Beaucoup d’industries misent aujourd’hui sur la vente à distance. Récemment, par exemple, de grands constructeurs automobiles ont déclaré qu’ils misaient massivement sur l’achat à distance pour essayer d’endiguer la chute vertigineuse de leur chiffre d’affaires. Nul doute que dans cette période, les Français vont limiter les contacts physiques avec leurs fournisseurs, et essentiellement utiliser deux canaux majeurs : le téléphone et le digital. De nouvelles pratiques seront probablement héritées de cette crise. Nous avons le plaisir d’interroger, à distance, Alexandre Laverdure, Digital Specialist EMEA chez Precisely. Partagez-vous ce point de vue ?
Je partage tout à fait le point de vue selon lequel les Français vont limiter les contacts physiques avec les fournisseurs : le canal digital a déjà commencé à grandir significativement dans le contexte de crise que nous traversons. Le numérique aide à aller plus vite : on y recourait déjà auparavant pour de nombreux achats. Preuve en est le succès d’acteurs comme Amazon. La question qui se pose désormais est différente selon moi : est-ce que les consommateurs sont prêts à recourir à ces canaux pour des biens à forte valeur ajoutée, comme l’automobile ? Ils aiment pour ce type de produits essayer avant d’acheter. Peut-on “livrer à domicile” une voiture pour que le futur conducteur puisse la tester ? Des constructeurs l’ont fait, c’est donc possible.
Pour les ventes complexes, et les produits qui demandent du test ou de la compréhension, je pense donc que le digital peut faire partie du processus. Dès que l’on a besoin de tests ou d’accompagnement en revanche, il faut donc selon moi envisager la possibilité de ne pas s’y limiter. C’est le cas des assurances, qui proposent davantage de produits complexes que simples.
Dans l’assurance, la vente à distance avait, à la lueur de quelques abus, mauvaise presse et faisait déjà l’objet d’une attention particulière de la part de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. Pensez-vous que la situation de la vente à distance va évoluer dans ce secteur ? les Français vont-ils plus utiliser la VAD dans notre secteur ?
Les Français recouraient déjà à la VAD dans le secteur des assurances : la tendance va certainement se renforcer. Tout va cependant dépendre des produits, à mon sens. Les assurances obligatoires, comme l’automobile ou l’assurance habitation, sont suffisamment simples pour être vendus uniquement via le canal digital. Je ne parle pas du téléphone, que je distingue, de par l’accès à l’explication d’un conseiller humain.
Même en ligne et pour des produits simples, demeure cependant l’obligation d’un fort devoir de conseil. Il est difficile de remplacer l’humain : les chatbots permettent la détection de besoins mais ne conviennent pas à la vente de produits complexes. Ils sont adaptés, comme le téléphone dans ce contexte, à la prise de rendez-vous physique. Selon les catégories de produits ou d’utilisateurs, il faut donc proposer la possibilité d’échanges vidéo par exemple, permettant aux commerciaux et aux clients de se voir, et garantissant ainsi un meilleur contact et un meilleur accompagnement. Les entreprises doivent adapter leurs processus métiers en conséquence, tout en se rappelant que l’engagement sur les canaux de communication est aussi divers et complexe que les générations de clients. Comme le souligne le livre blanc “Les canaux de prédilection” réalisé par Pitney Bowes et CMO Council, 85 % des répondants ont une préférence pour la combinaison de canaux physiques et numériques. Il faut bien connaître ses clients pour leur proposer le meilleur mix possible.
Même si le conseil et la relation client « physique » restent importants, les nouvelles procédures de vente à distance pourraient-elles instaurer une nouvelle norme ? Une nouvelle facilité souhaitée par les clients finaux ?
Les normes tendent aujourd’hui à protéger le client et à éviter la vente à distance forcée. L’ACPR a trouvé anormal d’avoir une vente en une seule étape, et impose un temps de réflexion basé sur deux étapes minimum dans la relation commerciale. Le conseil et la relation client restent incontournables et ne doivent pas être sacrifiés sous couvert d’efficacité. Les nouvelles procédures doivent donc instaurer une nouvelle norme, qui serait celle de se prémunir contre toute vente poussée ou forcée, grâce à des outils permettant une information exhaustive, complète et accessible du client.
La crise provoquée par le coronavirus a accéléré la recherche de solutions permettant de vendre les produits à distance, parfois sans la nécessité de signer physiquement la police. Pensez-vous que les acteurs du secteur de l’assurance en général vont accélérer massivement la mise en place de leurs process de VAD ? La souscription de certaines garanties d’assurance, parfois banalisées et perçues comme tel par les Français, ne va-t-elle pas basculer définitivement vers un mode « bi-canal » (téléphone/digital) ?
Nous revenons à la nécessité de distinguer deux grandes catégories de produits, simples et complexes. Le modèle du tout digital ou bi-canal n’est pas évident : il n’est pas facile d’aller jusqu’à la bascule définitive parce qu’il y a encore des clients qui ont besoin de la relation physique avec une marque. Ce n’est pas qu’une question d’âge : le besoin de réassurance concerne toutes les générations et va plutôt dépendre de la catégorie de produit recherché par le consommateur.
Dans le secteur des assurances, on touche aux économies, c’est délicat : les gens ont besoin de discuter avec un conseiller. J’aurais donc tendance à ne pas simplement limiter le contact au téléphone et au digital, mais à chercher à proposer une conversation virtuelle à distance, ce qui permet de voir le conseiller et d’apporter davantage de validité à une proposition commerciale.
Dans le domaine des assurances, nous constatons que les clients ne connaissent souvent pas la nature de leur souscription et de leur contrat : il faut donc prendre garde à ne pas continuer à banaliser des produits déjà banalisés, et leur apporter au contraire le conseil le plus pertinent possible quel que soit le canal utilisé. Ce qui compte, in fine, c’est l’expérience client : le digital n’est pas seulement primordial en matière d’acquisition, mais également dans le fait qu’une fois le produit acquis, il peut permettre d’expliquer au client de manière personnalisée et interactive ce qu’il vient d’acquérir. Les clients veulent un accueil de qualité et personnalisé : il est possible de leur fournir grâce à des outils adaptés à leurs besoins.
Cela ne va-t-il pas provoquer et accélérer la généralisation de bonnes pratiques en la matière ?
A partir du moment où il est possible d’automatiser et de tracer, il est plus difficile de prendre des chemins de détours. Le tout digital et/ou téléphone peut permettre une détection plus facile des utilisateurs manifestant de bonnes pratiques. Il s’agit d’une protection pour les clients, dans un contexte où tout est potentiellement plus contrôlable et plus encadré.
La dématérialisation du devoir de conseil est-elle aujourd’hui possible ?
Techniquement, oui. Il est possible de poser les bonnes questions pour comprendre qui est le client et quels sont ses besoins et ses attentes. Bien sûr, pour une expérience client optimale, toute va dépendre du processus et du nombre de questions : plus j’ai de questions, moins le digital (et non le téléphone) sera efficace en comparaison avec une conversation humaine. Il est possible de tout faire aujourd’hui, mais dans le cadre de processus ultra complexe : ce n’est pas pour autant forcément viable pour les clients finaux. Et ce sont eux qui doivent être au centre des préoccupations et de l’approche produits. Les préférences évoluent selon les produits. Il n’est pas possible d’occulter la complexité et l’investissement émotionnel relatifs à certaines catégories de produits comme les assurances, qui demandent une forte réassurance.
Au final la VAD ne va-t-elle pas s’amplifier significativement dans le secteur de l’assurance ?
Je pense que la généralisation peut avoir lieu pour les produits les plus simples, de type assurances obligatoires (automobile, habitation, …) et IARD, c’est-à-dire toute ce qui est relatif aux “incendies, accidents et risques divers” en vue de protéger les biens et non les personnes. Une amplification significative de la VAD peut plus difficilement avoir lieu sur des produits plus complexes imposant l’intervention d’un conseiller, à l’image, par exemple, d’une assurance dommage pour un commerce : le commerçant voudra faire venir quelqu’un pour fournir une estimation adaptée à la réalité. On a encore besoin d’interventions physiques réelles.
Avez-vous d’autres commentaires ?
A partir du moment où l’entreprise est engagée dans une approche de digitalisation, elle ne doit pas hésiter à aller dans la personnalisation, voire l’hyper-personnalisation, de la relation client. Il ne s’agit pas de personnaliser l’assurance, mais le discours et les options disponibles, sur la base d’un échange dynamique et interactif. C’est ce qui permettra aux assureurs de se démarquer de la concurrence, au moment de l’acquisition comme tout au long du cycle de vie du client, qui aura ainsi accès de manière simple et efficace aux éléments de son contrat dont il a besoin, dans une logique de formation et d’information faciles et permanentes.
Nous remercions Alexandre Laverdure et vous rappelons que nous avons décidé de traiter ce sujet, dans les mois à venir, en particulier :
- Une enquête spéciale B to B sur les nouveaux enjeux de la vente à distance pour le secteur de l’assurance
- Une émission spéciale sur Assurance TV (voir exemples)
- Un article dans le prochain magazine print « Dessine-Moi l’Assurance » adressé aux décideurs du secteur de l’assurance (voir le dernier numéro en format digital)
Jean-Luc Gambey – L’assurance en Mouvement/Vovoxx
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