Nous avons rencontré, Stéphane Savalle, Directeur Assurance et Produit chez Advise et concepteur et distributeur de l’offre Parachut (un seul contrat pour assurer l’ensemble des biens qui vous sont chers). A quelques heures des journées du courtage, Stéphane Savalle nous livre ses convictions.
Stéphane, que pensez-vous de l’évolution du courtage d’assurance ? quels sont les principaux défis de cette profession ?
Les défis peuvent être différents si l’on parle du monde du grands courtage, des courtiers grossistes, spécialisés voire ultra spécialisés. Mais l’un des défis est de pouvoir absorber la pression réglementaire croissante à moindre coûts, telles que l’ANI, La loi Hamon, RGPD, DDA voire plus indirectement Solvency II et si possible en faire un atout marketing (le RGPD peut être un atout notamment pour les courtiers touchant le grand public). Le grand courtage a déjà évolué en mettant en avant son savoir-faire en matière de conseil et dont une partie des rémunérations s’entendent maintenant en honoraires. Ils doivent néanmoins faire face à des entreprises dont les budgets sont de plus en plus contraints. Leur politique de rachat sera un élément déterminant, à mon sens, pour venir compléter leur palette de service. L’une des clés de leur succès sera certainement d’accélérer la digitalisation de leurs services notamment sur les risques « classiques » et la mise à disposition auprès des entreprises d’outils performants (en particulier la partie sinistres).
Pour les courtiers grossistes et spécialisés, la concurrence est importante avec l’entrée de nouveaux acteurs (exemple de Tesla sur la partie auto), les bancassureurs, les mutuelles sans intermédiaires, comparateurs, assurtechs ou encore distribution directe par les assureurs sans oublier, les agents généraux qui ont une véritable carte à jouer et les enseignes du commerce, voire associatif : Amazon, GreenPeace … .
Leurs principaux défis, outre de maîtriser leur distribution directe ou leur réseau avec des outils performants, seront de :
- Proposer des offres pertinentes à des moments clés qui soient personnalisées, pouvant offrir des packages de services différentiants et de savoir les faire évoluer,
- Devenir un gestionnaire actif dans la gestion des sinistres en proposant des prestations alliant prix, qualité et efficacité, afin d’augmenter le niveau de satisfaction client par la mise en œuvre d’une expérience client maitrisée,
- Explorer les nouveaux canaux de distribution et de la relation clients pour un contact plus efficace et un ton plus direct (exemple de Luko et d’autres acteurs),
- De pouvoir combiner digitalisation et humanisation de la relation,
- De créer un véritable lien de confiance avec leurs adhérents pour délivrer la promesse contractuelle dans une logique d’expérience client positive indispensable à la fidélisation et à l’équipement de ces derniers.
Les intermédiaires en Assurance affichent une certaine lassitude face aux réglementations qui se superposent, aux délais contraints, et aux efforts de digitalisation demandés par les clients finaux. Dans ce contexte, qui pourrait tétaniser les intermédiaires, quelles sont les moyens pour les courtiers, aujourd’hui de favoriser leur croissance, de gagner des parts de marché ?
Notre environnement est réglementé par nature, donc la profession a l’habitude d’absorber ces contraintes qui effectivement sont parfois complexes et couteuses à mettre en œuvre avec un effet client pas toujours perceptible pour ces derniers. Concernant la digitalisation, c’est moins le secteur que l’évolution sociétale qui le promeut. Aussi la digitalisation est l’un des moyens de faire mieux à moindre couts pour mieux absorber le financement de la mise en application des règlementations.
Le monde du courtage est très diversifié : Les grands courtiers généralistes, les grossistes et les spécialisés. A mon sens les grossistes et les spécialistes sont ceux qui peuvent avoir les plus grands leviers pour gagner en croissance et parts de marchés. Du fait :
- De leur investissement dans le réseau de distribution
- De leur connaissance du marché et des produits sans cesse plus pertinents, mieux adaptés
- De leur capacité, pour certains, à initier des démarches directes auprès du grand public dans une logique multicanal
- De comprendre les attentes des clients et le mettre au centre de son modèle financier, cultiver la transparence.
Les pressions sur les prix de l’assurance pèsent sur la rentabilité des courtiers. Quels sont les leviers d’augmentation de la rentabilité pour les courtiers d’assurance ?
Il y en a plusieurs :
- Digitaliser les chaines de production/sinistre dans une logique de satisfaction client et d’amélioration des processus
- Pour les grossistes et les spécialistes, développer leur ingénierie marketing, pour assembler des offres packagées
- Négocier de meilleures conditions avec les compagnies, voire être en capacité de porter, pour les garanties qui le permettent, eux même tout ou partie du risque (la réassurance pouvant dans ce cadre servir d’amortisseur), c’est le cas de L’extension de garantie notamment
- Mettre en place une réelle stratégie de fidélisation de leur clientèle
- Enfin certains commencent à réfléchir, mettre en place des solutions alternatives de type PCC (compartiment de captive avec HighDome notamment), voire de créer des captives (ce qui a été le cas célèbre du groupe April) pour une plus grande autonomie et une internalisation des marges. Cela demande un excellente vision et une connaissance des risques.
Le secteur du courtage d’assurances est hétérogène. Les acteurs en présence sont multiples : grands groupes, cabinets de proximité, courtiers généralistes, courtiers grossistes, courtiers spécialisés voire hyperspécialisés, courtiers en ligne,… que pensez-vous de la structuration de cette profession ? Va-t-elle évoluer ? La concentration accrue va-t-elle se traduire par la victoire du modèle « généraliste » ?
Bien malin celui qui peut prédire l’avenir, mais à mon sens, aujourd’hui les courtiers grossistes et spécialistes ont pris une longueur d’avance sur le modèle courtier généraliste. Ils ne disparaitront pas pour autant mais devront axer leur développement sur des marchés émergents et sur les secteurs ou les « grossistes » et les « spécialistes » ne sont pas encore très performants. La force des courtiers généralistes est de pouvoir s’investir dans les grands groupes à dimension internationale et de disposer d’un « knowledge » important pour diffuser des prestations de conseils. Une des voies pour les courtiers généralistes est peut-être d’avoir des synergies, non pas capitalistiques mais collaboratives laissant à chacun l’agilité qui est nécessaire et permettant de s’adapter en continu à leur environnement de marché respectif.
L’arrivée de nouveaux acteurs et le renforcement de canaux de distribution concurrents : bancassureurs, mutuelles sans intermédiaires, comparateurs, insurtechs ou encore distribution directe par les assureurs est-elle une véritable menace pour cette profession ?
Cela dépendra de la réponse de certains acteurs tels que les agents généraux et le monde du courtage. Sans oublier les enseignements que nous pouvons tirer de certaines initiatives, par l’exemple Greenpeace qui diffuse désormais de l’assurance vie. Un des enjeux est d’avoir une offre attractive et de créer un lien fort avec les assurés (grands public). A ce titre, le secteur de l’assurance devrait s’inspirer des grandes réussites du monde de la distribution tels qu’Amazon, Starbucks, … même si parfois ces entreprises sont décriées pour d’autres raisons. A partir de là, la sélection sera naturelle et encore une fois ce sont les clients qui l’exerceront.
La volatilité croissante des consommateurs, la montée en puissance de la bancassurance, Internet et enfin la réglementation européenne constituent les principales menaces concurrentielles perçues par les courtiers. Les courtiers ne sont-ils pas condamnés à se regrouper, investir et à innover ?
Là encore c’est la loi de la nature, si certaines entités n’ont pas le seuil critique dans leur marché, les ressources pour se développer et s’adapter aux nouvelles contraintes, les moyens de leurs stratégies, les rapprochements se feront. C’était le cas hier, c’est le cas aujourd’hui et peut être encore plus demain. A titre d’exemple souvenez-vous de la réforme du code de la mutualité et voyez ce marché aujourd’hui !
Aujourd’hui, une autre voie est peut-être possible, l’appel à des capitaux extérieurs, des fonds d’investissements qui peuvent être également une belle alternative pour certains acteurs.
Le rôle des courtiers-grossistes va-t-il continuer à se renforcer dans le secteur de l’assurance ?
Je crois à un développement important du modèle courtier grossiste et spécialisé. Mes convictions rejoignent le choix que j’ai fait en rejoignant Advise.
L’autorégulation du courtage, telle qu’elle a été adoptée dans la loi Pacte, a été suspendue par le Conseil Constitutionnel. Cette réforme visait, selon ces auteurs, à « moraliser » la profession et à introduire au 1er janvier 2020 une forme d’organisation de la profession d’intermédiaires en assurance, banque et service de paiement. Pensez-vous que ce sujet va « revenir sur la table » ? Cette réforme serait-elle utile ou sans intérêt pour la profession ? A date il existe un certain nombre d’organismes qui sont les garants de la profession. Le métier est réglementé en termes d’inscription (Orias), de capacité professionnelle nécessaire à l’exercice des différentes fonctions et de contrôle (ACPR – DGCCRF). Donc pourquoi pas, il reste à définir concrètement quel pourrait être son rôle auprès de la profession.
L’omnicanal est au cœur de toutes les relations commerciales, dans quasiment tous les secteurs. Il s’agit pour la plupart des Français d’un élément fondamental dans sa relation avec ses fournisseurs. Le courtier monocanal continuera-t-il d’exister ? Pensez-vous que l’omnicanal soit une opportunité pour les intermédiaires d’assurance ?
L’omnicanal n’est pas en soi une opportunité c’est une nécessité. La volonté des clients et l’évolution des habitudes contraint les acteurs du marché à devoir s’engager sur l’omnicanalité. Je dis contraint car c’est une réelle difficulté pour certains acteurs historiques de réaliser cette évolution de par les systèmes d’informations, de réconciliation des données, du parcours client, … et l’organisation même de la relation client au sein de l’entreprise. Les coûts de transformation sont donc plus importants pour certains acteurs par rapport à d’autres plus récents et évoluant nativement avec cette philosophie et cette architecture.
Quelles sont pour vous les opportunités et les menaces provoquées par la « digitalisation » le courtage en assurance ? Pensez-vous la digitalisation du courtage va s’accélérer dans les années à venir ?
Il n’existe pas de danger à la digitalisation, cela reste un outil. Le danger est la façon dont les acteurs vont utiliser cet outil. Certains seront tentés d’y voir principalement des économies en termes de ressources, d’autres y verront l’occasion de refonder des processus moins coûteux, plus maitrisés, certains enfin saisiront une opportunité pour refonder les principes de la relation client et leur approche du marché. La vérité sera multiple mais les gagnants seront ceux qui mettent la satisfaction client au cœur de cette stratégie et qui pourront réintroduire de l’humain auprès des consommateurs. Je crois vraiment à une digitalisation encore plus humanisée pour les entreprises, l’harmonie, la combinaison du digital et de l’humain seront essentielles.
L’automatisation technologique est-elle un allié pour le courtage d’assurance ?
C’est une alliée comme dans toutes les industries. Comme précisé précédemment, il faut faire simplement attention que cet allié ne se retourne pas contre vous.
Terminons par un regard vers le futur et l’évolution du rôle du courtier en assurance. Nous avons réalisé récemment un ouvrage intitulé « Dessine-moi une mutuelle » et nous préparons le Magazine « Dessine-moi l’assurance ». Si vous deviez dessiner les principaux contours du courtage de demain, quels seraient-ils ?
Le courtage n’a pas le choix, il doit se réinventer et il le fait, cela concernant toutes les « catégories » de courtiers (généralistes/multi-spécialistes, grossistes spécialisés, hyper spécialisé …). Les différences se feront sur la vision des dirigeants, sur les évolutions de marché à mettre en œuvre voire à anticiper pour apporter et garantir une plus grande valeur ajoutée et une meilleure satisfaction client. Il faudra encore plus d’agilité demain qu’aujourd’hui et prendre en compte l’expérience client. Ce poste combiné avec l’exploitation des données pourra influer sur les directions à prendre. Ce qui est certain c’est qu’il ne ressemblera pas au courtage d’aujourd’hui, et ce, à tous les étages de la fusée. Le monde du courtage est un monde d’entrepreneurs, le futur doit s’écrire. Il s’écrit dès aujourd’hui.
Propos recueillis par L’assurance en Mouvement.
Jean-Luc Gambey
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