Dépendance : « Il faut penser complémentarité et proposer une approche globale de ce risque aux Français »

Le président-directeur général d’AXA France, Jacques de Peretti, évoque un des sujets majeurs pour la profession, la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour financer la perte d’autonomie. Jacques de Peretti, le projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie ouvre la voie à la création d’une 5Ième branche pour financer le risque de perte d’autonomie. Est-ce une avancée majeure ?

Le nombre de bénéficiaires de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) atteignait près de 1,4 millions de personnes en 2020 – et ce chiffre pourrait atteindre 2 millions en 2040. Quant aux aidants, ils sont près de 11 millions. La dépendance est un sujet de préoccupation croissant. Etant donné le reste à charge actuel, on ne peut que se féliciter d’une prise de conscience accrue des Pouvoirs publics sur le sujet de la prise en charge de la dépendance et des problématiques des aidants. Néanmoins, il n’est pas certain que créer une nouvelle branche de sécurité sociale soit l’unique moyen pour gérer ce risque de long terme.
Les organismes assureurs ne semblent pas, pour l’heure, conviés à participer aux fondations de cette 5ième branche. Est-ce normal ? Un financement seulement public peut-il être suffisant ?
Le budget de la dépendance des personnes âgées dépasse les 30 milliards d’euros, alors même que le reste à charge reste très important pour les familles. Il peut atteindre 3 000 €/mois en maison de retraite dans certains départements, voire plus à domicile pour des dépendances nécessitant une surveillance permanente. La question de la soutenabilité du financement se pose donc, et se posait déjà, avant la crise sanitaire et économique provoquée par l’épidémie de covid-19. En l’absence de réforme structurelle, l’APA connaîtra une montée en charge non soutenable pour les finances publiques seules, même en prenant en compte un possible transfert d’une partie des ressources de la Cades pour financer la dépendance et sans amélioration significative de la solvabilisation des Français – qui est pourtant nécessaire.
L’exemple allemand est à cet égard intéressant : si l’Allemagne a mis en place un système de prise en charge de la dépendance plus étendu que celui l’APA, via un système par répartition, nous pouvons noter que quatre ans à peine après son lancement en 1995, cette cinquième branche était déjà déficitaire et que les prélèvements sur salaires ont dû être augmentés significativement à plusieurs reprises, avec un triplement de la cotisation depuis le lancement de la couverture.
D’ailleurs si le rapport Libault préconise de recourir à la solidarité nationale via l’impôt, d’autres sénateurs estiment eux que seule l’instauration d’une assurance obligatoire sera à même de pouvoir couvrir les coûts associés à une prise en charge étendue et de qualité – cette assurance pouvant être gérée par le public ou le privé. Je ne pense pas qu’il faille opposer financement public et financement privé, bien au contraire, il faut penser complémentarité pour proposer une approche globale de ce risque aux Français.
Pourquoi les assureurs ont eu du mal jusqu’à présent sur les garanties dépendance ? Ce risque est-il assurable ? Les offres vont-elles évoluer ?
Les assureurs français ont plutôt bien réussi : plus de 7 millions de Français sont assurés contre le risque dépendance, ce qui fait de la France un des premiers marchés de l’assurance dépendance au monde. Les assureurs disposent d’une expérience unique de 35 ans avec une connaissance et une maîtrise du risque reposant sur une définition robuste de l’état de dépendance, des lois de tarification d’expérience, la mise en place d’une gestion rigoureuse et d’un pilotage avancé du risque.
La dépendance sévère est un risque, pas une fatalité (environ une personne sur quatre sera concernée), et à cet égard, est assurable. Les mécanismes de prévoyance permettent à la fois de jouer sur le facteur temps (provisionnement précoce) et sur la mutualisation des risques et des coûts (abaissement du coût de la protection individuelle par une couverture large de la population), sans mettre à l’épreuve la solidarité intergénérationnelle.
Le dynamisme du marché français s’explique en partie par les produits proposés, qui, tout en couvrant un risque complexe, sont des produits forfaitaires simples et flexibles. Ils prennent, principalement la forme de contrats de prévoyance avec un développement des services proposés en cas de dépendance et des services de prévention tout au long du contrat. Il existe des couvertures tant individuelles que collectives.
Les offres évoluent en permanence… Rappelons-nous que ce sont les assureurs qui les premiers se sont intéressés aux aidants, et ont élaboré des services et garanties spécifiques : capital en cas de dépendance du parent âgé, services d’aide aux aidants tels que l’aide au répit
Que pensez-vous des propositions de la FFA-FNMF qui consistent à créer une nouvelle cotisation dans les complémentaires santé pour financer une prise en charge par répartition ?
Toute proposition visant à améliorer la solvabilité des Français face à ce risque est bienvenue ! Les assureurs comme les mutualistes ont de solides arguments à faire valoir via leur expertise dans la prise en charge de ce risque. La proposition FFA-FNMF (inclusion d’une garantie dépendance dans les contrats santé responsables donnant droit à une rente viagère en cas de dépendance lourde – GIR 1 et 2) a le mérite de permettre d’améliorer sensiblement et immédiatement la couverture d’une très large majorité de la population (active et retraitée) ainsi que de créer une réelle prise de conscience sur les besoins associés à la dépendance. Cette intégration dans les complémentaires santé permettra de faire jouer à plein la mutualisation entre les Français, et donc d’être en mesure de proposer les primes les plus basses possibles ainsi que de supprimer la sélection médicale. Ce serait un premier pas vers la prise en charge de ce risque.
Sur le sujet de la prise de conscience face au risque dépendance comme évoqué précédemment, en Allemagne, la prise en charge de la dépendance est financée par l’impôt pour la majorité des citoyens (3,05% des revenus, avec une cotisation supplémentaire de 0,25% pour les Allemands sans enfant). Malgré ces coûts importants, la mise en place de cette couverture a boosté le marché de l’assurance dépendance complémentaire…
Les branches professionnelles doivent-elles soutenir des garanties collectives de dépendance ou faut-il laisser ce marché à l’individuel ?
L’individuel et le collectif sont complémentaires. Les garanties collectives permettent notamment de mutualiser sur de larges populations. Certaines branches professionnelles ont d’ailleurs déjà mis en place des garanties dépendance. Cependant, la mutualisation la plus efficace reste une mutualisation très large, interbranches.  L’individuel a toute sa place également, que ce soit sur des populations spécifiques n’ayant pas accès aux garanties collectives, ou en complément bien évidemment car les besoins de financement restent importants.
Quelles sont vos propositions et vos offres dans le domaine de la dépendance ?
La dépendance et le soutien des aidants sont des sujets majeurs pour AXA, car nous savons que les besoins actuels sont très importants et le seront encore plus à l’avenir. Nous sommes présents sur l’individuel comme sur l’assurance collective, en France et même à l’international. Sur le collectif, nous proposons des garanties annuelles ou viagères (acquisition de droits), pour les salariés, ainsi que des garanties telles que le capital en cas de dépendance des parents. Sur l’individuel, nous avons un contrat à adhésion facultative pour répondre aux besoins des clients avec des garanties modulaires (niveau de rente, garanties optionnelles).
Mais au-delà de l’accompagnement financier, l’enjeu porte sur une approche globale pour compléter le volet financier au travers de services, et ce dès l’adhésion. Cette approche globale va de l’accompagnement dans les démarches administratives à l’organisation de services à la personne ou au soutien psychologique en passant par la mise en place de solutions permettant le repos de l’aidant. Ces services s’adressent aussi bien à l’aidé qu’à l’aidant.
Avez-vous d’autres commentaires ?
Le système de protection sociale en France a été mis en place quand les familles ne comptaient que trois générations. Actuellement, elles peuvent compter jusqu’à cinq générations, et seule une solution innovante et structurelle peut répondre à cette profonde évolution. Un fort développement du système d’assurance permettra d’éviter de grever durablement les finances publiques.  Le vieillissement démographique, accompagné d’un allongement de l’espérance de vie en bonne santé, conduira probablement à une restructuration de l’ensemble de la société et de son économie. De nouveaux besoins émergeront, certains secteurs économiques évolueront considérablement, que ce soit sous l’angle des offres de services et de soins ou sous celui des nouvelles technologies et gérontechnologies. De nouveaux gisements de productivité sont à faire émerger car le vieillissement de la population, s’il est anticipé et repensé, se révèlera porteur de croissance.
Interview effectué par Jean-Luc Gambey L’assurance En MouvementVovoxx
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