’assuré.
Or, une garantie perte d’exploitation est une garantie qui indemnise par essence un dommage immatériel subi par l’assuré (une baisse d’activité). C’est une garantie dite d’avance sur recours, l’indemnisation de l’assureur lui permettant par le mécanisme de la subrogation d’aller rechercher l’éventuel responsable pour obtenir le remboursement de l’indemnité d’assurances.
La perte d’exploitation indemnise un dommage aux biens de l’assuré : son activité.
En soi, la garantie perte d’exploitation a donc bien évidemment pour essence de figurer au sein d’un contrat d’assurance de dommages aux biens.
En revanche, il est exact qu’historiquement cette garantie s’est ajoutée, pour compléter l’indemnisation de sinistres à caractère matériel, mais pas seulement.
Les garanties perte d’exploitation figurent en effet au sein des contrats d’assurance de dommages aux biens et viennent indemniser les assurés, lorsque ces derniers ont subi des dommages relativement à des événements couverts dans le contrat.
Les événements couverts dans le contrat sont en général les événements classiques que peuvent subir les bâtiments d’une entreprise, ou les personnes au sein de l’entreprise, à savoir principalement l’incendie, le dégât des eaux, le vol, le vandalisme etc…
Il existe néanmoins sur le marché un nombre significatif de contrats qui ont fait évoluer cette garantie, et qui ont créé une garantie autonome de perte d’exploitation, qui a vocation à indemniser les assurés, pas seulement lors de la survenance d’un événement touchant aux bâtiments de l’assuré, mais également d’autres évènements parfois extérieurs qui auront des répercussions sur l’activité de l’assuré, comme par exemple les épidémies, les pollutions, les fermetures administratives, les infractions commises par des tiers etc…
Ainsi, il n’est pas exact de dire que la garantie perte d’exploitation ne participe pas de l’objet d’un contrat d’assurance dommages aux biens quand en réalité, la problématique est exclusivement contractuelle et revient à identifier si, au sein du contrat en cause (analyse individuelle), la garantie peut être déclenchée par un événement couvert, c’est-à-dire non exclu, sans que cette garantie ne doive nécessairement être la conséquence d’un dommage matériel couvert.
En effet, ne confondons pas événement garanti et dommage garanti.
Là est le subtil dérapage et le piège dans lequel il ne faut pas tomber.
Quel est l’événement qui provoque depuis mars 2020 un arrêt de l’économie et pour certaines entreprises une baisse sidérante de leur chiffre d’affaires et donc de leur marge ?
C’est la pandémie COVID-19 et uniquement la pandémie COVID-19. Il ne s’agit pas d’autre chose.
Ainsi, il nous paraît dangereux de mettre en avant des arguments dogmatiques ou théoriques à caractère général, et non corroborés par des termes précis du contrat en cause, alors que le débat est purement contractuel comme l’a rappelé l’autorité de contrôle (communiqué ACPR 23.06.2020), mais également beaucoup de juridictions, tant civiles que commerciales, qui statuent régulièrement maintenant sur ces dossiers.
L’événement garanti désigne le périmètre du contrat d’assurance de dommages aux biens, c’est-à-dire son objet.
Le dommage garanti désigne le préjudice indemnisable.
Le dommage garanti peut être restreint par rapport à l’événement garanti.
Il n’est pas rare dans un contrat d’assurance de dommages aux biens qu’un événement soit garanti (un dégât des eaux), mais que les dommages subis en regard de ce dégât des eaux ne soient pas tous couverts par le jeu d’un mécanisme de restrictions, et d’exclusions au sein de l’événement garanti.
Le dommage garanti est souvent un sous ensemble de l’évènement garanti.
Il en est exactement de même de la garantie perte d’exploitation qui doit donc se définir dans le cadre de deux paramètres distincts, successifs et non commutatifs, pour en décrire très précisément les conditions d’application :
- L’événement de pandémie est-il couvert par le contrat ou fait-il au contraire l’objet d’une exclusion précise et opposable, auquel cas il n’est pas utile d’aller regarder plus loin : le périmètre du contrat (son objet) ne concerne pas l’événement de la pandémie et donc les dommages subis par l’assuré ne pourront pas être couverts en toute circonstance, puisque leur fait générateur n’est pas couvert ;
- La garantie perte d’exploitation repose-t-elle sur un mécanisme consécutif ou pas ? : Dans cette hypothèse et uniquement celle-là, il faut en effet que l’assuré démontre en plus que son dommage de perte d’exploitation est consécutif à un autre dommage subi dans l’entreprise, souvent matériel et en relation avec un sinistre d’endommagement des biens de l’assuré. Dans cette hypothèse, la garantie perte d’exploitation n’est pas autonome, elle vient compléter un champ d’indemnisation, donc le périmètre de l’indemnisation, pas l’objet du contrat.
En conséquence, dès l’instant que le contrat n’exclut pas l’événement de pandémie et ouvre à l’assuré les garanties de son contrat dommages aux biens en cas de pandémie, et que par ailleurs la garantie de perte d’exploitation n’est pas conditionnée à la survenance d’un dommage matériel au sein de l’établissement (consécutif ou non à un autre événement garanti), évitons de grâce les débats stériles sur les notions d’objet, de périmètre et assumons pleinement la responsabilité d’un contrat qui doit trouver application afin d’indemniser les sociétés dans ce contexte.
L’application douloureuse des intercalaires.
L’analyse des contrats met en évidence que les garanties autonomes de perte d’exploitation qui sont en réalité les seules à trouver application, proviennent souvent de contrats d’assurances spécifiques rédigés par des courtiers qui ont conçu ces garanties perte d’exploitation en créant, en s’adossant à des conditions générales standard, des garanties autonomes reliées uniquement aux événements garantis, soit par l’intercalaire lui-même, soit par le contrat de base. Cette garantie autonome est non conditionnée par la survenance d’un dommage matériel.
Là encore, trop souvent sont les réponses adressées par les compagnies qui ne se réfèrent qu’aux conditions générales de leur contrat, et qui refusent de considérer le texte des intercalaires, qu’elles ont pourtant acceptés, et qui ne sont autres que des conventions spécifiques et dérogatoires venant se substituer au mécanisme général et de ce fait :
- Peuvent permettre d’accroitre le périmètre de l’objet du contrat ;
- Définir les règles d’indemnisation du dommage subi.
On note néanmoins que le travail de cohérence contractuelle et d’interface, c’est-à-dire de compréhension et de lisibilité de l’ensemble contractuel que constituent les conditions générales et les intercalaires (autrement appelés conventions spéciales ou particulières) n’a pas été fait ou insuffisamment, et c’est cela qui en partie aujourd’hui, retarde les indemnisations et nuit aux intérêts des assurés.
En effet, cette absence de lisibilité provoque des discussions sémantiques importantes, génère des difficultés d’interprétation et contraint donc les assurés à s’en remettre à la justice pour faire trancher le différend quant à l’interprétation de leur contrat.
Et la conformité dans tout cela ?
Vous en déduirez qu’il s’agira probablement d’un comportement obsessionnel de ma part … nous l’écrivons souvent et nous l’avons également écrit pour ce qui concerne les processus de mise en œuvre de la vente de produits d’assurance par téléphone.
Là encore, nous réitérons que la directive distribution bouleverse l’assurance de l’entreprise, l’assurance de dommages aux biens et de responsabilité, bien plus qu’en matière d’assurance-vie secteur pour lequel les recommandations de l’ACPR et son travail de contrôle (conjointement avec l’AMF) avaient déjà défini les bonnes pratiques (Recommandation 2013 R-01 du 8 janvier 2013).
Ce que met en évidence cette crise sanitaire, c’est l’urgence de renforcer la collaboration assureur/courtier pour définir des garanties viables et adaptées, travailler sur l’équilibre technique de ces garanties (leur financement), s’entendre sur les cibles et adapter ces contrats d’assurance au secteur d’activité concerné, car les dossiers de sinistre montrent également une très grande disparité dans le dommage subi par les entreprises et des écarts-types très élevés en ce qui concerne les conséquences que cette crise sanitaire a pu avoir sur certains secteurs par rapport à d’autres.
Il ne serait pas raisonnable de ne pas entendre les assureurs lorsqu’ils expliquent qu’ils n’ont pas la possibilité d’indemniser les entreprises dans des conditions illimitées. Il est exact que lorsque certains contrats sont incontestablement en couverture, il n’est pas rare de constater que la couverture n’a pas été sous limitée. La faute à qui ?
Mais il n’est pas non plus raisonnable d’entendre que la meilleure solution est de supprimer cette garantie et d’exclure du périmètre d’un contrat d’assurance de dommages aux biens les événements extérieurs et notamment les pandémies, qui de facto ont nécessairement des répercussions sur l’activité économique de l’entreprise et justifient donc que l’assurance, et non pas seulement la solidarité nationale, s’intéresse à la protection de l’entreprise.
Nous ne pouvons donc qu’attirer l’attention des professionnels sur l’impérieuse nécessité dans le cadre du dispositif de gouvernance des produits (et oui, encore lui !) de prévoir des cadres précis de travail et de relecture de leurs contrats, en travaillant sur la cohérence des intercalaires quand ils existent, et en essayant autant que faire se peut, de mettre en œuvre des conventions compréhensibles.
Le travail consistera également à préserver l’équilibre technique des garanties et à réfléchir sur les besoins par secteur. On ne peut effectivement pas permettre à une entreprise d’obtenir la même indemnisation dans le cadre de la survenance d’un événement interne (incendie), que dans le cadre de la survenance d’un événement externe par nature à vocation sériel (pollution, épidémie).
Et le courtier dans tout cela, est-il exposé ?
On note enfin un certain nombre de comportements surprenants qui consistent aujourd’hui à culpabiliser les courtiers dont les contrats fonctionnent ! C’est-à-dire des contrats qui apportent aux entreprises qui subissent de graves pertes d’exploitation, des garanties associées.
Nous aurions plutôt intérêt à relever leur professionnalisme et leur à-propos, à tout le moins à relever l’heureuse coïncidence.
Le courtier n’est-il pas en effet principalement, comme l’agent général du reste (nous l’avons fait juger), l’allié du client et n’a-t-il pas vocation à systématiquement agir dans son intérêt ?
Dans ce contexte, beaucoup d’entre eux sont fortement incités à signer des transactions au nom et pour le compte de leurs clients dont les effets consistent à obtenir une indemnisation limitée au 11 mai 2020, la résiliation anticipée des contrats 2020, ou accepter des modifications immédiates de leurs intercalaires.
Nous attirons l’attention de ces professionnels sur le risque évident de mise en cause de leurs responsabilités, si le courtier procède lui-même à la résiliation anticipée ou à la modification du contrat, sans que le client ait donné expressément son accord, ou aura accepté sans avoir reçu le conseil clair et non trompeur justifiant de la pertinence de cette décision.
En effet, cette résiliation anticipée du contrat ou toute renonciation à une indemnisation ultérieure issue du même fait générateur n’est pas dans l’intérêt du client, lorsque l’on sait que les effets de la pandémie sont loin d’avoir disparu, et que les garanties perte d’exploitation quant à elles, sont acquises pour une période allant de 18 à 24 mois.
Laissons donc les compagnies d’assurances résilier elle-même les contrats à l’échéance, et prenons le temps pendant ces périodes de renouvellement, de renégocier calmement dans l’intérêt des clients des garanties adaptées à leurs besoins.
Cette période de renouvellement est sans nul doute une période exceptionnellement intense pour le secteur de la distribution, mais la pression du marché, que ce soit fournisseur ou client, ne doit néanmoins pas faire perdre aux distributeurs leurs repères et leurs convictions.
Isabelle Monin Lafin – Avocate – Associée ASTREE AVOCATS