La pandémie actuelle impose des contraintes fortes d’organisation pour les entreprises. Résilience, plan de continuité, gestion de crise, maintien de la relation clients, gestion des Ressources Humaines et développement massif du télétravail, développement des systèmes d’information, conduite des opérations de communication, et maintien de l’organisation de la gouvernance de l’entreprise. Alors que la majorité des salariés du secteur de l’assurance travaillent aujourd’hui à distance, les dirigeants sont également confinés chez eux. Nous avons décidé d’interviewer, à distance, Patrick Evrard, Président d’agéa. Patrick Evrard, tout d’abord merci de répondre à cette interview. Comment en tant que personne, vivez-vous ce confinement ?
Comme de nombreux français, j’applique avec rigueur les dispositions prises par le gouvernement. En tant qu’agent général, je continue à me rendre à mon bureau, dont l’accueil physique est fermé, le matin en respectant en tous points les gestes barrières et travaille l’après-midi de chez moi en télétravail. L’arrêt de toute vie sociale, l’impossibilité de sortir ou de partir en week-end ou en congés, comme bon me semble est pesant, mais les enjeux sont tels que j’en oublie les désagréments.
Trouvez-vous certains aspects professionnels positifs à votre confinement ? au télétravail ?
Je crois que le temps retrouvé est sans aucun doute un avantage. Nous vivons bien trop souvent dans un stress quotidien, dans une course aux rendez-vous, dans une urgence de l’instant qui s’autoalimente. Prendre un peu de temps pour réfléchir, pour penser autrement son travail est sans aucun doute un point très positif. Je m’aperçois que ce qui était urgent hier l’est moins aujourd’hui et qu’en réalité cette précipitation permanente qui nous semblait inhérente à nos professions était peut-être un peu futile. Le temps permet une meilleure réflexion et donc une meilleure prise de décision. Le télétravail permet également de creuser plus à fonds les sujets, de lire et relire et là encore de mieux décider.
Quelles grandes décisions, pour votre entreprise, avez-vous prises dans ce contexte ?
En tant que Président d’une fédération professionnelle, les décisions que je prends pour nos adhérents s’apparentent plus à des conseils et des recommandations qu’à des consignes strictes. La grande décision que nous avons prise chez agéa dès l’annonce du confinement est d’avoir demandé à tous les agents généraux d’ouvrir leurs agences à guichet fermé et cela afin de permettre de maintenir une présence et d’assurer une continuité de service, à l’exception bien évidemment de ceux qui pouvaient mettre en place un télétravail pour leurs collaborateurs et pour eux-mêmes. Les agents généraux se doivent en effet de continuer à gérer les sinistres de leurs clients mais aussi à leur apporter aides et soutien principalement en adaptant leurs plans de recouvrement, mais aussi tout simplement en les appelant pour maintenir le contact.
Comment organisez-vous la gouvernance de l’entreprise ?
Grégoire DUPONT, Directeur Général d’agéa et moi-même, nous partageons le travail. Il garde un contact avec nos collaborateurs en les appelant fréquemment et en organisant des visio-conférences plusieurs fois la semaine. Il est important de conserver ce contact surtout pour ceux qui peuvent vivre plus difficilement le confinement. En ce qui me concerne, je fais de même avec les membres de notre conseil d’administration composé des Présidents des syndicats d’agents généraux et des Présidents des 12 régions agéa . Cela nous permet de continuer à prendre le pouls de l’ensemble de nos structures et de prendre les bons choix
Les Français et probablement la grande majorité des salariés de votre entreprise sont actuellement en télétravail. Selon certaines études, une très grande majorité des Français salariés n’ont pas l’habitude de travailler à distance (89% selon une étude *) et ne disposent pas d’un espace réservé pour le home office (73% selon la même étude*), comment cela se passe dans votre entreprise ?
Je pense que tout dépend des conditions de ce télétravail. Ceux qui rencontrent sans doute le plus de difficultés sont ceux qui dans le même temps assurent la garde de leurs enfants et ne disposent pas d’un espace de calme pour travailler. Pour les autres, je crois que tout dépend de la mission. Pour les fonctions supports, comptabilité, communication ou autres, le calme est bénéfique. Pour tous par contre, nous notons une très grande envie de revenir sur le lieu de travail, car ils ressentent le besoin d’échanger avec leurs collègues de travail, de partager leurs expériences. L’homme reste un « animal social ».
Est-ce que le télétravail permet de gagner du temps, de la concentration et de l’énergie ? Pour vous, pour vos collaborateurs ?
Je ne crois pas que l’on puisse parler de gain de temps stricto sensu et en particulier, comme je le disais juste avant, pour ceux qui gardent leurs enfants à domicile ou sont nombreux à être confinés dans une petite surface. En ce qui me concerne, je pense que le télétravail favorise la concentration, à la condition toutefois de savoir se déconnecter du téléphone, car les entretiens téléphoniques, surtout s’ils sont fréquents, sont plus fatigants à terme.
Stress, surcharge de travail, isolement social, incertitude… Le télétravail en contexte de confinement n’est pas sans risque. Or, le travail à distance n’exonère pas les employeurs de leurs obligations de protection de la santé de leurs salariés. Est-ce conciliable ?
Je crois que l’employeur doit être tout particulièrement vigilant à ne pas en demander plus à ses collaborateurs sous prétexte qu’ils auraient plus de temps du fait de l’isolement. L’isolement est pour certains une véritable difficulté à laquelle s’ajoute le stress et l’inquiétude dû à la particularité de cette crise et à une communication répétitive qui peut s’avérer anxiogène. Le télétravail oblige l’employeur à être peut-être encore plus à l’écoute de ses collaborateurs en les contactant souvent mais aussi en leur donnant une vision globale des actions menées, car il est important dans ces périodes de séparation de donner du sens aux actions de chacun.
La technologie permet de maintenir l’activité professionnelle, de garder un peu de lien social… avez-vous découvert ou utilisé de nouveaux outils dans ce contexte ?
La technologie permet effectivement de maintenir le lien, nous utilisons tous les outils de visio-conférences qui peuvent exister sur le marché. Je ne parlerai pas de découverte mais d’augmentation massive de l’usage pour les rendez-vous, réunions, conférences et autres formations à distance.
Voyez-vous des conséquences positives de cette quasi généralisation du télétravail ?
Le fait d’assurer la protection de nos collaborateurs pendant cette crise inédite, et donc de les savoir sereins et proches des leurs est sans aucun doute la conséquence positive du télétravail. Grace aux technologies qui le permettent, nous maintenons une continuité de service de qualité et cela est sans aucun doute un grand avantage. Il conviendra à la sortie de cette crise de mesurer les effets de ce confinement sur le moral des collaborateurs.
Pensez-vous, à terme, que cela risque d’augmenter le nombre de « télétravailleurs » une fois la période de confinement terminée ? Plus de demande de la part des entreprises, des salariés ? La crise sanitaire actuelle risque-t-elle de modifier structurellement votre organisation ?
Je ne le pense pas, car nous avions déjà pu remarquer lors des récentes grèves des transports publics, où plusieurs de nos collaborateurs, avaient choisi de télé-travailler que la perte du lien social était un point sensible. Je pense que le télétravail est positif quand il est limité à un ou deux jours dans la semaine mais pas tous les jours et encore moins sur le long terme.
Avez-vous un autre commentaire ?
Nous pouvons, je crois nous féliciter de vivre à l’époque où nous vivons. Imaginons ce qu’aurait été ce confinement, sans internet, sans téléphone, sans tous ces moyens de contacts que nous offrent les derniers développements de la technologie moderne. Si il y a une leçon à tirer de cette crise elle tient dans la nécessité de renforcer pour l’avenir tous ces moyens de communication, sans pour autant oublier que l’essentiel tient dans les rapports humains.
Par Jean-Luc Gambey – Vovoxx
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*Deskeo a interrogé le 26/03/2020 2 736 professionnels au sujet de leurs conditions de télétravail.