Nées au début des années 2000, les marketplaces sont aujourd’hui incontournables dans le e-commerce. D’abord généralistes, les marketplaces se sont également spécialisées (secteur d’activité, affinité, usages,…). Ces plateformes sont nombreuses et proposent des catalogues de produits/services sans cesse élargis. Même si la vente en ligne demeure encore balbutiante dans l’assurance, les marketplaces, qui accueillent des millions de visiteurs, pourraient-elles faire basculer significativement, sur le digital, la vente de produits d’assurance ?
L’émergence de plateformes digitales de communication, de service ou de vente ont profondément fait évoluer les usages dans quantité de métiers. L’assurance n’y échappe pas. Le temps passé sur nos smartphones ou laptops ne fait que croître et notre capacité à interagir avec un écran grandir. Mais on voit bien que cette plus grande familiarité ne suffit pas à basculer dans le « full online ». L’assurance se nourrit aussi d’une confiance, qui doit d’ailleurs être mutuelle, pour bien fonctionner. Je ne suis pas certain que les innovations digitales de ces dernières années aient toujours alimenté cette confiance !
Les marketplaces sont constamment dans un souci de profitabilité et doivent élargir leurs sources de revenus, allant au-delà de la simple perception de commissions sur l’intermédiation du service initial. L’assurance constitue un excellent moyen d’augmenter la profitabilité. Est-ce que l’on va assister à une explosion de l’intégration des produits/services d’assurance dans les marketplaces « généralistes » ?
Avant de représenter une source de revenu, les marketplaces sont des consommateurs d’assurance. Et ce ne sont pas des clients faciles d’ailleurs, car leurs émergences constituent de nouveaux défis aux compagnies qui doivent appréhender de nouveaux risques. D’une part ces plateformes induisent de nouveaux comportements porteurs de risques qu’il faut identifier, qualifier, y compris légalement, et quantifier, souvent sans historique. D’autre part, les volumes sont souvent faibles pendant la phase de lancement et les actuaires proposent souvent des prix élevés, des limites de couvertures ou des exclusions qui peuvent être incompatibles économiquement avec la nature du service de la plateforme et tuer dans l’œuf de nouvelles initiatives. Et en effet, l’accès à un moindre coût, à une base de prospects assurables, souvent très bien connus, digitalement du moins, et avec qui une relation de confiance a été établie, change les modèles économiques de l’assurance. Cela représente effectivement une opportunité formidable !
Est-ce que l’assurance est aussi pour ces marketplaces, un outil stratégique de rétention clients ?
Absolument, l’inclusion de garanties d’assurance ou de services d’assistance est un élément clé de l’offre des plateformes qui facilitent l’adhésion et rétention à une approche souvent nouvelle. Cela rassure, conforte et constitue souvent l’élément déclencheur du passage à l’acte ou de la satisfaction client. Le côté innovant des marketplaces, et donc parfois angoissant, est également compensé par la présence d’une marque connue d’un assureur qui est un gage de qualité supplémentaire et garantit en quelque sorte la « bonne fin » du service. C’est ainsi que BlaBlaCar promêt une arrivée à destination finale pour tous les passagers d’un véhicule en cas de panne, grâce à une assistance complémentaire en multi destinations.
Le secteur « traditionnel » de l’assurance s’engage dans de nouveaux partenariats avec ces « places de marché » qui réunissent des millions de consommateurs. Y-a-t-il un risque pour les assureurs de travailler avec ces plateformes ? Les assureurs ont-ils le choix ?
La part relativement faible de ces acteurs limite les risques financiers qu’ils représentent. Les risques d’image ou de réputation sont quasi nul, bien au contraire. En s’associant à des marketplaces, les assureurs historiques peuvent bénéficier d’un regain d’image lié au côté innovant des pure players. Quant aux risques techniques, à la condition pour l’assureur de bénéficier d’une excellente interactivité avec la marketplace et d’une connaissance plus profonde du client, il pourra mieux piloter son résultat. Donc les risques se contrôlent sans doute mieux qu’avec une distribution intermédiée.
Pour une marque d’assurance, est-il primordial d’être positionné dans des marketplaces généralistes ? Est-ce que cela peut perturber la stratégie de distribution avec des réseaux historiques et captifs ?
Il n’y a rien d’obligatoire évidemment à se lancer dans une telle stratégie. En revanche il y a de nombreux bénéfices à le faire, souvent à un coût relativement faible. Les motivations ne seront pas les mêmes pour les acteurs mondiaux ou de niches. Mais dans tous les cas, les produits, inclusifs, optionnels ou les blockbusters que sont l’assurance auto, santé ou habitation seront certainement développés en adéquation avec les spécificités des plateformes, réduisant les risques de conflits avec les réseaux traditionnels. Par exemple, une assurance santé se basant sur les données collectées via des outils connectés à une plateforme de fitness sera difficilement accessible dans un réseau courtier. On voit d’ailleurs tout de suite le rôle primordial du régulateur dans un tel environnement.
Aujourd’hui, les marketplaces deviennent/peuvent devenir des brokers d’assurance pouvant se connecter directement aux API des assureurs. Ce mouvement va-t-il s’amplifier ?
Les marketplaces se caractérisent souvent par des marges unitaires faibles, ce qui implique une demande exigeante vis-à-vis des assureurs en faveur de coût de gestion les plus faibles possible. Cela se traduit par un besoin d’opter pour une digitalisation maximale, de la souscription à la gestion des sinistres. La capacité des assureurs à faire dialoguer leurs systèmes avec ce nouveau monde, au-delà des réseaux de distribution classiques, devient donc un facteur de compétitivité dans cet environnement.
Les marketplaces doivent concevoir/proposer des offres et services d’assurance totalement encapsulés dans le parcours client. Partagez-vous ce point de vue ?
Absolument. Cela se vérifie particulièrement au moment de l’offre d’assurance du fait de deux caractéristiques particulières des marketplaces :
Premièrement, et contrairement aux réseaux traditionnels dans lesquels j’inclue la distribution directe ou Internet, une marketplace connaît ses clients bien avant d’évoquer tout produit d’assurance. Cela permet de faire une offre de garantie à un prix correspondant exactement et individuellement à leurs profils.
Ensuite, cette offre peut se faire à différents moments du parcours client de façon contextualisée : par exemple lorsque le membre BlaBlaCar renseigne son véhicule ou lorsqu’il reçoit une bonne note de conduite de la part de ses passagers.
Quelles sont aujourd’hui les politiques d’intégration d’offres d’assurance dans ces marketplaces ? celles-ci vont-elles évoluer ? Quels seront les types d’offres et de services d’assurance qui se déploieront massivement sur les marketplaces ? Pourquoi ?
Les offres inclusives qui permettent de renforcer la valeur du service et de le fiabiliser vont croître et évoluer en même temps que l’évolution de la perception des clients. Ensuite les usages évoluent et il faudra une grande flexibilité de la part des assureurs pour accompagner ces changements. Par exemple, chez BlaBlaCar, nous avons évolué pour étendre notre offre au bus et pourquoi pas demain à d’autres formes de mobilité. La nature des marketplaces est de « pivoter », d’innover en permanence et l’assurance doit accompagner cela.
Les Marketplaces ont elles aujourd’hui la même puissance que la grande distribution sur ses fournisseurs ? Est-ce que les assureurs intégrés à celles-ci risquent d’être « dépendants » des marketplaces ?
Non je ne le crois pas, et ce n’est pas mon expérience ! Et cela du fait des volumes encore faibles et de la nature très innovante des produits développés souvent en mode partenarial. Il y a encore peu de concurrence, surtout à une échelle internationale. Les assureurs restent donc en position de force par leur maîtrise de la souscription, de la gestion des contrats, des sinistres et des résultats techniques.
Les marketplaces remontent souvent dans la chaîne de valeur, jusqu’à créer leurs produits d’assurance ?
En effet mais pas pour capturer de la valeur plus haut dans la chaîne, mais plutôt pour proposer une meilleure qualité de service. Les marketplaces sont en effet parfois mieux positionnées pour réaliser un certain nombre de tâches. J’ai cité plus tôt la souscription mais cela peut être le cas de la déclaration de sinistre, voire la gestion des sinistres liés aux usages de la marketplace. Par exemple, le traitement des vols ou pertes de bagages dans les transports de bus est géré directement par BlaBlaBus. De la même manière, l’assurance paramétrique se développera plus rapidement si la marketplace est à la manœuvre. La conception de produits, rédaction des conditions générales, définition de garanties propres, répondant aux usages ou profil des clients, seront de plus en plus réalisés en partenariat avec les assureurs, en co-conception. Enfin, la nature innovante de tels partenariats appelle naturellement à un mode de partage des résultats finaux afin de s’assurer d’une meilleure convergence d’intérêt entre l’assureur et la plateforme.
Gwénaël Moy – GM Insurance – BlaBlaCar
ITW réalisé avant période de confinement et intégré dans le mag #1 « Dessine-moi l’assurance » effectué par Jean-Luc Gambey – Vovoxx