Les appels à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans les entreprises sont faits plus au nom de l’éthique et de la justice sociale que comme facteur de performance et de croissance. L’un des facteurs à l’origine de la difficulté à avancer sur ce sujet de la parité ne réside-t-il pas dans cette approche du sujet ?
Ces deux approches sont indispensables. Dans un monde professionnel en pleine transformation vers des entreprises plus responsables et plus justes, la question éthique et de justice sociale doit être posée clairement dans l’entreprise. Est-ce que chaque homme et chaque femme au sein de mon entreprise est traité de la même manière et a les mêmes chances d’évolution professionnelle ? Il suffit d’observer la répartition hommes/femmes dans sa structure par niveau hiérarchique pour répondre à cette question et observer le fameux phénomène de « plafond de verre ».
En complément, on doit aussi prendre conscience que de se priver de la moitié de ses talents, c’est prendre un risque d’être moins innovant et moins performant. Ce que démontrent un certain nombre d’études.
Il faut donc avoir une véritable approche stratégique de la Mixité au sein de son entreprise. C’est le parti pris du groupe Arkéa qui a inscrit dès 2016 la Mixité au sein de sa stratégie en instaurant une mission. Cette mission mixité a mis en place, à partir d’un diagnostic des freins et des leviers, un plan d’actions.
Un grand nombre de dirigeants sont convaincus que, si la cause féminine est évidemment une question de morale, de manière très pragmatique, il s’agit également d’une cause d’intérêt général pour les entreprises et les institutions, un levier de performance, de croissance et de productivité. En ce qui concerne les entreprises du secteur de l’assurance, est-il désormais nécessaire que les politiques de diversité de genre ne soient plus gérées comme des politiques de RH ou de RSE mais comme des politiques économiques de performance ?
Au-delà d’un levier de performance, la Mixité est un véritable levier de transformation. La société a énormément évolué ces trente dernières années : une augmentation du niveau de diplôme, la montée de l’activité féminine, la réduction de la taille des familles, les progrès technologiques ou le changement des modèles familiaux (l’augmentation du nombre de familles monoparentales, reconstituées, et de gardes partagées).
Ces changements sociétaux et l’arrivée des nouvelles générations poussent les entreprises à revoir leur modèle avec un management empreint de plus de bienveillance et à revoir leurs dispositifs autour de l’organisation du travail (plus de flexibilité, du télétravail, du temps partiel choisi) mais aussi dans l’accompagnement de la parentalité (aide à la garde enfant, allongement des congés parentaux, congés enfants malades…). Tous ces dispositifs qui améliorent l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle sont clairement des leviers d’amélioration de la représentativité des femmes dans les niveaux d’emplois les plus élevés.
C’est un véritable sujet de société et d’intérêt général et ne pas en prendre la mesure, c’est se mettre en risque.
La mise en place d’un index public de mesure, à compter de mars 2019 selon la taille des sociétés (2019 pour celles de plus de 250 salariés, 2020 pour les autres) impose, pour la première fois, une obligation de résultats (75 points minimum), et non plus seulement de moyens, à près de 40 000 sociétés à terme. Ainsi, au 1er mars 2022, les entreprises de plus de 250 salariés qui n’auront pas consacré une enveloppe de rattrapage à l’atteinte de cet objectif d’égalité seront sanctionnées par une pénalité pouvant aller jusqu’à 1 % de leur masse salariale. Que pensez-vous de cet index public ?
« Tout ce qui ne se mesure pas ne se voit pas. » Installer des indicateurs permet à la fois de découvrir les réalités des inégalités et mesurer dans le temps l’impact des actions mises en œuvre. Dès 2016, lors du diagnostic, nous avons instauré ces indicateurs et le constat était sans équivoque car si nous sommes un groupe mixte avec 56% de femmes, on observait clairement une sous-représentativité des femmes dans les niveaux d’emplois les plus élevés et une sur-représentativité des femmes dans les niveaux les plus bas. Ces indicateurs Mixité sont devenus un outil de pilotage ; ils sont édités et analysés chaque année.
L’arrivée de la loi sur l’égalité salariale avec cet index Égalité professionnelle va évidemment dans notre sens et ne fait qu’ajouter un argument réglementaire à notre stratégie.
Pour les entreprises n’ayant pas encore initié de réflexion sur le sujet de la mixité, cet index va les contraindre à le faire, ce qui est dans leur intérêt.
Dans le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes remis le 17 décembre dernier, parmi les 153 pays passés au crible, la France se place, seulement au 59ème rang en ce qui concerne la féminisation des « positions seniors et dirigeants » dans le monde du travail. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, recommande notamment d’instaurer des quotas de genre dans les instances de direction (Comex/codir). Quelle est votre réaction ?
Je ne suis pas favorable à la mise en place de quotas dans les instances de direction, les membres de Comité exécutif (Comex) sont choisis en grande majorité en interne en fonction de leur expertise et de leurs compétences dans un domaine, après une montée en puissance. Mettre en poste des femmes n’étant pas encore formées serait dangereux pour le bon fonctionnement de la société ainsi que pour les carrières de ces mêmes femmes qui en subiraient alors potentiellement les impacts négatifs. Cependant, il est essentiel d’apporter une attention toute particulière à la formation de femmes à des postes de dirigeants – et en conséquence la possibilité d’accéder aux Comex – et cultiver un vivier de femmes, à égalité, devant la porte des nominations aux postes d’instance de direction.
Selon l’institut Ethics & Boards, la part des femmes dans les Comex des entreprises du CAC 40 atteignait 18,2 % en juillet 2019, contre 7,3 % en 2009 : au rythme de progression actuel, il faudrait trente-trois ans pour atteindre la parité dans les instances de direction du CAC 40. Sans les quotas, rien de bougera ?
C’est vrai. L’évolution est lente mais il faut s’attaquer aux raisons de cette progression lente, identifier les freins. Les processus inadaptés à l’inclusion des femmes (recrutement, âge de sélection des hauts potentiels, etc.), ainsi que les résistances au changement chez les hommes, et chez les femmes elles-mêmes, expliquent pour une grande partie cette lente évolution.
Avec une véritable stratégie volontariste, il est possible de faire bouger les lignes. Pour cela, avoir un engagement fort des dirigeants permet d’opérer un changement culturel durable vers une véritable culture d’inclusion.
C’est le choix que nous avons fait au sein d’Arkéa, la Mixité est pour nous un véritable sujet d’entreprise, un levier de transformation au cœur de notre plan stratégique Arkéa 2020. Notre objectif est d’avoir un équilibre de représentation hommes/femmes à tous les niveaux de l’entreprise : avoir autant de femmes que d’hommes dans les métiers les moins qualifiés et dans les métiers les plus gradés.
Instaurée il y a quatre ans, notre stratégie Mixité s’articule autour de deux axes : agir sur les processus et agir sur les mentalités. Nous avons bien conscience que ce travail dantesque de changement de fond, de changement culturel, va prendre du temps.
Nous nous sommes attaqués depuis plusieurs années aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avec une vigilance particulière à l’embauche, une enveloppe budgétaire « égalité professionnelle » annuelle, destinée à supprimer les écarts entre les hommes et les femmes ainsi que la révision systématique de la rémunération des femmes à leur retour de congé maternité si leur rémunération est en décalage avec celle de leur niveau d’emploi.
Nous avons souhaité améliorer la flexibilité et l’organisation du temps de travail avec la mise en place du forfait jour pour les postes à responsabilités et le lancement du télétravail.
Nous avons aussi des dispositifs pour accompagner la parentalité avec la participation aux frais de garde jusqu’aux 6 ans de l’enfant, et à ces mêmes frais au-delà des heures habituelles de garde (en cas de déplacement professionnel ou de formation professionnelle, par exemple) ou encore des jours enfant malade. En parallèle, nous avons ouvert le chantier du changement culturel.
L’engagement quotidien et la persévérance de chacun et chacune – femmes et hommes, jeunes et moins jeunes – sont essentiels pour asseoir en profondeur le changement de culture nécessaire et durable, vers une entreprise plus inclusive.
Nous avons donc lancé un plan de sensibilisation Mixité de grande ampleur impliquant l’équipe dirigeante, les RH, les managers et l’ensemble des collaborateurs avec :
- La création d’un réseau d’ambassadeurs Mixité composé de plus de 440 salariés volontaires dont 43% d’hommes. Ils se sont investis pour cartographier les freins et leviers et être acteurs du changement au sein de leur entité (organisation de temps fort, réalisation de film de sensibilisation…)
- Une formation « Tous inclusifs » depuis 2017, pour aider les salariés à mieux repérer les stéréotypes qui peuvent influencer le jugement, souvent de façon inconsciente. Le groupe s’est fixé pour objectif de former l’ensemble de ses collaborateurs à ce sujet d’ici à fin 2020 (70% étaient déjà formés fin 2019).
- Formation des managers également, sur la posture managériale autour des sujets comme la maternité, l’autocensure et le sexisme ordinaire.
Et aujourd’hui, quatre ans après, nous enregistrons des premiers résultats concrets et positifs, le pourcentage de femmes aux postes clés est passé de 34% en 2016 à 40% et nous avons 30% de femmes au Comex groupe, alors qu’il n’y en avait aucune début 2016.
Pour certaines entreprises, la parité fait partie des objectifs annuels de l’entreprise et compte pour la partie des rémunérations variables à la fin de l’année. Qu’en pensez-vous ?
De notre côté comme vous l’avez compris, nous n’avons pas souhaité installer de quotas ou d’objectifs chiffrés. Par contre, nous avons souhaité inciter nos dirigeants à s’engager et mettre en œuvre les conditions d’une meilleure mixité dans leur entité, en leur donnant l’objectif dans leur KPI d’analyser l’ensemble des déséquilibres éventuels entre les femmes et les hommes, y compris des rémunérations, au sein de leur périmètre avec un plan d’actions correctif défini.
Transformer le management de l’entreprise et développer des politiques en faveur de la parité, tout en ne privilégiant que compétence et professionnalisme. Est-ce une urgence absolue ? Comment le faire ?
Le changement de posture managériale est essentiel pour améliorer la mixité au sein des organisations. Nous l’avons évoqué précédemment : un des freins à la mixité, ce sont les stéréotypes et les biais inconscients. Il est essentiel que chacun de nous et les managers en premier lieu, soient, pour le coup, bien conscients que nous avons tous des stéréotypes, des biais culturels qui sont en majorité inconscients et qui influencent nos jugements et nos prises de décisions au quotidien.
Par exemple, pour bien comprendre : un ou une manager, sujet d’un biais inconscient qu’une jeune maman est trop préoccupée par sa vie de famille pour s’investir dans un poste à responsabilité, ne pensera même pas à une jeune femme de son équipe (de retour de congé maternité) ayant toutes les compétences requises pour un poste à responsabilité à pourvoir. Ainsi, depuis plus de trois ans, nous avons créé l’Arkéa Académie Management dans lequel nous avons instauré un module sur la mixité, où l’on forme sur la posture managériale face à la maternité, l’autocensure ou encore le sexisme ordinaire.
Certains décrivent le « syndrome de l’imposteur » : les femmes attendraient d’avoir 120% des compétences nécessaires pour postuler à un poste là où les hommes se lancent avec 60% des qualités requises. Votre réaction ?
Effectivement, il s’agit d’un phénomène d’autocensure que nous observons chez nous aussi. Un phénomène lié aux stéréotypes culturels.
Il faut former les managers à l’appréhension de cette autocensure, c’est-à-dire les former à détecter les freins que les femmes peuvent se mettre elles-mêmes, et les accompagner à trouver des solutions et à adapter leur poste. C’est ce que nous avons initié avec les jeunes managers chez Arkéa.
Mais il faut aussi proposer aux femmes des formations autour des sujets comme le culot, l’assertivité, le marketing de soi, l’importance de se créer un réseau, des rencontres « rôle models », et puis mettre en avant des profils féminins sur les postes à responsabilité (exemple : jeunes femmes directrices de caisses). Nous avons commencé à initier des actions de sensibilisation avec l’organisation de conférences sur la thématique du culot et des rencontres de « rôle models ».
En termes de parité, d’égalité salariale, il semble y avoir un travail assez conséquent à accomplir. Quels sont les prochains passages à l’acte concrets ? Quels efforts restent-ils à faire ?
L’écart global entre tous les niveaux de postes confondus se réduira par un équilibre hommes/femmes à chaque niveau de l’organisation de l’entreprise, au niveau le plus haut mais aussi au niveau le plus bas.
Sur un même niveau d’emploi avec la même ancienneté, les enveloppes budgétaires ne suffisent pas à réduire les écarts. Il faut aussi avoir une vigilance à l’embauche, encourager les femmes à oser postuler sur des postes à responsabilités et à négocier leur salaire, où là, on a affaire au syndrome de la bonne élève.
Il faudra certainement aussi aller encore plus loin dans la flexibilité autour de l’organisation du travail, de la prise en compte de la différence entre les cycles de carrière féminins et masculins mais aussi d’un meilleur équilibre de vie. Mais c’est également un enjeu pour les hommes !
Si la mixité permet aux femmes un meilleur épanouissement professionnel, elle propose aussi aux hommes une réussite sans sacrifices de la vie personnelle et familiale.
Dans les années 50, les femmes représentaient 30 à 50% des effectifs dans le secteur de l’informatique. Les derniers chiffres de l’étude Gender Scan, publiée en octobre dernier évoquent que les effectifs féminins ont baissé de 11 % en 5 ans dans le secteur des hautes technologiques en France alors que l’Union Européenne a connu une progression moyenne de 14% dans le même temps. Aujourd’hui encore, les femmes figurent comme une minorité dans le secteur de la tech. Pourquoi et comment faire pour changer la donne ?
Nous nous sommes penchés aussi sur le sujet car notre objectif est bien d’avoir un équilibre de représentation hommes/femmes à tous les niveaux de l’organisation et nous sommes confrontés à la problématique des métiers genrés, particulièrement dans nos activités numériques. On a beau vouloir embaucher des femmes dans ce secteur, on ne les trouve pas car de fait elles sont moins nombreuses.
Face aux enjeux du numérique et de l’Intelligence Artificielle, il est impératif d’encourager les femmes à travailler dans ces métiers techniques essentiels au fonctionnement des entreprises de tous secteurs.
Nous savons aujourd’hui que les jeunes filles ne sont pas attirées par ces métiers à cause d’une très forte montée en puissance des stéréotypes sur ces sujets : image de « geek » et milieu « sexiste ».
Notre Pôle Innovation & Organisation a lancé plusieurs initiatives pour faire bouger les lignes : animation dans les collèges (sur la mixité et initiation au codage des jeunes filles en 3e) et un partenariat avec l’école d’ingénieur Ensta à Brest avec notamment un programme de Mentors entre des collaboratrices des équipes informatiques Arkéa et les jeunes femmes élèves.
D’autres actions et partenariats sont à l’étude et devraient être lancés en 2021 autour de cette thématique.
Pour « inciter » les femmes à prendre des postes clés, est-il impératif que les leaders y croient fermement et que l’implication des hommes soit acquise ?
La mixité est un sujet d’hommes et de femmes. Les hommes aussi veulent sortir des stéréotypes de genre et des freins culturels. On ne saurait faire l’économie d’une réflexion globale sur les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes. De plus en plus d’hommes souhaitent un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et vie personnelle, et remettent en cause le travail comme élément identitaire central. Il n’est donc pas question de dresser une catégorie contre une autre mais bien de fédérer sur un sujet qui les concerne tous fortement : la conciliation harmonieuse de leur vie professionnelle et personnelle. Donc, oui, il faut l’implication des hommes pour changer de paradigme, de culture d’entreprise, et inciter les femmes à prendre des postes clés.
Comment agir concrètement pour la parité ? Quels chemins il y a-t-il encore à parcourir ? Quelles propositions ?
Chez Arkéa, si le changement culturel est lancé et les premiers résultats sont positifs au bout de quatre ans, on sait qu’il reste encore du chemin à parcourir. Nous choisissons de prendre le temps de faire les choses dans l’ordre et de façon pérenne. Nos enjeux aujourd’hui sont de continuer la féminisation des plus hauts postes de management, de réduire les écarts de rémunération car malgré les efforts, ils ne sont toujours pas à zéro, et lutter contre les métiers genrés.
Il nous faut également continuer la sensibilisation de toutes et tous car une grande partie des enjeux (notamment la féminisation des plus hauts postes) repose sur les effets des stéréotypes de genre dont nous sommes toutes et tous empreints ; entrer « dans le dur » de nos processus RH (recrutement, rémunérations, accompagnement des carrières).
Avez-vous d’autres commentaires/convictions ?
Notre souhait aujourd’hui chez Arkéa est d’avoir une stratégie plus large qui traite la diversité dans sa globalité et non en silot avec d’un côté la mixité, de l’autre le handicap ou encore l’inter-générationnel. C’est pour cette raison que nous avons créé en avril 2019 au sein de la direction des ressources humaines, un service Diversité et Qualité de Vie au Travail. La mission de cette équipe est d’aborder la diversité de façon transverse dans une culture d’inclusion afin que chaque salarié soit reconnu dans ses différences.
Marc Gosselin – Directeur des Ressources Humaines – Groupe Arkéa
ITW réalisé avant période de confinement et intégré dans le mag #1 « Dessine-moi l’assurance » effectué par Jean-Luc Gambey – Vovoxx