L’Homme est traditionnellement écartelé par l’inconcordance des temps. Nous ne sommes d’ailleurs pas tous égaux dans notre rapport au temps, et le temps qui passe ne compte pas le même temps pour tous. L’inconcordance des temps rythme notre propre temps et rend également notre rapport au temps très paradoxal. Tantôt nous le distribuons parcimonieusement comme si rien n’avait davantage de valeur, tantôt nous le dilapidons comme un objet encombrant. Le temps est devenu pour certains, une des « denrées » qui fait le plus défaut alors qu’il peut être pour d’autres, un fardeau, ou la trotteuse ne court plus assez vite. Si le temps « mathématique » ou le temps des horloges fracasse le temps psychologique de chacun d’entre nous, cette inconcordance des temps a aussi des conséquences collectives et sociétales. Comment pouvons-nous vivre les électrochocs entre le temps judiciaire, traditionnellement long, avec le cycle immédiat et infernal des médias qui peuvent rendre un présumé innocent, immédiatement soupçonné, voire coupable pour l’opinion publique ? Comment pouvons-nous supporter le temps des financiers avec le temps de l’économie réelle ? Comment pouvons-nous vivre une société apaisée avec le temps suspendu des personnes âgées et le temps bousculé de la modernité ? Cette inconcordance des temps est aussi terriblement contemporaine et accélérée par le foisonnement technologique. Elle questionne toutes les industries, mais également le secteur de l’assurance. Elle pose cependant, à ce secteur professionnel, des défis supplémentaires et parfois de multiples contradictions. Le temps de l’assurance, déjà installé dans des cycles longs, parfois nécessaires, doit se confronter avec des cycles de plus en plus accélérés et parfois instables.
Le temps de l’assurance est-il en concordance avec le temps des clients ?
Le client digitalisé, parfois capricieux, exige une immédiateté qui oblige les entreprises du secteur de l’assurance à s’interroger sur leurs pratiques, leurs process, leurs organisations. Ce besoin d’immédiateté des clients montre l’évolution d’un monde qui se transforme et fracture les métiers et nos entreprises, dont il y a quelques années la clientèle était « très captive » et traditionnellement peu volatile. La montée en puissance des nouveaux médias numériques et applications mobiles, le pouvoir grandissant du client-internaute, l’attente d’une expérience client identique à celles des autres marques de la grande consommation, par exemple, crée une fracture dans le rapport au temps des clients avec leur assurance en général, et à la gestion du sinistres, encore laborieuse, en particulier. Dans ce cadre, les entreprises du secteur n’ont pas d’autres choix que de s’adapter au temps de l’immédiateté, souhaité par les clients.
Le temps de l’assurance est-il en concordance avec le temps des startups ?
Les entreprises du secteur de l’assurance multiplient les annonces de collaboration avec les startups pour, accélérer leur temps de production et se focaliser sur le time to market, réduire le temps consacré à l’innovation et augmenter leur agilité. Le temps des startups repose sur des cycles très courts, alors que les entreprises de notre secteur ont des cycles décisionnels et organisationnels très nettement plus longs. Pour une startup, si elle ne signe pas, dans les 3 à 6 mois, un contrat lui permettant de concrétiser son innovation, la situation devient souvent et vite compliquée. Le temps des prises de décision, le temps de l’ajustement des modèles économiques, le temps des réorganisations voire des opérations de rapprochement, le temps des développements technologiques, le temps et la volonté de vouloir tester, tester à nouveau,…entrent en conflit avec le temps de l’évolution, de la transformation, du foisonnement technologique et du cycle de vie de la plupart des startups. Les startups, souvent, périssent parfois injustement de cette fracture temporelle.
Le temps d’adaptation des collaborateurs est-il en concordance avec le temps de la transformation ?
La révolution numérique, c’est aussi la mutation des métiers. Notre quotidien professionnel est rempli de nouvelles technologies : Blockchain, Internet des Objet, Intelligence Artificielle, Drônes, Big Data,… de nouveaux termes, startupisation, uberisation, plateformisation, hybridation, …. et de nouveaux acronymes GAFAM, BATX, SMACS, CYOD… . Dans cette course perpétuelle aux évolutions protéïformes, les entreprises du secteur de l’assurance doivent adapter leur stratégie, repenser le schéma de la relation clients, créer des services digitaux, dynamiser la proximité avec le client, moderniser leurs infrastructures et leurs applications, se donner les moyens technologiques et surtout humains pour suivre l’accélération de la transformation. Tout le monde en parle, il faut impérativement accompagner les collaborateurs dans ces incessantes mutations pour, d’une part préserver leur employabilité et d’autres parts parce qu’ils sont les acteurs majeurs de la transformation et générateurs de valeur pour l’entreprise. Mutations profondes du mode de travail, disparition d’un certain nombre de métiers, victime de robotisation et d’automatisation, création de nouveaux métiers, hybridation des métiers et des compétences, reconversion, collaborateurs auto-apprenants, … matérialisent immédiatement la nécessité de la formation qui, trop souvent, est encore un vrai cauchemar administratif et organisationnel. L’objectif indispensable de rehausser l’effort de formation à long terme entre aujourd’hui en flagrant conflit avec la nécessité d’adaptation et d’efficacité de production court-termiste.
N’oublions pas aussi le temps long de la construction de la réputation d’une marque en ligne et le temps court d’un avis client, qui en quelques heures, bouleverse le résultat SEO de votre marque sur Internet et transforme ses principaux attributs. Ces quelques exemples, non-exhaustifs, démontrent la hauteur des enjeux de transformation pour les entreprises, en général et pour celles de notre secteur en particulier. Nos entreprises déploient un certain nombre d’actions stratégiques et opérationnelles pour corriger ou réduire ces inconcordances de temps constatées.
Le développement des outils technologiques permet de répondre à cette nécessité mais il ne doit pas masquer la nécessaire et urgente transformation interne (humaine et organisationnelle) qui elle aussi doit réduire l’inconcordance entre le temps de la vision et celui de la décision, entre le temps de la planification et de celui de l’action.
Jean-Luc Gambey
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