Patricia Lacoste, Président Directeur général du Groupe PREVOIR, évoque un des sujets majeurs pour la profession, la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour financer la perte d’autonomie. Patricia Lacoste, le projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie ouvre la voie à la création d’une 5Ième branche pour financer le risque de perte d’autonomie. Est-ce une avancée majeure ?
C’est une avancée car cela met en exergue une problématique très importante pour la France : celle du vieillissement de la population et par conséquent, cela soulève la question du traitement et du financement de la perte d’autonomie. Déjà, le rapport Libault de mars 2019 avait mis en lumière la réalité de la perte d’autonomie, de la situation dans les EHPAD. La crise que nous venons de vivre a probablement souligné l’urgence à se pencher sur cette question.
Ainsi, créer une 5ème branche donne une visibilité médiatique à ces enjeux sociétaux. Est-ce cependant la bonne solution ? La création d’une 5ème branche indique une prise en charge par l’Etat, par le collectif. En a-t-il les moyens ?
Quand on sait que d’ici 20 ans, les plus de 60 ans représenteront plus de 35% de la population quand ils ne représentent que 25% aujourd’hui, on comprend clairement que le vieillissement de la population – et donc son financement – ne peut pas être une problématique uniquement gérée par l’Etat. A la table devraient se retrouver, autour des organismes publics, les professionnels du grand âge, des médecins gériatres, des associations d’aidants, des organismes d’auxiliaires de vie mais aussi des professionnels de la protection comme les assureurs. L’objectif est d’appréhender la perte d’autonomie dans sa globalité : qu’est-ce que c’est ? comment la reconnaître et la ralentir ? quelles sont les conséquences de la perte d’autonomie pour la personne concernée et pour son entourage ? quelles solutions existe-t-il ? en termes de prévention, d’accompagnement et de financement ? Chez PREVOIR, c’est avec ce type de démarche collaborative que nous avons régulièrement fait évoluer nos solutions.
Pourquoi les assureurs ont eu du mal jusqu’à présent sur les garanties dépendance ? Ce risque est-il assurable ? Les offres vont-elles évoluer ?
Nous pouvons identifier 2 difficultés quant à ce marché : l’assurance du risque et l’approche de la clientèle. Nous avons aujourd’hui suffisamment d’expérience pour dire que ces difficultés sont surmontables, mais demandent une certaine expertise.
Tout d’abord, le risque de la perte d’autonomie, il est bien sûr assurable, même s’il reste encore mal connu. Deux phénomènes viennent rendre le travail des assureurs complexe sur ce risque : le vieillissement de la population augmente l’occurrence et la durée de la dépendance reste variable. Il existe plusieurs causes à la perte d’autonomie, selon la cause, la condition physique et mentale, l’entourage de la personne en perte d’autonomie, cette situation peut durer plus ou moins longtemps ; ces variations ne sont pas nécessairement confortables dans la tarification du risque.
Autre point qui peut poser problème : l’approche de la clientèle. La perte d’autonomie est un sujet sensible, anxiogène, intime. Nous parlons d’ailleurs davantage, chez PREVOIR, de maintien à domicile, qui est au fond le souhait principal des personnes âgées. L’enjeu est clairement de sensibiliser la population à la nécessité d’anticiper le vieillissement, l’aménagement du domicile, le financement du maintien à domicile. Il faut de la proximité, prendre le temps, connaître les aides existantes comme l’APA, les aides techniques qui peuvent être apportées dès les premiers signes de la perte d’autonomie.
Parce que la connaissance du risque et des enjeux évolue, les offres s’adaptent pour répondre davantage aux besoins des clients. Les offres doivent proposer des garanties financières bien sûr, sous forme de rente en cas de dépendance lourde notamment, mais aussi des paniers de service, de l’accompagnement pour les aidants. Il faut laisser une marge de manœuvre à la famille pour utiliser les garanties du contrat les plus adaptées à la situation personnelle de l’individu en perte d’autonomie. C’est notre travail avec l’hôpital Broca qui nous a aidés à prendre conscience de cela. La situation de perte d’autonomie d’une personne isolée en campagne ne peut pas être résolue de la même façon qu’une personne, vivant en ville avec son conjoint, près de services municipaux organisés.
Que pensez-vous des propositions de la FFA-FNMF qui consiste à créer une nouvelle cotisation dans les complémentaires santé pour financer une prise en charge par répartition ?
Cette proposition doit permettre de mettre la profession à la table des discussions. Le financement de la perte d’autonomie ne peut se faire sans les assureurs. C’est important de prendre l’avis de spécialistes de la protection. L’avantage de la solution proposée par la FFA-FNMF est qu’elle est très large, qu’elle s’applique à tous. Mais c’est aussi son inconvénient. La santé est un risque de court terme, souvent provisoire, quand la dépendance s’envisage sur le plus long terme et le plus souvent de façon permanente ; c’est en fait une garantie qui se marie mal avec la santé pour des questions de risques et de cibles de clientèle.
Les cotisations santé concernent tout le monde. Est-ce que celles concernant la perte d’autonomie doivent être considérées de la même façon ? Je pense qu’il y a un moment pour tout. Ce n’est pas aux jeunes de 20 ans qu’il faut demander de cotiser pour la dépendance. Les actifs protègent certes leur santé et doivent préparer leur retraite, c’est déjà beaucoup. La préparation de la dépendance, du maintien à domicile doit s’appréhender quand on est retraité, dans les mois ou années qui suivent le départ à la retraite.
Enfin, il est important de ne pas réduire le traitement de la dépendance à un sujet de financement. Les réponses à cette problématique sont plus globales : il faut mettre en place des prestations d’accompagnement de la personne en perte d’autonomie et des aidants, des solutions pour aménager le quotidien et favoriser le maintien à domicile autant que possible. Il est important d’agir dès les premiers signes de dépendance, à côté de solutions de financement. La proposition de la FFA-FNMF ne concerne que la prise en charge de la dépendance lourde. Il faut aller plus loin, et traiter la dépendance partielle et la dépendance légère, il faut pouvoir accompagner nos assurés et agir dès les premiers signes de la perte d’autonomie.
Quelles sont vos propositions et vous offres dans le domaine de la dépendance ?
Nous avons développé des solutions depuis plus de 20 ans sur ce sujet. Avec notre compréhension de la problématique, nous avons fait évoluer notre offre. Aujourd’hui, nous visons clairement à aider les personnes à rester chez elles le plus longtemps possible. En termes de vocabulaire, nous parlons d’ailleurs bien plus de « maintien à domicile » que de perte d’autonomie. C’est aussi une façon de projeter l’assuré vers une situation plus positive.
Nous proposons des garanties de plus en plus tôt, dès la dépendance légère. Cela prend la forme d’un panier de services, d’un financement de l’aménagement de l’habitat en cas de dépendance partielle. Enfin, bien sûr, en cas de dépendance totale, nous versons une rente mensuelle permettant de participer au financement de l’intervention des auxiliaires de vie ou de l’établissement spécialisé.
Avez-vous d’autres commentaires ?
Pour conclure, je voudrai à nouveau souligner l’importance de placer la dépendance au cœur des préoccupations de notre société, une société vieillissante. Ce qui est encourageant, c’est que le gouvernement actuel semble vraiment vouloir avancer sur ce sujet. La solution néanmoins sera collective, avec tous les acteurs et elle sera multiple : il n’y a pas qu’une solution, il y en a sans aucun doute plusieurs, complémentaires.
Interview effectué par Jean-Luc Gambey – L’assurance En Mouvement – Vovoxx
Photo de F.Maréchal