Le projet de loi relatif à la dette sociale transmis en milieu de semaine aux partenaires sociaux ouvre la porte à une cinquième branche, Jean-Manuel Kupiec, conseiller du directeur général de l’OCIRP, membre du comité de pilotage de la contribution citoyenne pour les États généraux de la Séniorisation de la société, approuve la fin de la dissociation entre la perte d’autonomie et le handicap mentionnée dans le texte, mais s’interroge sur le niveau du financement. L’absence des organismes assureurs dans la boucle est aussi un sujet d’inquiétude.
L’Assurance en Mouvement : Le récent projet de loi relatif à la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale constitue-t-il, cette fois, une avancée ?
Jean-Manuel Kupiec : A mon sens, le plus important dans ce projet de loi, c’est son article 4 qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur les conditions de création de ce nouveau risque ou de cette nouvelle branche de sécurité sociale qui concernerait à la fois la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Ce point est positif car il reconnaît la possibilité d’un financement pour les personnes vulnérables au sens large et ferait disparaître la discrimination par rapport à l’âge qui existe encore au mépris des législations françaises et européennes. Aujourd’hui, selon que la personne a moins ou plus de 60 ans, elle ne perçoit pas les mêmes aides, ce qui n’a plus guère de sens. Cependant, une telle convergence obligera à faire évoluer l’ensemble des aides financières, l’APA (1) d’un côté pour les personnes en perte d’autonomie, ce que le rapport Libault avait déjà préconisé, et l’AAH (2), l’AEEH (3) et la PCH (4) pour les personnes handicapées de l’autre. Il s’agit d’une petite révolution qui nécessitera d’être vigilant afin qu’il n’y ait pas de perdants.
Que pensez-vous de la partie financement ?
J-M K : En l’état actuel du projet, c’est à mon avis le parent pauvre du projet. Le texte mentionne un transfert de 0,15 % de CSG (5) de la CADES (6) vers la CNSA (7) à partir de 2024, ce qui soulève deux principales interrogations. La première est liée au délai avec la question : que se passe-t-il jusqu’en 2024 en termes de financement ? La deuxième a trait au montant, sachant que la perte d’autonomie réclame un besoin de 10 milliards par an alors que le projet de loi évoque un transfert de CSG pour un montant limité à 2,3 milliards. Il reste donc près de 8 milliards à financer.
Les assureurs privés auraient pu être mis dans la boucle, mais le projet les ignore. Une fois de plus, on repart sur une cinquième branche qui serait entre les mains de la Sécurité sociale, alors que le financement se ferait par la CSG, c’est-à-dire une assiette plus large que les cotisations sociales. Dans son exposé des motifs, le texte prévoit l’intervention d’autres financeurs comme les conseils départementaux, et les communes, dont la libre administration aurait vocation à être garantie, est-il précisé. Les assureurs sont absents, alors qu’ils peuvent, non se substituer à la Sécurité sociale, mais participer à un vrai deuxième étage en complément du régime de base.
Enfin, le projet ne dit rien sur les aidants, sujet qui lui aussi pose un problème en termes de financement. Plus on lit le texte présenté, et plus on s’ouvre de portes, ce qui laisse de la marge pour une grande négociation. Pour l’heure, ce texte manque à mon avis d’ambition. Son point de départ, ne l’oublions pas, est la prolongation de l’amortissement de la dette sociale après 2025 jusqu’à fin 2033. A ce titre les 0,15 % de transfert vers la CNSA donnent l’impression de n’être qu’une simple contrepartie en vue de faire accepter le transfert de 136 milliards d’euros à la CADES et lui permettre de s’endetter à nouveau sur sa durée de vie résiduelle.
De votre côté, vous avez fait à plusieurs reprises plusieurs propositions, dont la dernière il y a quelques semaines dans une contribution citoyenne ?
J-M K : En effet, ce rapport dénommé « Pour les états généraux de la Séniorisation de la société » se veut en faveur d’une politique efficiente et bienveillante du Grand Âge. Dans cette contribution, je rappelle à mon niveau que la perte d’autonomie est un risque assurable grâce à la mutualisation et que les Français qui sont favorables à un système complémentaire à la Sécurité sociale estiment qu’une cotisation d’un euro par jour à partir de 40 ans est acceptable. Dans ce contexte, je propose une assurance obligatoire à partir de 40-45 ans, accompagnée d’une solidarité nationale renforcée pour les personnes les plus sévèrement touchées par la perte d’autonomie, c’est-à-dire les GIR 1 et les GIR 2, le tout dans le cadre d’un partenariat public-privé, en sachant que l’architecture d’ensemble ne doit pas oublier les aidants. Je plaide aussi pour l’élaboration d’une grille commune de critères d’évaluation de la perte d’autonomie, afin de mieux articuler les aides publiques et les indemnisations par les assureurs. Ce rapport a été remis au Président de la République début mai.
Article 4 du projet de loi
Au plus tard le 30 septembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de création d’un nouveau risque ou une nouvelle branche de Sécurité sociale relatifs à la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Il précise les conséquences devant en être tirées dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 dans le respect de l’objet et du champ de cette loi, notamment au regard des liens actuels d’interdépendance des dépenses visant à faire face à la perte d’autonomie avec celles de l’assurance maladie.
Jean-Charles Naimi, journaliste indépendant
(1) Allocation personnalisée d’autonomie, (2) Allocation aux adultes handicapés, (3) Allocation d’éducation de l’enfant handicapé (4) Prestation de compensation du handicap, (5) Contribution sociale généralisée, (6) Caisse d’amortissement de la dette sociale (7) Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.