Tout comme le télétravail, la téléconsultation médicale avait du mal à percer en France. La téléconsultation n’avait jamais vraiment rencontré le succès. Les téléconsultations représentent désormais une nouvelle manière de consulter. Dans le contexte Covid-19, il a été assoupli le recours à la téléconsultation, habituellement réservée au médecin traitant ou à un praticien déjà consulté en cabinet dans l’année précédente. Si la télémédecine était un choix « contraint », elle est probablement appelée à devenir une véritable solution pour les personnes isolées, les habitants de déserts médicaux, les expatriés et bon nombre d’autres personnes domiciliées en France,… . La téléconsultation va-elle connaître, après cette période, un essor et s’installer progressivement dans le parcours de soins (voire de santé…) ? Nous avons eu le plaisir d’interroger, à distance, Caroline Demoucelle – Directrice Santé de Carte Blanche Partenaires.
D’abord, d’un point de vue général, pensez-vous que « l’épisode sanitaire » lié au covid19, qui a permis un véritable usage de la téléconsultation par les Français, va enfin se développer durablement et s’installer dans le parcours de santé et/ou de soins des Français ? pour quelles raisons ?
Avant le confinement, la téléconsultation représentait moins de 1% de la totalité des consultations en France. Durant le confinement, 950 000 consultations à distance ont été menées… par semaine[1] ! La période de confinement que nous avons connue est la principale explication d’une telle évolution. La crise sanitaire a poussé les autorités à assouplir les conditions d’accès à la téléconsultation avec par exemple l’absence d’obligation de télé-consulter un médecin déjà consulté physiquement. Ces assouplissements ont aussi entraîné une évolution dans le mode de financement de ces téléconsultations avec principalement un remboursement par le régime obligatoire et la complémentaire santé du patient, à l’identique donc d’une consultation physique. Mais on note également que de nombreux Français ont renoncé à consulter leur médecin pendant la crise sanitaire, sans doute par crainte d’être contaminés par le Covid-19 ; au point que les autorités ont lancé des campagnes de communication pour inciter les Français à ne pas reporter les soins.
Un premier pas a donc été fait, et on peut penser que le recours à la téléconsultation ne reviendra pas au 1% pré-confinement. Néanmoins, ce haut niveau de consultations risque de s’essouffler : les Français l’ont expérimenté faute de mieux ; si les digital native vont conserver ce mode de consultation, certains Français vont revenir à un mode de consultation plus classique.
L’enquête que nous avions lancée fin 2018 auprès des assurés de nos complémentaires santé clientes[2] a montré que les Français étaient prêts à recourir à la téléconsultation pour des actes simples tels que renouveler une ordonnance ou obtenir un conseil médical plus rapide, à condition que le rendez-vous se déroule avec leur médecin généraliste (près de 90% des sondés) ou leur spécialiste habituel (plus de 80%). Les Français souhaitent donc consulter, mais avec leur propre médecin.
Selon un récent sondage*, 30 % des Français, sont prêts à y recourir plus souvent à l’avenir. Peut-on considérer que l’usage de la téléconsultation va enfin « décoller » ? Si oui auprès de quelles populations ?
On constate effectivement un vrai boom entre l’étude Opinion Way réalisée en plein confinement et l’étude menée fin 2018 auprès des assurés de nos complémentaires santé clientes. A la question « avez-vous déjà eu recours à la téléconsultation ? », seul 1,3% du panel avait répondu favorablement.
Pour que cet usage décolle vraiment, il faudra réunir 2 conditions :
- Favoriser l’accès au numérique pour l’ensemble des Français : nous avions identifié à l’occasion de cette étude que pour 42% des sondés, les risques technologiques constituaient un frein. Selon une étude de l’INSEE de 2018, 38% des usagers d’Internet apparaissent manquer de compétences numériques. Or, la téléconsultation requiert des équipements et des capacités d’usage importants.
- Que les plateformes de téléconsultation suivent le mouvement en proposant une offre plus riche et complète et une qualité de service plus stable : livi revendique 300 praticiens salariés, 31 000 médecins de la plateforme Doctolib sont passés à la téléconsultation (sur les 125 000 praticiens recensés) … ce qui est peu compte tenu, par exemple, du nombre de médecins en France (environ 223 000) ! Pour satisfaire cette demande grandissante, les plateformes devront enrichir leur offre : recruter plus de professionnels de santé prompts à pratiquer la téléconsultation, développer des outils d’accompagnement post-téléconsultation – comment est transmise l’ordonnance si la téléconsultation donne lieu à une prescription ? Quid de l’orientation vers un autre professionnel de santé ?
- Certains acteurs du secteur de l’assurance complémentaire santé, proposaient déjà ce service à leurs assurés. Pensez-vous qu’à l’avenir, les services de téléconsultations devront faire partie intégrante et systématique de l’offre servicielle dans le cadre d’une complémentaire santé ?
De nombreuses complémentaires santé proposent ce service avec une prise en charge au 1er euro, dont le modèle économique repose quasiment sur une sous-utilisation. La crise sanitaire a créé un précédent : tous les acteurs doivent proposer cette offre dans leur portefeuille avec une mode d’organisation rénové autant dans l’accès aux professionnels de santé que dans le financement pour permettre un accès au plus grand nombre et financièrement soutenable. Ce qui pouvait être une valeur ajoutée jusqu’à présent va devenir un incontournable.
Assistera-t-on, en général, à un bond en avant de la téléconsultation proposée par les acteurs du secteur de l’assurance complémentaire santé ? Et en ce qui vous concerne, une position particulière ?
Tout l’enjeu est dans l’usage : si les filières arrivent à trouver un modèle économique pertinent, il y aura un bond en avant. Il est certain que toutes les complémentaires santé proposeront la téléconsultation dans leur offre, le challenge sera de développer son usage par les assurés et adhérents et d’en faire un levier de développement économique. Au-delà des freins que nous avions identifiés dans notre enquête (risque de perte de contact humain, diagnostic médical incomplet, risque technologique, partage des données personnelles), les complémentaires santé doivent y trouver une réalité économique pérenne.
Chez Carte Blanche Partenaires, nous sommes convaincus de l’utilité de la téléconsultation, plutôt au sens large de la télé-médecine. Nous souhaitons aller bien au-delà et menons une réflexion sur l’ensemble du parcours de santé. La téléconsultation est un maillon de ce que nous désignons « e-santé » : le numérique, et par extension son usage et ses apports, doit ruisseler sur l’ensemble du parcours de santé des Français. Du dépistage au soin en passant par la prévention ou la fourniture de dispositifs médicaux, nous pensons désormais chaque étape du parcours de santé en version digitale. Nous avons une offre de télé-dépistage bucco-dentaire en entreprise : sur le lieu de travail, un infirmier formé mène un interrogatoire médical avec son patient et explore sa cavité buccale à l’aide d’une caméra miniature. Il transmet les fichiers vidéo à une chirurgien-dentiste du CHU de Montpellier via un coffre-fort sécurisé. Le chirurgien-dentiste pose un diagnostic, qui est transmis directement au patient. Via cette opération de télé-dépistage, nous favorisons l’accès à un professionnel de santé dans des zones moins bien couvertes, nous utilisons les dernières innovations technologiques en nous affranchissant des freins (les fichiers vidéo peuvent être transmis hors connexion !) et nous proposons un diagnostic fiable et personnalisé à distance.
Est-ce que ce service, tel qu’il est proposé actuellement par les complémentaires santé va évoluer ? Si oui comment ?
Les services de téléconsultation ont été orientés par une prise en charge par les complémentaires santé. La crise sanitaire tend à axer la prise en charge vers le régime obligatoire. Ce n’est pas le service ou l’offre de services qui va évoluer, mais son modèle de prise en charge.
Les services de téléconsultation proposés par les complémentaires santé reposent sur la consultation d’un médecin inconnu des assurés. Or, notre enquête montre que les Français sont favorables à la téléconsultation… avec leur médecin généraliste ou spécialiste habituel, notamment pour renouveler une ordonnance ou obtenir un conseil médical rapide.
Le service de téléconsultation pourrait-il être utilisé hors champ du parcours de soins coordonné ? (Pour certains besoins spécifiques ou certaines situations). Si oui, les complémentaires santé pourraient-elle proposer ce service ?
Est-ce que les complémentaires vont rester sur un modèle de prise en charge intégrale de ces services ou vont-elles basculer vers le parcours de soins ? Les complémentaires vont toutes proposer un service de téléconsultation, dans le cadre du parcours de soins coordonné et donc avec prise en charge par le régime obligatoire. Le vrai levier de différenciation se fera sur une offre hors parcours de soins. Aujourd’hui, la téléconsultation ne couvre pas toutes les professions de santé et ne couvre donc pas tous les besoins : par exemple, seule la téléconsultation par vidéo est prise en charge par le régime obligatoire
Est-ce que ce service va désormais s’installer durablement dans la chaine de valeur servicielle de l’assurance complémentaire santé et être utilisé par les assurés des acteurs du secteur de l’assurance ? Si oui, avec quel modèle économique ? L’inclusion à la garantie complémentaire santé, un autre modèle économique ?
De notre point de vue, c’est la chaîne de valeur servicielle qui va se digitaliser et intégrer le numérique dans tous les maillons de la chaîne. Je le précise à nouveau : la téléconsultation est une des composantes de la e-santé. A chaque étape de la chaîne de valeur doivent correspondre des pratiques, des réponses à des besoins, des usages ; la téléconsultation ne peut pas à elle seule être la réponse à plus de prévention, un meilleur dépistage, une plus forte présence des professionnels de santé dans les déserts médicaux… C’est la mise à disposition d’outils et l’utilisation du numérique au sens large qui permettra une digitalisation de la chaîne de valeur servicielle, au service des assurés.
Comme dans beaucoup de nouvelles activités avec de très nombreuses offres et sociétés de services, ne va-t-on pas voir une concentration très forte sur ce type de service, et voir 2 ou 3 plateformes leaders « truster » la quasi-totalité de l’offre de services de téléconsultation ?
Sans aucun doute, il y a un tel foisonnement d’acteurs qu’il va y avoir, naturellement, un effet de concentration. On voit déjà que le boom des téléconsultations s’est concentré sur quelques acteurs et toutes les plateformes n’en ont pas profité de manière égale.
L’enjeu, pour ces plateformes, sera d’avoir l’offre la plus complète possible qui adressera de A à Z le parcours de soins de l’assuré. Celles qui proposeront une offre intégrée avec prise de rendez-vous, téléconsultation etc, qui ont travaillé leur offre à la fois côté professionnel de santé, côté complémentaires santé et côté assuré sortiront leur épingle du jeu.
Toutes n’ont pas la même stratégie : certaines sont sur la recherche de parts de marché via une logique individuelle, d’autres sont plus tournées vers le collectif. Reste à savoir lequel de ces modèles va, demain, prendre le dessus.
Avez-vous d’autres commentaires ?
Les garanties des complémentaires santé tendent à s’uniformiser et elles doivent développer des services à haute valeur ajoutée pour se distinguer. Nous avons conscience que les complémentaires n’ont pas les moyens humains, techniques et financiers de développer ces offres en autonomie. Un accompagnement expert par un tiers est nécessaire. Carte Blanche Partenaires à toute la capacité à jouer ce rôle de concentrateur des différentes solutions. Nous innovons constamment pour nos clients, avec un credo : imaginer des solutions innovantes, utiles et utilisées, de manière à adresser la bonne personne, au bon endroit, au bon moment. Nous pensons avant tout parcours de santé et e-santé : comment impulser plus de digital dans l’offre de service, à tous les niveaux du parcours. Le numérique ne remplacera jamais l’humain, mais il a cette capacité à faciliter les échanges, fluidifier les relations, combler des manques et répondre à des besoins. C’est pourquoi nous pensons avant tout « e -santé » dont la téléconsultation fait partie, sans se restreindre à un volet du parcours.
*OpinionWay, réalisé les 27 et 28 avril
[1] Source : Assurance Maladie
[2] https://www.carteblanchepartenaires.fr/actualites/enquete-les-francais-et-la-telemedecine
Nous remercions Caroline Demoucelle et vous rappelons que nous avons décidé de traiter ce sujet, dans les mois à venir, en particulier :
- Une enquête spéciale sur le sujet de la téléconsultation et les enjeux de ce service pour le secteur de l’assurance
- Une émission spéciale « La téléconsultation, dans la chaine de valeur de la complémentaire santé ? » sur Assurance TV (voir exemples)
- Un dossier spécial dans le prochain magazine print « Dessine-Moi l’Assurance » adressé aux décideurs du secteur de l’assurance (voir le dernier numéro en format digital)
Par Jean-Luc Gambey – Vovoxx
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