Nous vivons un moment charnière pour la prise en charge du grand âge et de la dépendance. Les prochaines années seront celles d’un vieillissement inédit de la société française et d’une augmentation importante du nombre de personnes qui subiront une perte d’autonomie. Nous avons l’opportunité de repenser notre modèle à l’aune de l’aspiration que nous partageons tous de vivre mieux, plus longtemps, en bonne santé, ensemble, et si possible à domicile.
Quelques chiffres d’abord sur la situation de notre pays : à horizon 2050, la proportion de personnes âgées de plus de 85 ans sera multipliée par trois. Le nombre de personnes en situation de perte d’autonomie pourrait lui être multiplié par deux en 2060.
Or, notre modèle de prise en charge de la perte d’autonomie ne répond déjà plus de manière satisfaisante aux besoins actuels et ne saura donc pas faire face aux enjeux à venir.
En premier lieu, notre système de prise en charge est complexe dans sa mécanique d’articulation des acteurs et, de fait, les importants moyens mobilisés sont finalement mal perçus par les Français. Nous avons un réel déficit de lisibilité qui se traduit par une méconnaissance de l’effort public, alors même qu’il va falloir adapter notre système aux enjeux de la longévité.
Simultanément, notre société est inquiète et envisage la perte d’autonomie avec angoisse. Ainsi, une étude de l’observatoire « Place de la Santé » de la Mutualité française montre que les trois quarts des Français sont préoccupés par une situation de dépendance, si elle survenait, pour eux-mêmes ou leurs proches.
Cependant, notons cette singularité française : un peu plus de 40 % des personnes qui sont bénéficiaires de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie sont en établissement, soit un tiers de plus que la moyenne européenne. Alors que deux tiers de nos concitoyens estiment comme peu souhaitable le fait de résider en établissement. Cette singularité est la conséquence d’un modèle assez binaire, soit le maintien à domicile, soit l’établissement avec peu de modalités qui permettraient des solutions hybrides, intermédiaires et plus en phase avec les aspirations des Français pour leur fin de vie.
On voit aussi à quel point les aidants sont mobilisés dans notre pays et mis à l’épreuve. Les aidants familiaux, bien sûr, et les aidants professionnels, que ce soit dans le soin ou dans l’accompagnement. Ils font face à un véritable déficit de reconnaissance et de valorisation. Au sein du Groupe Aésio, nous nous mobilisons pour renforcer la prise de conscience sur la situation d’urgence dans laquelle se trouve le secteur de l’aide à domicile. Nous avons donc engagé une campagne de sensibilisation « Dites leur merci ! » dont l’objectif est d’attirer l’attention du grand public, des décideurs et des médias sur le travail accompli par ces professionnels, ainsi que sur la nécessité de leur permettre d’exercer dans les meilleures conditions possibles.
Il y a aussi, bien sûr, un enjeu financier et économique majeur à relever. Aujourd’hui, le coût de notre système de prise en charge de la perte d’autonomie est d’une trentaine de milliards d’euros, sans compter, bien évidemment, la valorisation de la contribution des aidants familiaux. A l’horizon 2060, dans une hypothèse du doublement de personnes en situation de perte d’autonomie, il faudrait mobiliser sans doute 50 milliards pour répondre aux besoins de prise en charge. Comme le cadre budgétaire est très contraint, nous voyons bien la difficulté à engager les moyens nécessaires avec une augmentation de la dépense, publique ou privée, qui est considérée comme difficilement acceptable par la population.
Notre pays doit donc repenser une société beaucoup plus inclusive où la place des ainés est plus en continuum. Nous devons être en phase avec les aspirations des individus, tout en garantissant la soutenabilité et l’efficacité du système. De ce point de vue, les marges de progrès sont considérables.
Le Groupe Aésio a développé une série de propositions concrètes et qui pourraient être dupliquées sur le territoire. Parmi celles-ci, à l’initiative d’Eovi-Mcd, « la Cité des ainés », inaugurée en 2019 à Saint-Etienne. L’architecture, les équipements et l’organisation ont été conçus en partant des besoins exprimés par la personne âgée elle-même, et l’évaluation de sa situation de perte d’autonomie avérée ou potentielle. Ce concept très inclusif de cité-village propose des parcours centrés sur la personne, ses besoins et ses aspirations. Tout cela de manière inclusive, au cœur même de la ville et non pas en excluant les personnes d’un cadre urbain dans lequel elles sont immergées depuis toujours. Ce concept a été conçu avec l’appui des collectivités locales, de la Cité du design et de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, dans une logique de « living-lab » où sont articulés les outils technologiques et des innovations autour de la luminothérapie, de la domo-médecine, de la robotique, des nouvelles modalités de prise en charge médicamenteuse, de nouvelles techniques de préparation des repas, le tout dans un souci de soutenabilité économique. L’ambition de la Cité des ainés est de concilier innovation et accessibilité. Ainsi, le prix journalier de l’EHPAD est de 60,95€, soit l’un des plus bas de France. Parallèlement, la « box des fragilités » qui favorise le maintien à domicile en sécurité fait l’objet d’un déploiement expérimental dans le bassin stéphanois.
Cultiver une approche beaucoup plus préventive que curative est l’une des motivations initiales. Le Groupe Aésio a lancé une plateforme de services, portée par Apréva Mutuelle dans les Hauts de France, baptisée « Vivre mieux sa vie ». Les services proposés sont centrés sur le besoin de l’individu et sa capacité à apporter des réponses pour lui-même ou pour son entourage en matière d’accompagnement, de soins, de logements, à partir de situations de vie. Ancrée sur une réalité territoriale avérée, cette plateforme pourrait prospérer sur un territoire plus vaste avec l’appui de tout le groupe. Un projet plus transversal et de dimension nationale conçu avec des partenaires majeurs est ainsi en gestation.
L’expérimentation est également une dimension fondamentale pour évoluer vers la société de la longévité. Par exemple, dans une autre mutuelle du Groupe Aésio, en Franche-Comté, une expérimentation a été engagée avec Medissimo et des pharmaciens, dans des zones semi-rurales, pour favoriser la sécurisation de l’observance des traitements pour des personnes en situation de perte d’autonomie et leurs aidants.
Sur l’ensemble de ces enjeux, nous voyons la nécessité d’avoir un socle d’intervention significatif de financement public mais qui s’articule avec les capacités contributrices d’autres acteurs, en construisant les réponses au sein des territoires.
La Mutualité Française a porté une réponse publique à hauteur des besoins de la société de la longévité, à la fois au niveau systémique et dans les modalités financières, notamment pour s’attaquer à la question des restes à charge, un enjeu majeur également. Il va falloir innover, trouver des solutions, injecter des moyens. Une mobilisation publique substantielle, marquant aussi la solidarité nationale, doit faire face à cet enjeu majeur. La Mutualité Française le souhaite au plus haut point. Toutefois, si d’autres financements s’avéraient indispensables, nous pourrions travailler à proposer une couverture assurantielle obligatoire en complément de l’intervention publique, et sous le contrôle de l’Etat.
A l’heure où le pays affiche chaque jour des fractures qui interrogent la capacité effective à vivre ensemble, le défi de la société de la longévité offre l’opportunité de réconcilier les citoyens, les acteurs motivés à construire des réponses, les collectivités locales et bien sûr l’Etat dans une capacité inédite à produire ensemble des solutions pour longtemps.
Contribution de Patrick Brothier, Président du Groupe Aésio réalisée avant période de confinement et intégré dans le mag #1 « Dessine-moi l’assurance » effectué par Jean-Luc Gambey – Vovoxx