L’innovation dans le secteur de l’assurance accélère et se doit d’être soutenue et encouragée. Il s’agit là d’un des objectifs des Trophées de l’Assurance : soutenir, encourager et rendre encore plus visible l’innovation et l’ensemble de ses contributeurs. Nous interrogeons, Jean-Luc Gambey, co-créateur des Trophées de l’Assurance.
Au-delà des Trophées de l’Assurance, vous publiez également des contenus sur le thème de l’innovation, la disruption,… . Vous ne parlez jamais des échecs, pourquoi ?
L’innovation est indispensable pour la croissance d’une entreprise. Les dirigeants confirment, les entreprises du secteur de l’assurance innovent et doivent accélérer l’innovation, mais celle-ci peut générer de nombreux essais et échecs. Effectivement, je parle, publiquement, très peu des échecs de l’innovation, car je préfère proposer directement à mes clients de considérer l’échec de l’innovation autrement. Il y a un constat flagrant, j’enfonce même une porte ouverte, quelques soient les industries, il y a plus d’échecs que de succès dans l’univers impitoyable de l’innovation, qu’ils soient visibles ou pas, et je dois même vous confier que je suis autant passionné par la réussite que par l’échec. Innover, c’est très souvent faire des tests dont les résultats ne sont, par définition, pas prévisibles. Les tentatives sont nombreuses mais les véritables succès immédiats sont rares. L’échec doit être considéré comme un catalyseur de l’innovation et les entreprises doivent se rappeler que les idées les plus novatrices ont toujours été précédées de nombreux échecs. Je parle souvent d’échec de l’innovation avec les entreprises parce que je m’intéresse à leurs succès.
Existe-t-il un ratio échecs/réussites pour l’innovation ?
L’échec, rappelons-le, est la base même de la création. Il n’existe pas de comptabilisation de l’échec de l’innovation, sachant qu’il est d’ailleurs admis, dans certains milieux, que sept à huit innovations sur dix sont des échecs. Mais, en France, la peur de l’échec semble paralyser plus qu’ailleurs. Par ailleurs, il faut distinguer les échecs répétés, des échecs ponctuels, ou plus imprévisibles, il faut dissocier les innovations “prématurées” ou “résurgentes” de celles qui se sont révélées véritablement inadaptées et vouées à l’échec, il faut tenir compte de l’histoire des innovations : quand elles sont provisoirement abandonnées puis resurgissent, sous une forme différente ou non. Peut-on parler d’échec ? La question du temps est souvent présente : au bout de combien de temps un échec devient un succès et peut ensuite redevenir un échec ?
Le fondateur de Twitter dit qu’il faut connaître des échecs spectaculaires pour connaître un succès spectaculaire. Le joueur de basketball, Michael Jordan, raconte qu’il a échoué tellement de fois dans sa vie que c’est la raison de son succès. Le ratio indiquant la part des échecs et des réussites, pour pleins de raisons, n’est guère important et n’a pas de sens. Par contre, j’irais même jusqu’à dire que le nombre de projets ou de tentatives qui n’ont pas aboutis devient un indicateur du dynamisme du processus d’innovation dans l’entreprise !
A cause de quelques échecs, certaines entreprises cessent de prendre des risques, d’innover et misent sur les recettes du passé. Celles-ci ne peuvent être éternelles dans notre marché qui évolue significativement. Je pense qu’il y a un échec, qui lui est grave, celui de ne pas avoir testé une idée qui se serait avérée fructueuse pour un concurrent… .
Alors, il faut capitaliser sur ses échecs ?
Oui. Le principe qui consiste à capitaliser sur ses échecs, ne consiste pas à pointer les responsabilités, qu’elles soient individuelles ou collectives, mais de voir l’échec comme une étape, une condition pour approcher le succès. Pour valoriser la nécessité d’avoir une culture de l’innovation, il faut avoir cette culture de l’essai/erreur, aussi qualifiée de « culture de l’échec, qui d’ailleurs existent massivement au sein des communautés les plus innovantes. Je suggère, par exemple, de créer un «Wall of Fail» dans chaque entreprise. Afficher les innovations qui ont échouées, en documenter les causes et s’en servir pour apprendre et pour passer à la réussite. Cette suggestion, bien sûr, doit s’accompagner systématiquement d’un processus d’analyse de l’échec, au lieu de le refouler ! Chez certains assureurs, le mot d’ordre est « fail fast », la capacité d’apprendre rapidement des erreurs et de corriger le tir.
Il est donc nécessaire d’avoir des échecs pour avoir du succès ?
De nombreux analystes pointent du doigt nos élites et leur peur de l’échec. Il faut se rappeler que l’erreur est humaine et que tous les grands entrepreneurs de ce monde ont déjà connu l’échec avant de connaitre le succès. Ce qui est risqué pour une entreprise, c’est surtout de ne pas essayer ! Comprendre l’échec est vertueux, il faut analyser les causes des échecs, ne serait-ce pour éviter de le refaire, il convient d’identifier objectivement les freins, les points de blocage et en tirer les leçons. Ces échecs, devenant alors vertueux, créeront de la valeur pour l’entreprise. D’ailleurs dans les startups, il est souvent accordé de l’importance créative de l’échec.
Quelques conseils pour ne pas échouer ?
Il n’y a pas de conseils « miracles » et il faut, je le répète savoir échouer. Il y a cependant quelques constats à faire.
La capacité d’adaptation à l’évolution du marché est un moteur important pour valoriser la marque, et l’innovation contribue très certainement à appuyer la valeur de la marque. Cependant, l’industrie de l’assurance est en prise, souvent, avec des systèmes d’information peu agiles et des organisations souvent silotées qui retardent le progrès, l’innovation et son passage à l’acte.
Alors que les attentes des assurés évoluent très vite, notamment à cause de la présence d’entreprises comme Apple, Amazon, …, il n’est pas toujours facile, pour les grandes organisations, dotées de systèmes lourds et rigides de susciter l’innovation.
Il conviendrait d’arriver à plus d’instantanéité dans notre industrie, l’engagement doit être mis à servir les assurés en temps réel. L’ensemble des pressions vécues par notre industrie, à cause du climat, des technologies, des nouveaux « joueurs » numériques, doivent inciter l’assureur à centrer son activité sur les clients.
Bien sûr, il y a aujourd’hui de très forts potentiels d’innovation, liées en particulier aux smart datas et qui permettent de mieux segmenter ses clientèles et tarifer le risque, de créer une nouvelle relation avec ses clients et de les aider à modifier leur comportement, de simplifier le processus de tarification, de traiter plus efficacement les réclamations, d’aider l’assureur à détecter plus rapidement les risques de fraude,… .
Vous évoquiez tout à l’heure, les nouveaux joueurs numériques. De qui parlez-vous ?
Il faut être conscient qu’une part de plus en plus importante des consommateurs déclarent, dans certaines enquêtes, privilégier la facilité d’utilisation : pour la souscription, la gestion voir la résiliation de leur contrat d’assurance, et envisagerait de se tourner vers Amazon, par exemple, pour s’assurer. Ce « nouveau « joueur numérique » potentiel, dans l’industrie de l’assurance, obligerait probablement de revoir les processus d’innovation. Je pense, par exemple, que la collaboration entre concurrents « compatibles » serait, de mon point de vue sur certains sujets liés à l’innovation, la bienvenue. Cela se pratique partiellement sur notre marché et beaucoup plus dans certains pays étrangers. D’autres industries, en France, développent des alliances de cette nature. Les « alliances » entre concurrents permettraient d’accélérer le mouvement, de réduire le risque de se faire dépasser par ces nouveaux « joueurs » de l’industrie numérique.
J’ai en tête un cas précis où nous avons réussi, pour aller plus vite, moins chers et sans sacrifier la qualité de l’innovation, à mutualiser des énergies et des coûts de développement d’une innovation digitale « socle » pour plusieurs marques. Chacun des concurrents, pouvant ensuite apporter la personnalisation souhaitée en fonction de sa stratégie, sa cible, …. . Il est compréhensible que le concurrent qui trouve une idée géniale préfère la garder pour lui. Mais sur certains sujets, la collaboration peut dynamiser le déploiement de chaque innovation, accélérer significativement le processus, réduire considérablement les coûts et donc optimiser le ROI, tout en gardant, in fine, des éléments de différenciation indispensables.
Interview : Maud Bastien
Contact : Jean-Luc Gambey
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