Un grand nombre de dirigeants sont convaincus que, si la cause féminine est évidemment une question de morale, de manière très pragmatique, il s’agit également d’une cause d’intérêt général pour les entreprises et les institutions, un levier de performance, de croissance et de productivité. En ce qui concerne les entreprises du secteur de l’assurance, est-il désormais nécessaire que les politiques de diversité de genre ne soient plus gérées comme des politiques de RH ou de RSE mais comme des politiques économiques de performance ?
Il est tout à fait légitime que les politiques RH soutiennent les enjeux de diversité. Une politique RH peut par elle-même porter des enjeux économiques et de performance, il n’y a pas d’antinomie. La diversité constitue un puissant levier d’innovation. Rassembler des esprits différents favorise la créativité et donc alimente la performance. C’est un cercle vertueux, comme pour la diversité de genre.
La mise en place d’un index public de mesure, à compter de mars 2019 selon la taille des sociétés (2019 pour celles de plus de 250 salariés, 2020 pour les autres) impose, pour la première fois, une obligation de résultats (75 points minimum), et non plus seulement de moyens, à près de 40 000 sociétés à terme. Ainsi, au 1er mars 2022, les entreprises de plus de 250 salariés qui n’auront pas consacré une enveloppe de rattrapage à l’atteinte de cet objectif d’égalité seront sanctionnées par une pénalité pouvant aller jusqu’à 1 % de leur masse salariale. Que pensez-vous de cet index public ?
L’index a permis de communiquer les résultats des pratiques des entreprises sur le sujet de la parité auprès du grand public. Le principal atout de cet index, de par ces modalités de calcul communes à toutes les entreprises, est de pouvoir produire des résultats objectifs et comparables. Nous avons obtenu la note de 99/100 en 2019, cette note reflète notre engagement de longue date sur ce sujet. La politique de parité est assez ancienne chez nous : depuis 2012, 3 accords égalité professionnelle ont été signés qui ont permis de reboucler sur les critères de l’index. La mise en place de l’index nous permet de mieux mettre en avant notre politique sociale. Et aujourd’hui il nous encourage à poursuivre le chemin que nous avons entamé.
Dans le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes remis le 17 décembre dernier, parmi les 153 pays passés au crible, la France se place, seulement au 59ème rang en ce qui concerne la féminisation des « positions seniors et dirigeants » dans le monde du travail. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, recommande notamment d’instaurer des quotas de genre dans les instances de direction (Comex/codir). Quelle est votre réaction ?
La méthode des quotas, j’y crois, au moins pour un temps, et même si elle n’est pas une fin en soi, cette méthode a le mérite d’afficher de façon volontariste l’intention de l’entreprise. Par la suite, cela permet que les choses se fassent de façon naturelle. Si on peut étendre les quotas de genre aux instances dirigeantes autres que les Conseils d’Administration, cela marquerait une véritable avancée en matière de parité.
Selon l’institut Ethics & Boards, la part des femmes dans les comex des entreprises du CAC 40 atteignait 18,2 % en juillet 2019, contre 7,3 % en 2009 : au rythme de progression actuel, il faudrait trente-trois ans pour atteindre la parité dans les instances de direction du CAC 40. Sans les quotas, rien de bougera ?
Vous me posez la question de savoir si les quotas sont nécessaires ? Actuellement je pense que oui, ces contraintes sont malheureusement nécessaires. Selon moi, il est important d’associer l’instauration des quotas à une véritable volonté politique du dirigeant. Toutefois, les quotas ne sont certainement pas la seule solution pour faire évoluer les mentalités.
La parité F/H dans vos Codir/Comex, qu’est-ce que cela change(ra) concrètement ?
A la MAIF, Pascal Demurger, Directeur Général du groupe a décidé de faire entrer des femmes au CoDG par conviction. Et croyez-moi cela change les choses. Selon moi, la mixité est porteuse de sens, de richesses, de complémentarité et elle contribue à plus d’efficacité et de création de valeurs. En tout état de cause, les études montrent que les équipes mixtes produisent de meilleurs résultats.
Certains décrivent le « syndrome de l’imposteur » : les femmes attendraient d’avoir 120% des compétences nécessaires pour postuler à un poste là où les hommes se lancent avec 60% des qualités requises … Votre réaction ?
Plutôt que de parler de syndrome de l’imposteur, je parlerais plutôt du syndrome de la bonne élève qui s’autorise à postuler à condition de penser détenir toutes les compétences nécessaires à la tenue du poste. Les femmes doivent travailler sur elles-mêmes pour « accepter » leurs peurs sans se laisser paralyser, être au clair sur leurs talents et leurs imperfections. La confiance en moi, je l’ai acquise au fil des années, grâce à ce que j’ai pu accomplir, personnellement et professionnellement. Je crois également beaucoup à la valeur de l’exemple ou de l’identification : faire témoigner les femmes partager leur expérience, enlever les freins mentaux … Je me sens quant à moi, en qualité de DRH mais aussi en tant que femme, porteuse d’une responsabilité propre et d’un vrai désir de transmission.
En termes de parité, d’égalité salariale, il semble y avoir un travail assez conséquent à accomplir. Quels sont les prochains passages à l’acte concrets ? Quels efforts restent-ils à faire ?
Si je prends l’exemple de la MAIF, je pense que nous devons poursuivre ce que nous avons déjà engagé : vérifier systématiquement qu’à l’embauche, à compétences égales, le salaire soit similaire, s’assurer d’une égalité de traitement entre les femmes et les hommes tout au long de la carrière ; poursuivre encore nos efforts pour l’accès des femmes aux postes d’encadrement.
La mobilisation des femmes existe, seulement l’expression de leurs ambitions semble être encore un défi. Lancez-vous en interne des initiatives ?
En interne, nous avons un réseau féminin AlterNatives, créé en 2016. Il donne aux femmes cadres de la MAIF l’occasion de tisser des liens et de bénéficier des conseils et retours d’expérience de consœurs occupant des postes à responsabilités au sein de l’entreprise. Ce réseau, fondé sur la solidarité et le partage, donne ainsi des clés pour avancer efficacement vers la réussite des carrières au féminin. Depuis 2018, AlterNatives organise en partenariat avec l’équipe Diversité de la DRH un forum sur la mixité afin de promouvoir l’égalité femmes-hommes dans l’entreprise au travers de conférences et d’ateliers (sur les stéréotypes, la conciliation vie privée-vie professionnelle…).
Pour « inciter » les femmes à prendre des postes clés, est-il impératif que les leaders y croient fermement et que l’implication des hommes soit acquise ?
Je crois profondément que les évolutions liées à la représentativité des femmes dans l’entreprise doivent être aussi portées par la vision des leaders et qu’il faut assumer une forme de « volontarisme » pour changer le cours des choses. Pour répondre précisément à votre question, je crois surtout qu’il est très important de mettre les femmes et les hommes face à leurs stéréotypes et de mener toutes les actions possibles pour les aider à les dépasser. Par exemple, un des moyens de générer l’implication des hommes, est de mettre en symétrie leurs propres stéréotypes en face des souhaits qu’ils ont en tant que père pour leurs enfants, en leurs posant la question suivante « Qu’est ce vous voudriez pour votre fille ? ». Cela peut-être souvent un élément déclencheur.
« La première clé, c’est apprendre à raconter sa propre histoire » disait Michelle Obama ! Comment je valorise ce que je sais faire, comment je m’attribue mes propres réalisations, comment je deviens experte dans un domaine…. Ne faut-il pas « pousser » les femmes à écrire sur les réseaux sociaux, à prendre la parole lors de conférences, à s’exprimer plus fréquemment en public, … ? Être beaucoup plus visible ?
Oui je pense qu’il est indispensable d’utiliser tous les moyens de communication pour mettre en avant le leadership au féminin, les rôles modèles, les pionnières, valoriser celles qui occupent des postes à haute responsabilité, les entrepreneuses, des femmes présentes dans les secteurs d’activité très masculins… Il faut même parfois se faire un peu violence car autrement nous continuerons à assister à des conférences /témoignages portés majoritairement par des hommes.
Comment agir concrètement pour la parité F/H ?
Nous pouvons agir concrètement pour la parité en ayant une politique volontariste, via des systèmes et des dispositifs concrets (indicateurs précis et pilotés). Mais aussi via une volonté portée au plus haut niveau. Pour moi, la contrainte ne vaut que si elle est portée par une conviction de fond. C’est l’association des deux qui rend les mesures efficaces et puissantes.
Evelyne Llauro Barrès – Directrice Générale Adjointe des Richesses Humaines – MAIF
ITW réalisé avant période de confinement et intégré dans le mag #1 « Dessine-moi l’assurance » effectué par Jean-Luc Gambey – Vovoxx