Les appels à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans les entreprises sont faits plus au nom de l’éthique et de la justice sociale que comme facteur de performance et de croissance. L’un des facteurs à l’origine de la difficulté à avancer sur ce sujet de la parité ne réside-t-il pas dans cette approche du sujet ?
Absolument, absolument, absolument ! Ce n’est pas par « gentillesse » ou par « générosité » qu’il faut plus de femmes dans les structures dirigeantes des entreprises. C’est pour rendre les entreprises plus performantes. Depuis une décennie le cabinet McKinsey publie des études analysant le lien empirique entre performance économique et pourcentage de femmes dans les COMEX. Au-delà de 3 femmes au COMEX, la performance est supérieure. Le cadre du leadership financier évolue. D’un monde où la performance boursière était assimilée à la maitrise du dirigeant, dans un style masculin et très testostérone du rapport de force. Le monde du XXIème siècle aspire à plus de décisions conjointes, d’engagement personnel, d’écoute et de vision. Le monde aspire à un leadership plus Yin et moins Yang. La capacité à l’inspiration, la reconnaissance, la prise de décision participative, l’envie de transformation ce sont autant de traits du management au féminin, que même les leaders masculins aujourd’hui mobilisent, se féminisant parfois un peu !
Un grand nombre de dirigeants sont convaincus que, si la cause féminine est évidemment une question de morale, de manière très pragmatique, il s’agit également d’une cause d’intérêt général pour les entreprises et les institutions, un levier de performance, de croissance et de productivité. En ce qui concerne les entreprises du secteur de l’assurance, est-il désormais nécessaire que les politiques de diversité de genre ne soient plus gérées comme des politiques de RH ou de RSE mais comme des politiques économiques de performance ?
Le secteur de l’assurance en France, à ma profonde tristesse, n’est pas à l’avant-garde de cette prise de conscience. Dans les COMEX des grandes entreprises de Healthcare du NASDAQ il y a de très nombreuses femmes aux postes opérationnels clé : opérations, SI, Médical… Nous avançons de ce côté de l’Atlantique à petits pas. Et parfois, nous reculons même quand on constate les cas de départs de dirigeantes, suite à des désaccords stratégiques. Au-delà des compositions de nos CODIR et COMEX, de nos CA, nous devons nous interroger sur les modes de fonctionnement et de décision de nos instances de gouvernance. Si des femmes sont présentes mais que le contexte de décision n’est pas pertinent, l’action est paralysée.
La mise en place d’un index public de mesure, à compter de mars 2019 selon la taille des sociétés (2019 pour celles de plus de 250 salariés, 2020 pour les autres) impose, pour la première fois, une obligation de résultats (75 points minimum), et non plus seulement de moyens, à près de 40 000 sociétés à terme. Ainsi, au 1er mars 2022, les entreprises de plus de 250 salariés qui n’auront pas consacré une enveloppe de rattrapage à l’atteinte de cet objectif d’égalité seront sanctionnées par une pénalité pouvant aller jusqu’à 1 % de leur masse salariale. Que pensez-vous de cet index public ?
Je crois en l’objectivation, je crois aux référentiels chiffrés que nous suivons sur des trajectoires, je crois aux KPI pour diagnostiquer. Encore faut-il analyser sans biais, agir et ne pas « y penser » que les 15 jours précédents la publication de l’index et les 15 jours suivants !
Dans le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes remis le 17 décembre dernier, parmi les 153 pays passés au crible, la France se place, seulement au 59ème rang en ce qui concerne la féminisation des « positions seniors et dirigeants » dans le monde du travail. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, recommande notamment d’instaurer des quotas de genre dans les instances de direction (Comex/codir). Quelle est votre réaction ?
J’ai longtemps été opposée au principe des quotas. Je pensais que « on y arriverait bien toutes seules », que « on y arriverait bien sans ça ». Mais sur la trajectoire de ma vie professionnelle, je m’aperçois que j’avais tort, malheureusement. Et qu’on ne progresse pas du tout assez vite. Et que même si le principe du quota est forcé, exaspère les hommes, il n’y a pas d’autre choix pour créer la base de la parité.
Pour certaines entreprises, la parité fait partie des objectifs annuels de l’entreprise et compte pour la partie des rémunérations variables à la fin de l’année. Qu’en pensez-vous ?
Traduire les KPI de parité dans les objectifs de chacun et chacune est fondamental pour assurer l’engagement sur la durée. Sinon, le risque de s’en tenir à des actions coups de poing ou symboliques est trop fort.
La parité F/H dans vos Codir/Comex, qu’est-ce que cela change concrètement ?
Cela change tout ! Le fond et la forme ! Cela change la façon de regarder les risques et les enjeux avec des prismes différents, cela permet de confronter des visions et des approches de transformation managériales, cela évite de se cantonner sur les mêmes postures de leadership. D’une entreprise à une autre, les réseaux de femmes apportent un soutien clé pour celles au cœur des COMEX. L’entraide et le mentorat sont des supports essentiels dans la durée. Je le vis en tant que membre de Parité Assurance, association très active des femmes dirigeantes de l’assurance.
Transformer le management de l’entreprise et développer des politiques en faveur de la parité, tout en ne privilégiant que compétence et professionnalisme. Est-ce une urgence absolue ? Comment le faire ?
Pas de recette magique, pas de Mary Poppins du sujet. Il faut allier objectifs d’équipes et objectifs individuels, communication interne, marque employeur, voyages d’inspiration à l’étranger, refonte des process de recrutement et évaluation régulière de leur efficacité, évolution de la gouvernance d’entreprise,… C’est une stratégie multi-dimensionnelle et systémique qu’il faut déployer sur la durée.
Certains décrivent le « syndrome de l’imposteur » : les femmes attendraient d’avoir 120% des compétences nécessaires pour postuler à un poste là où les hommes se lancent avec 60% des qualités requises … Votre réaction ?
Relisons « Osez être la chef » de Valérie Rocoplan, Relisons « Nice girls don’t get a corner office » de Lois P Frankel. Les femmes leaders sont perpétuellement prises dans un réseau de culpabilité : « je ne fais pas de ce qu’il faut pour mes enfants, pour mon mari, pour mon boss, pour mon équipe, pour mes amies, pour ma communauté… ». La clé du dépassement du « syndrome de l’imposteur » est de se déculpabiliser ! En se disant qu’on fait au mieux partout, nous sommes globalement plus fortes sur tout.
Dans les années 50, les femmes représentaient 30 à 50% des effectifs dans le secteur de l’informatique. Les derniers chiffres de l’étude Gender Scan, publiée en octobre dernier évoquent que les effectifs féminins ont baissé de 11 % en 5 ans dans le secteur des hautes technologiques en France alors que l’Union Européenne a connu une progression moyenne de 14% dans le même temps. Aujourd’hui encore, les femmes figurent comme une minorité dans le secteur de la tech. Pourquoi et comment faire pour changer la donne ?
C’est une réalité de 2020 qui me désespère. Et cela commence dès l’école. Les adolescentes s’auto excluent des filières scientifiques et digitales. Si elles n’appréhendent pas les principes de la tech, elles seront excluent de bien des métiers qui ne semblent pourtant pas si tech : comment faire du marketing, du business développement, de la relation clients sans digital ? Femmes@Numérique impulse la dynamique qu’il nous faut !
Pour « inciter » les femmes à prendre des postes clés, est-il impératif que les leaders y croient fermement et que l’implication des hommes soit acquise ?
La parité de leadership n’est pas une question pour les femmes leaders, c’est une question pour les hommes et les femmes leaders ! Au cœur des dynamiques de parité qui fonctionnent, il y a des hommes tout autant que des femmes qui ont compris la valeur sociétale et surtout économique de la diversité pour leur projet d’entreprise. Si la parité de leadership est un conflit, rien n’en sortira.
« La première clé, c’est apprendre à raconter sa propre histoire » disait Michelle Obama ! Comment je valorise ce que je sais faire, comment je m’attribue mes propres réalisations, comment je deviens experte dans un domaine… . Ne faut-il pas « pousser » les femmes à écrire sur les réseaux sociaux, à prendre la parole lors de conférences, à s’exprimer plus fréquemment en public, … ? Être beaucoup plus visible ?
Les femmes leaders doivent écrire leur propre histoire personnelle, leur storytelling individuel, avec ses forces, ses originalités, elles doivent montrer comment elles ont « Become », comme l’illustre l’ouvrage de Michelle Obama. Elles doivent utiliser tous les canaux de communication à disposition : médias, réseaux sociaux, engagements associatifs… Raconter une histoire collective des femmes d’un secteur est important aussi, pour permettre à chacune de s’y inscrire: femmes actuaires, femmes médecins, femmes marketeuses… elles font l’assurance santé d’aujourd’hui.
Comment agir concrètement pour la parité ? Quels chemins il y a-t-il encore à parcourir ? Quelles propositions ?
Actions collectives et actions individuelles des femmes : Les femmes doivent agir pour elles-mêmes, elles doivent parler et faire parler d’elles, elles doivent mentorer les plus jeunes pour transmettre et apprendre en même temps, elles doivent mettre en lumière leurs réalisations et leurs capacités à allier sourire et pugnacité dans l’action, elles doivent rester fidèles à ce qu’elles sont. Mais leur action ne suffira pas à transformer la gouvernance des entreprises si elle n’est pas portée par un mouvement sociétal plus large. Je crois que le temps venu de la réflexion sur la « Raison d’être des entreprises » est une opportunité unique pour reconnaitre et valoriser le leadership au féminin, très ancré dans l’inspiration et la construction collective, dans l’énergie et la mobilisation de tous.
Avez-vous d’autres commentaires/convictions ?
La parité est au cœur des sources de performances de nos entreprises françaises. Mais au-delà, nous devons nous interroger aussi sur la diversité dans un sens plus large : origine culturelle, origine géographique, parcours de vie professionnel et personnel.
ITW d’Isabelle Hébert
ITW réalisé avant période de confinement et intégré dans le mag #1 « Dessine-moi l’assurance » effectué par Jean-Luc Gambey – Vovoxx