La transformation numérique du secteur de l’assurance est un phénomène inéducable. Mais sur quels leviers doit s’appuyer cette transformation ? Pour Hamid Benamara, Directeur Général du comparateur d’assurances LesFurets.com, cette transformation passera par l’humain.
Prendre le pouls d’un monde économique en plein bouleversement : miser sur l’humain avant le technique
Le passage de l’ère industrielle à l’ère digitale a changé notre manière d’aborder le travail. D’une production de masse, prévisible et planifiée, les entreprises se sont vues confronter à des défis bien plus grands qu’une simple adaptation technologique. Face à un univers économique de plus en plus complexe et concurrentiel, elles doivent gérer de pair une incertitude croissante et un besoin vital de se renouveler. Et le secteur de l’assurance n’est pas en reste. Être innovant, créatif et capable de s’adapter au changement constant n’est plus une option. Dans un monde où les prévisions les plus fines peuvent s’effondrer d’un jour à l’autre, les stratégies mises en place par les entreprises doivent s’aligner sur la réalité du terrain. Contraintes de faire plus avec moins de moyens, elles sont tenues de satisfaire une clientèle davantage informée et plurielle. La fameuse « ménagère de moins de 50 ans » n’est plus un profil assez fin et pertinent, nos clients étant aussi différents qu’exigeants, nous ne pouvons les mettre dans des cases préétablies et rassurantes.
A ces défis, s’ajoute évidemment celui du digital. Face à l’ampleur de cette révolution, la juste mesure doit être prise. La transformation numérique, pour être efficace et pérenne, doit avant tout se traduire par un changement culturel s’inscrivant dans une pleine conscience de chacun des aspects évoqués plus hauts. Ainsi, c’est en premier lieu notre manière de penser le travail qu’il faut revoir. Les organisations aux hiérarchies très marquées, qui ont pu être performantes à une certaine époque, sont aujourd’hui obsolètes, voire même contre-productives parfois.
Le management classique basé sur une hiérarchie pyramidale ne semble plus adapté aux défis actuels et fait en réalité fuir une nouvelle génération d’employés hautement qualifiés, experts dans de nombreux domaines, qui n’ont ni le besoin ni la patience d’être enfermés dans des fonctionnements trop rigides. Le micro-management, les réunions à outrance, les délais de livraison trop longs et le manque de priorisation sont autant d’erreurs – certes largement répandues – qui feront courir n’importe quelle entreprise à sa perte. Car l’enjeu de cette révolution, avant d’être technologique, est surtout de nous permettre de repenser un modèle devenu aujourd’hui bloquant. Toute « course à l’armement » technologique n’aura que peu d’impact si elle ne s’appuie pas sur les trois piliers suivants : l’humain, l’innovation et le client.
C’est alors un état d’esprit, une culture de l’innovation qu’il faut insuffler au sein de nos entreprises, et plus particulièrement dans le secteur de l’assurance, qui à ce jour, reste encore majoritairement traditionnel et peine à embrasser pleinement le virage du digital. Les comparateurs d’assurances, certes « pure-players » par essence, ne sont pas en reste et ont l’obligation quasi-vitale de se renouveler en permanence afin de s’adapter à un marché en transition.
Et s’adapter, c’est avant tout se remettre en question, accepter que ce qui est fait actuellement n’est potentiellement pas optimal. Chez LesFurets.com, nous avons misé sur l’agilité – décentraliser la gouvernance, libérer la parole, favoriser les interactions et le travail en coopération, simplifier les processus pour atteindre un niveau que chaque collaborateur peut maîtriser – sont, entre autres, les méthodes sur lesquelles nous nous appuyons.
Devenir agile pour s’adapter aux challenges du digital : plus qu’une organisation, un état d’esprit
L’agilité est une méthode. Une méthode simple et efficace. Et pourtant, cette apparente facilité demande un travail de fond immense : revoir complètement notre manière de penser.
Dans un schéma d’organisation classique, les équipes travaillent sur des projets pendant des mois, parfois même une année complète et ne livrent le résultat final qu’en une seule fois. Elles établissent un plan dont dépend entièrement la réussite d’une mission. Un plan qui devra être suivi à la lettre et n’évoluera qu’en cas de force majeure. Elles établissent des budgets planifiés avec une marge d’ajustement extrêmement fine. En cas d’échec, elles risquent souvent gros, très gros. Trop gros.
L’agilité prend le contre-pied de cette manière de penser. Au lieu de raisonner en termes de projet global, nous nous appuyons sur la notion de flux continu. Cela demande donc de découper un projet en petites tâches pour limiter le travail en cours. Au lieu de restituer un produit complet en une seule fois après des mois de développement, l’agilité nous permet de mettre en production fréquemment une petite quantité du travail. Elle garantit ainsi une accumulation de petits profits réguliers et sûrs à l’inverse de l’incertitude de mener une opération dans sa globalité pour s’apercevoir à quelques semaines du rendu que celui-ci n’est pas viable ou pas aussi profitable qu’espéré.
L’idée est donc de prendre de petits risques fréquemment et d’être capable d’ajuster ou de changer de cap en cas d’échec. Car dans un contexte d’innovation permanente, la première étape de tout succès reste paradoxalement d’échouer le plus vite possible. En limitant ainsi le nombre de tâches, les équipes identifient au plus tôt les points de blocage, les corrigent et ont la liberté de donner une nouvelle direction au projet sans que les pertes financières, comme l’investissement humain et technique, ne soient trop grands. C’est échouer vite, en perdant le moins d’argent possible, et en apprenant constamment. Car contrairement aux idées reçues, l’échec, lorsqu’il est maitrisé, n’est pas dommageable. Il demeure seulement la conséquence inéluctable de commencer quelque chose de nouveau.
Au « wait and see », nous préférons le « test and learn ». Il est impératif que nos équipes puissent proposer de nouvelles idées en toute sérénité mais surtout avoir l’autonomie de les mettre en œuvre comme elles le souhaitent. « C’est celui qui fait, qui sait » – ce grand principe des entreprises libérées – doit impérativement s’appliquer. Car s’il ne s’agit pas de révolutionner totalement le monde de l’entreprise, il est tout de même question de donner plus de liberté à nos collaborateurs pour qu’ils puissent atteindre un niveau de confiance et de « sécurité psychologique » les autorisant à être créatifs et novateurs.
C’est Amy Edmondson, économiste américaine et professeure à Harvard Business School, qui a défini ce principe[1]. En étudiant une équipe médicale dans un hôpital, elle découvre avec surprise que les plus performantes semblent être celles qui commettent le plus d’erreurs. En creusant davantage, la chercheuse se rend compte qu’en fait, ce sont celles qui admettent faire des erreurs et qui en discutent ouvertement entre elles et avec leurs supérieurs qui sont les plus compétitives. Elle décrit alors le « climat d’ouverture » et de « sécurité psychologique » comme créateur de richesse. Son travail est allé jusqu’aux oreilles du Google, qui a mis cette notion en première position des cinq caractéristiques des équipes ayant le plus de succès[2].
Dans la même idée, un autre chercheur, Paul J. Zak[3], neuro-économiste américain, a lui concentré ses recherches sur la confiance. Ses analyses montrent que les salariés travaillant dans un climat de confiance sont 50% plus productifs que les autres et disposent de 106% d’énergie supplémentaire au travail. Le secret menant à ses résultats ? L’autonomie des équipes. Les entreprises analysées laissent leurs collaborateurs choisir les projets sur lesquels ils travaillent mais également la liberté de s’organiser comme ils le désirent.
La transparence et la redescente d’informations font également partie des comportements positifs menant à plus de confiance et surtout plus de loyauté. Le taux d’engagement supplémentaire à l’entreprise atteint les 76% chez les salariés confiants. Le secret de la productivité ne serait-il pas tout simplement le bien-être ?
Devenir une entreprise agile : miser sur des petits changements concrets pour se donner le temps d’apprendre et de grandir
L’agilité, comme tout concept ayant le vent en poupe, est certes dans toutes les bouches mais passe encore timidement la porte des bureaux, surtout dans le domaine de l’assurance. Elle peut en effet effrayer tout dirigeant, même le plus convaincu. Passer d’un fonctionnement traditionnel à une organisation libérée ne se fait pas du jour au lendemain. Insuffler un climat d’innovation prend du temps. Chez LesFurets.com, nous ne sommes pas devenus agiles en un battement de cil. Et à ce jour, nous continuons encore d’apprendre.
Nous avions l’envie. Et nos salariés, prêts à tester autre chose, étaient assez solides pour travailler différemment et prendre en charge plus de responsabilités. Nous avons commencé par notre département IT avec une simple question : « Que pouvons-nous livrer dès aujourd’hui ? ». Et c’est en mettant en production tout ce qui était déjà opérationnel que nous avons pu voir ce qui ne l’était pas. Cette manière de faire très concrète nous a forcés, de fait, à identifier nos points de blocage et ce qui n’allait pas dans notre manière de nous organiser. Nous avons alors donné la parole aux réels experts sur la question : nos collaborateurs. Ce sont eux qui ont amorcé et mené la réflexion de la nouvelle organisation. Nous avons testé et appris au fur et à mesure de nos erreurs comme de nos avancements.
Une fois les premiers ajustements mis en place, la notion de rétrospective prend tout son sens. Elle permet de prendre du recul sur les changements mis en place, les questionner, les améliorer, les ajuster ou les étendre à d’autres projets. Avancer pas à pas a cet avantage : garder la mainmise sur des bouleversements en marche et surtout prendre des risques mesurés. Les rétrospectives, réalisées dans un climat d’ouverture et de confiance, autorisent une totale honnêteté des collaborateurs. Celle-ci est primordiale. D’elle découlera tous les nouveaux processus qui seront mis en place. C’est aussi lors de cet échange que les erreurs éventuelles des uns ou des autres seront mises en lumière. En tant que manager ou dirigeant, il faudra rester factuel, neutre et bienveillant, et plus que tout, penser en tant qu’équipe et non pointer un individu. L’agilité prône une vision collective de la performance, mais aussi des échecs.
Devenir agile, c’est également reconnaître qu’il n’y a pas de méthode miracle ou clé en main pour arriver au succès. L’expérience et la réalité du terrain prévalent sur n’importe quelle documentation ou concept séduisant mais finalement flou. Les premiers pas concrets pour réussir à être innovants et vous adapter au changement ? Lancez-vous. Et surtout, ne faîtes pas l’erreur de brainstormer à outrance sur ce qui ne va pas et que vous pourriez améliorer. Vous pourriez rester dans des réflexions certes pertinentes, mais finalement stériles. Partez d’une action simple et concrète. Puis d’une deuxième. Puis d’une autre… Et ainsi de suite. Apprenez en faisant. Restez toujours dans le réel et le tangible.
Et écoutez vos salariés. Ce sont eux qui savent. Ce sont eux qui sont au contact des clients, des machines, des logiciels… Ce sont eux les experts. Ils demeurent votre meilleure ressource pour embrasser le virage du digital.
(1) Amy Edmondson, « psychological safety » (http://www.businessinsider.fr/us/amy-edmondson-on-psychological-safety-2015-11/)
(2) Google re:Work, The five keys to a successful Google Team (https://rework.withgoogle.com/blog/five-keys-to-a-successful-google-team/)
(3) Trust Factor: The Science of Creating High-Performance Companies, écrit par Paul J. Zak.
Contact : Jean-Luc Gambey
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