"Les dirigeants sont en face du paroxysme du monde VUCA"

La pandémie actuelle impose des contraintes fortes d’organisation pour les entreprises. Résilience, plan de continuité, gestion de crise, maintien de la relation clients, gestion des Ressources Humaines et développement massif du télétravail, développement des systèmes d’information, conduite des opérations de communication, et maintien de l’organisation de la gouvernance de l’entreprise. Alors que la majorité des salariés du secteur de l’assurance travaillent aujourd’hui à distance, les dirigeants sont également confinés chez eux. Nous avons décidé d’interviewer, à distance, Vincent Harel, Président Mercer.
Vincent Harel, tout d’abord merci de répondre à cette interview. Comment en tant que personne, vivez-vous ce confinement ?
Aussi bien que possible, je vis très centré sur le temps présent et les joies simples du quotidien familial tout en m’astreignant à de l’activité physique.
Trouvez-vous certains aspects professionnels positifs à votre confinement ? au télétravail ? 
Le test du télétravail à grande échelle est effectivement intéressant, même si la pratique était déjà très usuelle chez Mercer. Cela pousse des modes de management qui me semblent vertueux, basés sur la confiance, l’esprit responsable et la gestion d’objectifs plutôt que sur la hiérarchie. En revanche, on ressent aussi fortement l’importance des contacts qui ne sont pas totalement compensés par les initiatives collectives virtuelles. Enfin, cette crise est un bon révélateur des points forts et des points faibles !
Nous avons garanti l’emploi de tous nos salariés pendant toute la durée de la crise. Pour Mercer et Marsh & Mc Lennan, il est essentiel de montrer à nos collaborateurs la solidité de l’entreprise et la confiance en l’avenir pour favoriser l’action de chacun en ces temps troublés.
Comment organisez-vous la gouvernance de l’entreprise ? 
Hormis la virtualité de nos échanges, la gouvernance de l’entreprise n’a pas changé. Nous avons seulement tenu pendant les 2 premières semaines des cellules de crise quotidiennes pour nous assurer de la continuité de l’activité.
Les Français et probablement la grande majorité des salariés de votre entreprise sont actuellement en télétravail. Selon certaines études, une très grande majorité des Français salariés n’ont pas l’habitude de travailler à distance (89% selon une étude*) et ne disposent pas d’un espace réservé pour le home office (73% selon la même étude*), comment cela se passe-t-il dans votre entreprise ? 
L’immense majorité de nos équipes sont en télétravail. Ce n’est pas une nouveauté pour plus de la moitié des équipes, et même si la permanence de la situation requiert de l’adaptation, en quelques heures les choses se sont mises en place. Pour l’autre moitié, cela s’est aussi finalement fait assez vite et ce sera certainement un acquis pour le futur. En termes de complexité,  ce que nous voyons c’est la difficulté de concilier gestion des enfants et travail. Aussi nous avons d’une part favorisé des organisations personnelles en horaires décalés et nous poussons à ce que les personnes n’hésitent pas à prendre des congés pour préserver les équilibres personnels.
Est-ce que le télétravail permet de gagner du temps, de la concentration et de l’énergie ? Pour vous, pour vos collaborateurs ? 
Certes les temps de transport sont épargnés, mais mon sentiment est que l’engagement est aussi fort et exigeant qu’en présentiel. Je dirais même qu’à certains égards notamment pour les managers c’est nettement plus intense.
Stress, surcharge de travail, isolement social, incertitude… Le télétravail en contexte de confinement n’est pas sans risque. Or, le travail à distance n’exonère pas les employeurs de leurs obligations de protection de la santé de leurs salariés. Est-ce conciliable ?
Nous sommes vigilants à tout cela. A titre d’exemple, nous avons très vite recensé les personnes isolées pour nous assurer de leur moral et de leur santé.
La technologie permet de maintenir l’activité professionnelle, de garder un peu de lien social… avez-vous découvert ou utilisé de nouveaux outils dans ce contexte ? 
Nous utilisons déjà depuis plusieurs années de nombreux outils (Zoom, Klaxoon…). De culture américaine et anglo-saxonne, l’usage et la pratique virtuels sont très généralisés depuis longtemps.
Voyez-vous des conséquences positives de cette quasi généralisation du télétravail ? 
Sans aucun doute, cela pousse en particulier à remettre en question un certain nombre de pratiques et challenges de manière positive dans nos quotidiens. Par ailleurs, et c’est assez paradoxal compte tenu de l’isolement contraint, cela a aussi dans une certaine mesure, généré de la proximité entre les personnes par le simple fait de rendre moins formel les échanges et de se retrouver par visio conférence interposée chez chacun de nous.
Pensez-vous, à terme, que cela risque d’augmenter le nombre de « télétravailleurs » une fois la période de confinement terminée ? Plus de demandes de la part des entreprises, des salariés ?  La crise sanitaire actuelle risque-t-elle de modifier structurellement votre organisation ?
Chez Mercer, le confinement va accentuer des pratiques déjà existantes. Pour d’autres entreprises, le choc culturel et managérial du télétravail sera sans aucun doute très fort. La crise sanitaire va pousser les entreprises vers de nombreux changements pour plus d’agilité, ces changements seront d’ordre organisationnels, managériaux, logistiques et technologiques. Le confinement montrera que les entreprises capables de projeter virtuellement leur organisation seront sans doute celles qui souffriront le moins et cela requiert parfois des remises en question assez vastes.
Avez-vous un autre commentaire ?
Les dirigeants sont en face du paroxysme du monde VUCA (Volatil, Uncertain, Complex et Ambiguous). Cela nous pousse d’une part à agir très concrètement à court terme pour préserver nos équipes et nos business et d’autre part à préparer et anticiper le « nouveau normal » de demain. Une sorte d’Uberisation globale se produit, poussée non pas par un acteur disruptif, mais par un virus que nul n’a vu venir. C’est en cela qu’il nous faut challenger nos entreprises.
Par Jean-Luc Gambey – Vovoxx
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*Deskeo a interrogé le 26/03/2020 2 736 professionnels au sujet de leurs conditions de télétravail.
 

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